[Chronique] Future – Dirty Sprite 2

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Généralement, une rupture peut engendrer une période de post-dépression pour la majorité des individus mais Future a connu le contraire. Depuis sa séparation avec la chanteuse Ciara au milieu de l’année passée, le rappeur d’Atlanta a enchaîné trois mixtapes entre fin 2014 et durant le premier semestre 2015. Le plus impressionnant c’est que ces projets gratuits sont tous de bonne qualité et ont placé l’emcee parmi les artistes les plus courtisés du rap game avec Drake, Kendrick Lamar ou encore Meek Mill. Honest, sorti début 2014, contient son lot de hits et a été un succès commercial, mais il n’était pas vraiment à la hauteur des attentes de sa fan base pour un projet officiel. A croire que la rupture quelques mois après avec Ciara ait réveillé le monstre qui sommeillait en lui. S’en est donc suivi trois immenses opus gratuits : Monster, Beast Mode et 56 Nights. Tous de bonne qualité mais contenant des ambiances et styles différents les uns des autres. Il y a maintenant deux semaines, le natif d’Atlanta a annoncé la sortie de Dirty Sprite 2, la suite de l’une de ses premières mixtapes, mais cette fois-ci en tant qu’album officiel. Est-ce que Fewtch a atteint son apogée ?

Mariant parfaitement son flow mélodieux avec les instrumentales qui lui sont servies sur un plateau. C’est le point fort de Future. Il a cette impressionnante capacité de combler les vides que pourraient laisser une production trop sobre en ajoutant des sonorités ou des syllabes supplémentaires mi-chantées mi-rappées à chaque fin de couplet. La preuve étant qu’il est (très) difficile de reprendre ses morceaux en essayant de faire ressortir les mêmes émotions. Une ambiance propre à Future Hendrix que seul ce dernier arriverait à reproduire. Et c’est ce que l’on retrouve dès le début de l’album avec Thought It Was A Drought et I Serve The Base l’une s’appuyant sur son texte et son refrain accrocheur et l’autre, plus sauvage et plus sombre, où l’on reçoit une claque à chaque coup de basse délivré par Elijah Sacci et Metro Boomin.

I just fucked your bitch in some Gucci flip flops
I just had some bitches and I made ’em lip lock
I just took a piss and I seen codeine coming out
We got purple Actavis, I thought it was a drought

Avec des punchlines tenaces qui font déjà le tour du web, l’artiste excelle dans ce domaine et nous laisse régulièrement une ou deux phrases accrocheuses à chaque fin de morceau comme dans les énergiques Stick Talk et Freak Hoes. Contrairement à son précédent projet qui était inondé de featurings, Dirty Sprite 2 n’en contient qu’un seul. Un point fort du projet qui permet à Future de s’exprimer plus librement. C’est ce qui nous permet d’immerger plus facilement dans son univers à la fois mielleux mais aussi brutal. Ce seul invité n’est nul autre que Drake ce qui nous donne une collaboration de luxe sur l’excellent Where Ya At où les deux artistes déballent leurs problèmes sur une instrumentale produite par Metro Boomin de nouveau.

L’atmosphère de DS2 s’appuie aussi fortement sur les productions laissées par Metro Boomin, Southside, Sonny Digital et Zaytoven. En effet, l’équipe de producteurs travaillent régulièrement ensemble et proviennent tous d’Atlanta. Et Future a fait appel à ses derniers pour l’élaboration de ses trois derniers projets gratuits. Grâce à cette alchimie et cohésion positive, l’album contient une certaine homogénéité. Que ça soit sur Colossal, où l’on retrouve les boucles de piano typées Zaytoven ou encore sur le paisible Rich $ex qui cible ses conquêtes féminines, Fewtch arrive facilement à s’adapter aux mélodies livrées par ses compères ou c’est plutôt l’instrumentale qui s’adapte au flow mélodieux de l’artiste. Mais c’est sur Blow A Bag, single de l’album, que l’artiste démontre tout son talent. Un refrain acharné mais énergique, des couplets assurés mais surtout un timbre de voix harmonieux que le rappeur n’hésite pas à varier tout au long du morceau selon les synthétiseurs utilisés par les producteurs.

S’affichant comme la suite de Dirty Sprite, DS2 confirme que le rappeur est au sommet de son art et s’installe incontestablement comme l’artiste le plus en forme et le plus courtisé sur la scène d’Atlanta. N’ayant probablement pas la technique et le flow de Kendrick ou la voix et le génie de Drake, Future se démarque par ce qu’il sait faire de mieux ; des paroles inarticulées, un flow syrupeux, sûrement aidé par quelques gorgées de codéine et une adaptation impressionnante à des instrumentales trap ou plus paisibles. Un tout qui le rend authentique dans une ambiance et atmosphère que nul autre arriverait à reproduire jusqu’à maintenant. Son premier album intitulé Pluto, l’a révelé aux yeux du public. Le suivant, Honestlui a permis de côtoyer les plus grands du rap game et d’effectuer des gros hits. Mais Dirty Sprite 2 englobe tout ce que Future sait faire de mieux et s’impose comme son album le plus réussi et surtout le plus honnête.

