
L’année 2013 fut riche en sorties hip-hop de l’autre côté de l’Atlantique. Les grosses pointures, que sont Jay-Z et Kanye West, les nouvelles figures de proue du rap game, A$AP Rocky et Drake, les jeunes rappeurs qui cherchent à confirmer leur talent, représentés par Earl et Mac Miller, les vieux dinosaures tapis dans l’ombre, R.A. The Rugged Man et Ghostface Killah, et bien d’autres encore…Tous ont répondu présents lors de cette année écoulée, pour nous offrir ce qui se fait de mieux actuellement. Petite sélection des albums phares de 2013, par HHSOM et pour votre plus grand plaisir.
Danny Brown – Old

Après plusieurs mixtapes et albums téléchargeables gratuitement, le rappeur le plus déjanté de Detroit a choisi 2013 pour commercialiser son premier album, sobrement intitulé Old. Sobre? Cet album est tout le contraire. Ingénieusement scindé en deux parties distinctes, l’une faisant la part belle à l’ancien Danny Brown, celui que l’on a pu entendre sur des projets tels que Hot Soup en 2007, l’autre constituant une véritable ode aux drogues; l’album contient tout ce que l’auto-proclamé Black Brad Pitt sait faire de mieux. Rappelant de façon sombre et cynique son passé de dealer et de taulard, sa jeunesse dans un milieu difficile, la première partie se veut introspective et intime. Puis, Daniel grandit. Il maigrit, échange ses grosses doudounes pour des jeans slims, se coupe les cheveux. Il ne vend plus de dope, il la consomme. MDMA, weed, ecstasy, tout y passe; Daniel est devenu une rockstar et le fait savoir sur la deuxième partie de son album. Toujours entouré de ses compères de chez Fool’s Gold, il nous fait passer de sa cellule à une énorme house party décadente, du rap froid de Motor City à de la dubstep qui déboîte. Bah ouais, Danny fait plaisir à tout le monde et se fait plaisir. Autobiographie d’un trentenaire pas comme les autres, Old est à l’image de son créateur : ambivalent, voire schizophrène, mais génial et fascinant.
Titres-clés : Torture, Dip, Dope Fiend Rental
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A$AP Rocky – Long.Live.A$AP

Sorti en début d’année, le premier album de notre Pretty Motherfucker ne s’est pas fait submerger par la concurrence, loin de là. Un an plus tard, Long.Live.A$AP n’a toujours pas arrêté de tourner et c’est tout sauf une surprise. Si l’ambiance ensoleillée et codéïnée de Live.Love.A$AP s’est quelque peu estompée, laissant place à un univers plus sombre, mais également plus esthétique, Rakim Meyers n’a pas changé. L’ambiance est, à l’image de son style, toujours soignée jusqu’au moindre détail. Les productions de Birdy Nam Nam et Skrillex côtoient celles de Hit-Boy, Clams Casino ou Danger Mouse et tout cela sans le moindre souci de cohérence. Les gros hits (Goldie, Fuckin’ Problems, Wild For The Night) se mélangent parfaitement au posse cut qu’est 1Train et sa pléthore d’invités et aux morceaux plus introspectifs que sont Suddenly ou Phoenix. Rocky a tout calculé et a fait les choses en grand pour ses débuts commerciaux chez l’écurie RCA Records de Sony, ajoutant par la même occasion la première pierre à l’édifice de la domination de son A$AP Mob sur le rap game. Rappelons que l’album avait leaké plus d’un mois avant sa sortie prévue. Rocky ne s’en était pas inquiété du tout, et on sait désormais pourquoi. Le trône de New York lui tend les bras, quoiqu’en dise Kendrick Lamar. La machine est en marche.
Titres-clés : Goldie, 1Train, Phoenix
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Earl Sweatshirt – Doris

Après deux ans passés dans un camp aux îles Samoa, éloigné de tout et surtout de son crew Odd Future qui avait façonné le style du gamin de 16 ans qu’il était lors de son premier projet éponyme, Earl Sweatshirt a muri. Il est toujours le plus grand talent que compte OF dans ses rangs, mais il a troqué ses lyrics désinvoltes et résolument gore pour quelque chose de plus profond. Tout aussi perturbants, mais indiscutablement plus sérieux, les vers que lâche Earl sur Doris, de cette façon nonchalante qui lui est propre, ne font pas dans la dentelle. Si Earl composait de la musique de film, il serait passé de Saw à Shining. Son phrasé lent et sa voix grave se calquent parfaitement sur des beats torturés et vacillants, procurant à cet album une atmosphère lourde et infiniment noire, comme si Earl était revenu d’entre les morts pour nous cracher sa peine. Impressionnant de maturité pour son âge, Earl se livre sans tabou, comme sur le déstabilisant Chum :
Titres-clés : Hive, Chum, Molasses
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Ghostface Killah & Adrian Younge – Twelve Reasons To Die

