Vince Staples n’a que 22 ans et fait déjà partie de la cour des grands. Impressionnant par sa maturité et sa direction artistique, le gamin de Long Beach a sorti cette semaine Summertime 06′, un EP à double disque (20 titres) qui nous plonge dans les endroits délabrés et mal-fréquentés de Long Beach, plus précisément le quartier nord. Lieu qui a vu grandir cet artiste promis à un joli avenir. Ce projet est aussi un retour en-arrière en 2006, année où Vince ne comptait que treize printemps mais se débrouillait déjà en ramassant de l’argent illégalement. 2006 était aussi pour lui une année où nombre de ses proches ont été tués. Année de transition qui lui a fait prendre conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. Un album calibré du début à la fin où le passé du jeune artiste est dévoilé avec brio dans une ambiance sombre qui colle toujours aussi bien au style du rappeur.
Long Beach est connu pour ses plages balnéaires mais aussi pour ses nombreux homicides et c’est avec ce paradoxe que le premier disque commence. Une instrumentale grave et sombre accompagnée d’un fond sonore de vagues qui échouent sur les côtes ainsi que le cri de quelques mouettes, le tout est violemment stoppé par un coup de feu qui enchaîne avec Lift Me Up et ses lourdes basses agrémentées des couplets lourds et tranchants de Staples. Ici, le thème de l’album est vite annoncé comme un contraste. D’un côté, l’été semble chaud bouillant et festif mais de l’autre, LBC est vite bercé par la violence et ses crimes.
Toujours illustré dans une ambiance morbide que l’on pourrait s’imaginer qu’en noir et blanc, la suite de l’histoire est racontée dans Norf Norf. Le quartier nord de Long Beach est présenté comme un endroit risqué où tout le monde se connaît. Les policiers, eux, essaient tant bien que mal d’imposer leur loi mais, en vain, le refrain du morceau démontre le contraire. Le tout est suivi par une mélodie agrémentée d’une sirène angoissante suivie de quelques percussions aiguës.
Mais Vince Staples est aussi attiré par les femmes qui lui permettent de rester un peu en-dehors de ce cercle vicieux. Il apprécie en particulier une latino-américaine qui réside vers son voisinage. Dans Loca (ambiance latine) l’emcee avoue que cette femme le rend fou. D’ailleurs on peut apprécier la jolie prestation de Jhene Aiko qui vient prêter main forte dans Lemme Know qui est une suite de la relation citée dans le morceau précédent.
Retournons dans des faits plus marquants. La drogue et le traffic qui arpentent les rues (Dopeman). L’addiction, la perte de contrôle et toutes les conséquences qui s’en suivent (Jump Off The Roof). Tous des faits impregnés dans une société comme celle d’où est originaire Vince.
Dans la deuxième partie du projet, le rappeur relate des cas plus personnels comme la rue où il habitait (3230) ou la mort de ses proches dans le majestueux Surf et son impressionnante instrumentale qui nous plonge directement au cœur des rues. Cependant, on retrouve aussi des morceaux plus paisibles et émotionnels comme Might Be Wrong où le rappeur va creuser plus loin et essaie de chercher l’origine de tout ces délits et crimes perpétués. Un morceau à donner la chair de poule qui est parfaitement géré par les chants vocaux de James Fauntleroy ainsi que Cocaine 80’s.
Ensuite, plus on s’approche de la fin de l’album, plus Vince Staples aborde des problèmes sociaux et complexes comme dans C.N.B. (Coldest Nigga Breathing) où il n’hésite pas à divulguer les soucis actuels qui résident dans sa communauté comme le racisme, la pauvreté, la violence ou encore la gentrification. L’EP se finit par un morceau qui sample Outkast. Intitulé Like It Is, il aborde, contrairement aux autres, une once d’espoir et de réussite pour les résidents des quartiers pauvres.
I been through hell and back, I seen my momma cry
Seen my father hit the crack then hit the set to flip a sack
I done seen my homies die then went on rides to kill ’em back
So how you say you feel me when you never had to get through that?
We live for they amusement like they view us from behind the glass
No matter what we grow into, we never gonna escape our past
So in this cage they made for me, exactly where you find me at
Whether it’s my time to leave or not, I never turn my back
Summertime 06′ s’impose sans aucun doute comme l’album qui pourrait concurrencer celui de Kendrick en fin d’année. Ironie du sort, le sujet et le thème qui gravite autour du projet nous rappelle aussi un certain Good Kid, M.A.A.D City sorti il y a trois ans par… Kendrick Lamar qui lui, s’occupait de raconter son histoire d’enfance vécue dans les quartiers de Compton. Long Beach ou Compton, la question va plus loin et ces deux artistes nous l’on bien fait comprendre. Avec un projet qui s’apparente plus à un documentaire que l’on pourrait visionner à la télévision, Vince Staples nous fait prendre conscience (encore une fois) des problèmes économiques, sociaux et politiques que traverse les Etats-Unis. Par ailleurs, il nous fait prendre conscience également qu’il fait désormais partie de la cour des grands. En effet, après un Hell Can Wait qui avait fait la quasi-unanimité dans les critiques l’année passée, le jeune californien place la barre encore plus haute avec Summertime 06′. Un projet géré de main de maître avec l’aide de No I.D., le producteur exécutif qui a su instaurer une ambiance terne et morose qui convient parfaitement à Vince afin qu’il puisse exploiter à merveille ses couplets tranchants qui respirent l’honnêteté et la souffrance endurée.
Kevin