Kevin

[Top Of The Month US] Juin 2015

Pour clôturer ce magnifique premier semestre qu’a connu le monde du hip-hop, les artistes ont anticipé la venue du soleil et du beau temps. En effet, une grosse partie de la côte Ouest a été active durant ce mois avec la sortie de l’album de Dom Kennedy, la monstrueuse performance de Jay Rock sur son dernier single, l’excellent album de Vince Staples mais aussi le bon projet du prometteur Boogie. De l’autre côté, plus au sud cette fois-ci, Fetty Wap prouve qu’il n’est pas qu’un seul « one-hit wonder », Migos fait du Migos et le jeune Skooly montre toute l’étendue de son talent sur sa dernière mixtape intitulée Blacc Jon Gotti. Bien sûr, la scène drill de Chicago est aussi présente avec des apparitions de Lil Bibby et Lil Reese.


1. Jay Rock – Money Trees Deuce [Prod. Flippa & JProof]
2. Vince Staples – Norf Norf [Prod. Clams Casino]
3. Meek Mill – R.I.C.O. (Feat. Drake) [Prod. Cubeatz & Vinylz]
4. Dom Kennedy – Fried Lobster (Feat. Bonic) [Prod. DJ Dahi]
5. Skooly – R.I.P. OG D [Prod. Dun Deal]
6. Denzel Curry – Delusional Shone (Feat. Twelve’Len) [Prod. Nick Leon]
7. Skeme – That Nigga (Feat Young Thug) [Prod. Alex Lustig]
8. Problem – Relapse [Prod. Harley Mac Beats]
9. Travi$ Scott – Antidote [Prod. Eastbound & WondaGurl]
10. Boogie – First Evergreen [Prod. Willie B]
11. Vince Staples – Like It Is [Prod. Brian Kidd, DJ Dahi & No I.D.]
12. Lil Bibby – You Ain’t Poppin (Remix) (Feat. Rico Richie) [Prod. 808 Mafia]
13. Migos – John Wick [Prod. Deko]
14. Skooly – Roccsan [Prod. Metro Boomin]
15. Pac Div – Roll The Dice [Prod. Swiff D]
16. Lil Reese – Seen Or Saw [Prod. JD On Tha Track]
17. Skeme – Find Out (Feat. Game) [Prod. Sean Momberger]
18. Fetty Wap – Boomin’ [Prod. Frenzybeatz]
19. Ty Dolla $ign – Blasé (Feat. Future & Rae Sremmurd) [Prod. DJ Spinz]
20. Game – 100 (Feat. Drake] [Prod. Cardo & Johnny Juliano]

En bonus : Travi$ Scott – 3500 (Feat. 2 Chainz & Future) [Prod. Allen Ritter, Mike Dean, Metro Boomin, Zaytoven & Mano]

Par Kevin

[Chronique] Vince Staples – Summertime 06′

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Vince Staples n’a que 22 ans et fait déjà partie de la cour des grands. Impressionnant par sa maturité et sa direction artistique, le gamin de Long Beach a sorti cette semaine Summertime 06′, un EP à double disque (20 titres) qui nous plonge dans les endroits délabrés et mal-fréquentés de Long Beach, plus précisément le quartier nord. Lieu qui a vu grandir cet artiste promis à un joli avenir. Ce projet est aussi un retour en-arrière en 2006, année où Vince ne comptait que treize printemps mais se débrouillait déjà en ramassant de l’argent illégalement. 2006 était aussi pour lui une année où nombre de ses proches ont été tués. Année de transition qui lui a fait prendre conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. Un album calibré du début à la fin où le passé du jeune artiste est dévoilé avec brio dans une ambiance sombre qui colle toujours aussi bien au style du rappeur.

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Long Beach est connu pour ses plages balnéaires mais aussi pour ses nombreux homicides et c’est avec ce paradoxe que le premier disque commence. Une instrumentale grave et sombre accompagnée d’un fond sonore de vagues qui échouent sur les côtes ainsi que le cri de quelques mouettes, le tout est violemment stoppé par un coup de feu qui enchaîne avec Lift Me Up et ses lourdes basses agrémentées des couplets lourds et tranchants de Staples. Ici, le thème de l’album est vite annoncé comme un contraste. D’un côté, l’été semble chaud bouillant et festif mais de l’autre, LBC est vite bercé par la violence et ses crimes.

Toujours illustré dans une ambiance morbide que l’on pourrait s’imaginer qu’en noir et blanc, la suite de l’histoire est racontée dans Norf Norf. Le quartier nord de Long Beach est présenté comme un endroit risqué où tout le monde se connaît. Les policiers, eux, essaient tant bien que mal d’imposer leur loi mais, en vain, le refrain du morceau démontre le contraire. Le tout est suivi par une mélodie agrémentée d’une sirène angoissante suivie de quelques percussions aiguës.