Les résurrections, Tony Starks, il connaît. Le légendaire meurtrier au masque de fantôme est revenu d’entre les morts en 2013 pour se venger de cette famille de mafieux qui l’avait éliminé. Tel est le fil rouge de l’histoire contée par Ghostface Killah sur Twelve Reasons To Die et orchestrée de main de maître par Adrian Younge, producteur de BO aux influences très soul. On le sait, l’éminent Dennis Coles n’a pas pour habitude de se reposer sur ses lauriers et aime bien explorer différents horizons. Contrairement à ce qu’il a pu faire par le passé, le choix effectué en 2013 s’est révélé être parfait. Le producteur perfectionniste qu’est Adrian Younge propose un travail très orchestral et soul qui constitue une vraie atmosphère de film autour du membre du Wu-Tang. Ce dernier fait le reste avec un storytelling des plus maîtrisés et des lyrics tranchantes. GFK est sorti de l’ombre en cette année, pour le plus grand bonheur des aficionados du Clan, mais également pour tout fan de hip-hop, le MC n’ayant rien perdu de sa verve et ayant su se renouveler grâce au travail dantesque de Younge, qui insuffle un nouveau vent de fraîcheur sur l’énorme discographie du Ghostface. Formule gagnante.
Titres-clés : The Rise Of The Ghostface Killah, Murder Spree, An Unexpected Call (The Set-Up)
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Pusha T – My Name Is My Name

Après de longues années passées au sein du groupe Clipse, qu’il formait avec son frère No Malice, Terrence Thornton a décidé de poursuivre l’aventure seul. Pas complètement seul toutefois puisqu’il bénéficie de l’apport et du soutien de Kanye West et de son label GOOD Music sur lequel il est signé, ce qui n’est pas négligeable. Après l’EP Fear Of God II : Let Us Pray et des apparitions remarquées sur Cruel Summer, King Push a enfin lâché son My Name Is My Name et n’a fait que de confirmer son statut de rappeur expérimenté et talentueux. Bien aidé par les productions de Don Cannon sur l’extraordinaire Numbers On The Boards, Kanye West ou encore Pharrell Williams sur S.N.I.T.C.H., rappelant le bon temps des incroyables collaborations Clipse-Neptunes, Pusha T est fidèle à lui-même. Ses lyrics sombres, torturées et street à la fois font toujours effet, et son flow incomparable le démarque aisément de la concurrence. Ajoutons à cela des refrains envoûtants de Chris Brown et Future (Sweet Serenade, Pain), un couplet impressionnant et tout aussi sombre de Kendrick Lamar (Nosetalgia), l’un des meilleurs couplets de Rick Ross de ces dernières années (Hold On) et nous obtenons tout simplement l’un des meilleurs albums de l’année. Et dire que Push s’est enfermé en studio avec les Neptunes pour sortir un album en 2014, ça promet!
Titres-clés : Numbers On The Boards, S.N.I.T.C.H., Nosetalgia
R.A. The Rugged Man – Legends Never Die

En presque 25 ans de carrière, Richard Andrew Thorburn n’a sorti que deux albums : Die, Rugged Man, Die en 2004 et donc Legends Never Die en 2013. Pourtant, le bonhomme est tout sauf un paresseux. Ce manque de commercialisation, il le doit à une carrière difficile et instable, un peu à l’image de sa vie. Fils d’un sergent vétéran du Viêtnam, guerre dont sa famille porte toujours les séquelles, R.A. The Rugged Man porte plutôt bien son blaze et n’a jamais abandonné sa plus grande passion, le hip-hop. Et c’est en redoublant d’efforts qu’il a pu nous offrir ce deuxième album. Long de 17 titres, riche en collaborations et en producteurs différents, Legends Never Die ne l’est pas moins au niveau des thèmes abordés. De l’ego-trip humoristique (Shoot Me In The Head) à la critique de la société (Learn Truth), en passant par la description de quelques tristes événements de sa vie (Legends Never Die (Daddy’s Halo)) et des morceaux orientés battle avec ses potes de toujours que sont Brother Ali ou Vinnie Paz, le Rugged Man a sorti l’artillerie lourde. Sa versatilité et son flow à toute épreuve impressionnent encore et toujours. Peu importe que la réussite commerciale ne soit pas au rendez-vous, R.A. a comblé ses fans avec cette seconde offrande et il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Titres-clés : Learn Truth, Legends Never Die (Daddy’s Halo), Sam Peckinpah
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Tyler, The Creator – Wolf

Troisième album de Tyler, The Creator et troisième (ou premier selon les interprétations) épisode de la trilogie, complétée par Bastard et Goblin, Wolf reste dans la même veine que ses deux prédécesseurs, tout en démontrant une certaine évolution de la part de Tyler. A l’image de son compère Earl, Tyler a notamment développé ses thèmes abordés et ses qualités lyricales. L’atmosphère est aussi sombre que sur Bastard et Goblin, mais Tyler aborde des sujets aussi divers que l’absence de son père (Answer), la déclaration d’amour à une personne que l’on a peur de perdre (IFHY) ou encore la lettre à un fan (Colossus). Il continue à user et à abuser des divers personnages crées par son esprit pour garder la touche de détachement et de second degré qui lui est si caractéristique. A l’image d’Earl également, Tyler n’a pas seulement progressé derrière le micro, mais également à la production, se payant même le luxe de produire l’intégralité de son album seul. Décidément un grand pas en avant pour le leader d’Odd Future, mais également pour tout son crew, qui semble de plus en plus s’épanouir dans l’industrie de la musique, sans ne plus avoir à se soucier du buzz qui leur collait à la peau à leurs débuts.
Titres-clés : IFHY, Rusty, Answer
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Drake – Nothing Was The Same

Deux ans après avoir sorti Take Care, qui l’avait propulsé sur les devants de la scène hip-hop avec des hits tels que Headlines ou Hell Ya Fuckin Right, Aubrey Graham récidive en cette année 2013 avec Nothing Was The Same. Et le jeune rappeur canadien n’a pas changé de recette. Toujours partagé entre rap et R’n’B, Drake nous emmène dans son univers mélancolique et finalement assez sombre, dans lequel les seules éclaircies interviennent avec des morceaux comme Started From The Bottom, véritable hit de l’année 2013. Entre couplets agressifs sur Tuscan Leather ou Pound Cake, sonorités directement inspirées de la musique sudiste sur Connect ou Own It, ou morceaux mielleux très orientés pop comme Hold On, We’re Going Home, Drake fait du Drake et il le fait bien. Plus court que Take Care, mais également plus compact, Nothing Was The Same montre toutes les qualités du natif de Toronto sous son meilleur jour. Toujours accompagné de son producteur Noah ’40’ Shebib, Drake chante, rappe et fait mouche, une fois encore, à défaut de faire l’unanimité. Cependant, quoiqu’en disent les pessimistes, Drake ne déçoit quasiment jamais, grâce à son éthique de travail irréprochable et ses exigences toujours plus poussées, tant au niveau des productions que de l’homogénéité. Et son dernier album en est une énième preuve.
Titres-clés : Started From The Bottom, Connect, Pound Cake
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Mac Miller – Watching Movies With The Sound Off

Malgré des ventes plus que respectables, Mac Miller avait déçu avec son premier album Blue Slide Park, et c’est le moins que l’on puisse dire. Trop simple, trop immature, la musique de Mac n’était a priori destinée qu’aux adolescents prépubères friands de musique ambiancée pour faire la fête. Mais Mac n’avait pas envie de ce genre de carrière. En deux ans, il s’est trouvé une personnalité et Watching Movies With The Sound Off en est imprégné. Plus personnel donc, mais également moins accessible, Watching Movies montre un Mac Miller à la limite de la dépression, sous l’emprise de drogues, en conflit avec soi-même. Plus mature, Mac se livre, en entier et sans censure, à l’image de cette pochette d’album, en dévoilant tantôt ses fantasmes sur Mila Kunis (Bird Call), tantôt ses sentiments à l’égard de la mort de l’un de ses amis (REMember). Abandonnant sa musique calibrée pour la radio au profit d’une véritable ambiance brumeuse, Mac nous expose son talent de la façon la plus complète qui soit, avec quelques unes de ses propres productions signées du pseudonyme Larry Fisherman, toujours parfaitement adaptées à cette nouvelle personnalité. Il ne lui reste désormais plus qu’à explorer cette voie.
Titres-clés : REMember, Red Dot Music, Watching Movies
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Inspectah Deck, 7L & Esoteric – Czarface

Inspectah Deck est incontestablement l’un des meilleurs MC que le hip-hop ait connu. Seulement, à l’instar d’un Canibus par exemple, il n’a jamais bénéficié des productions et d’une promotion à la hauteur de son talent. Toujours dans l’ombre des figures emblématiques du Wu-Tang qu’étaient et que sont Method Man ou Raekwon, le Rebel INS ne s’est jamais privé de leur voler la vedette sur des morceaux comme Triumph ou Protect Ya Neck. Près de 20 ans plus tard, il décide de s’allier avec le duo DJ/MC de Boston, 7L & Esoteric qui sévissent également depuis un moment dans le hip-hop avec notamment les productions boom-bap de 7L et les collaborations d’Eso avec Army Of The Pharaohs. Et c’est comme cela qu’est né le superhéros Czarface, véritable réunion de trois valeurs sûres du rap game qui n’ont plus rien à prouver mais qui sont toujours à la recherche de bons moments. Et ça se ressent, les trois compères nous livrent un projet propre, sans prise de tête, avec les collaborations de Roc Marciano, Action Bronson, DJ Premier ou Ghostface Killah. Le constat est toujours le même : Inspectah Deck manie le mic mieux que n’importe qui, 7L régale avec ses productions typées années 90, et Esoteric n’a pas à rougir de la comparaison avec son ainé. Un excellent projet transpirant les années 90 et la décontraction, bien méritée pour trois personnages qui ont donné tout ce qu’ils avaient au hip-hop, et comme on n’en fait plus aujourd’hui. Respect.
Titres-clés : Air ‘Em Out, Savagely Attack, Cement 3’s
Mentions spéciales :
Par Patrik