Mais Vince Staples est aussi attiré par les femmes qui lui permettent de rester un peu en-dehors de ce cercle vicieux. Il apprécie en particulier une latino-américaine qui réside vers son voisinage. Dans Loca (ambiance latine) l’emcee avoue que cette femme le rend fou. D’ailleurs on peut apprécier la jolie prestation de Jhene Aiko qui vient prêter main forte dans Lemme Know qui est une suite de la relation citée dans le morceau précédent.

Retournons dans des faits plus marquants. La drogue et le traffic qui arpentent les rues (Dopeman). L’addiction, la perte de contrôle et toutes les conséquences qui s’en suivent (Jump Off The Roof). Tous des faits impregnés dans une société comme celle d’où est originaire Vince.

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Dans la deuxième partie du projet, le rappeur relate des cas plus personnels comme la rue où il habitait (3230) ou la mort de ses proches dans le majestueux Surf et son impressionnante instrumentale qui nous plonge directement au cœur des rues. Cependant, on retrouve aussi des morceaux plus paisibles et émotionnels comme Might Be Wrong où le rappeur va creuser plus loin et essaie de chercher l’origine de tout ces délits et crimes perpétués. Un morceau à donner la chair de poule qui est parfaitement géré par les chants vocaux de James Fauntleroy ainsi que Cocaine 80’s.

Ensuite, plus on s’approche de la fin de l’album, plus Vince Staples aborde des problèmes sociaux et complexes comme dans C.N.B. (Coldest Nigga Breathing) où il n’hésite pas à divulguer les soucis actuels qui résident dans sa communauté comme le racisme, la pauvreté, la violence ou encore la gentrification. L’EP se finit par un morceau qui sample Outkast. Intitulé Like It Is, il aborde, contrairement aux autres, une once d’espoir et de réussite pour les résidents des quartiers pauvres.

I been through hell and back, I seen my momma cry
Seen my father hit the crack then hit the set to flip a sack
I done seen my homies die then went on rides to kill ’em back
So how you say you feel me when you never had to get through that?
We live for they amusement like they view us from behind the glass
No matter what we grow into, we never gonna escape our past
So in this cage they made for me, exactly where you find me at
Whether it’s my time to leave or not, I never turn my back

Summertime 06′ s’impose sans aucun doute comme l’album qui pourrait concurrencer celui de Kendrick en fin d’année. Ironie du sort, le sujet et le thème qui gravite autour du projet nous rappelle aussi un certain Good Kid, M.A.A.D City sorti il y a trois ans par… Kendrick Lamar qui lui, s’occupait de raconter son histoire d’enfance vécue dans les quartiers de Compton. Long Beach ou Compton, la question va plus loin et ces deux artistes nous l’on bien fait comprendre. Avec un projet qui s’apparente plus à un documentaire que l’on pourrait visionner à la télévision, Vince Staples nous fait prendre conscience (encore une fois) des problèmes économiques, sociaux et politiques que traverse les Etats-Unis. Par ailleurs, il nous fait prendre conscience également qu’il fait désormais partie de la cour des grands. En effet, après un Hell Can Wait qui avait fait la quasi-unanimité dans les critiques l’année passée, le jeune californien place la barre encore plus haute avec Summertime 06′. Un projet géré de main de maître avec l’aide de No I.D., le producteur exécutif qui a su instaurer une ambiance terne et morose qui convient parfaitement à Vince afin qu’il puisse exploiter à merveille ses couplets tranchants qui respirent l’honnêteté et la souffrance endurée.

Kevin

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US : Les albums à ne pas rater pendant la période d’examens

Chaque année c’est la même chose, le fait d’être étudiant est un inconvénient pendant les examens estivaux. En effet, une majeure partie des sorties rap se passe pendant cette période-là. Alors oui, on a quand même bien pu écouter les projets de quelques artistes en révisant la comptabilité ou le marketing, mais rien n’a vraiment été rapporté sur le site. Alors Hip Hop State Of Mind a pensé à toi et te dresse une liste des meilleurs albums studios US sortis dans le courant avril-juin. Et oui, il y a eu de jolies pépites qu’il ne fallait en aucun cas rater.

Boosie Badazz – Touchdown 2 Cause Hellhttps://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/8/84/TD2CH_album_cover.jpg

Il n’y a pas longtemps, nous avions déjà effectué un article sur le mauvais garçon de Baton Rouge dès sa sortie de prison. Nous lui avons prédit du succès et un album studio réussi courant 2015 et c’est chose faite. Cinq ans après, Incarcerated, son dernier projet officiel datant de 2010, l’homme qui se fait désormais appeler Boosie Badazz (anciennement Lil’ Boosie), nous délivre sur son nouvel album toutes ses souffrances endurées ces dernières années derrière les barreaux. Un projet transpirant le coin des rues de A à Z bien aidé par des productions très bien menées par des experts de la trap comme Mouse On Tha Track, J Reid et le très courtisé London On Da Track. Fidèle à sa street-credibility et à sa voix extravagante, Boosie nous offre des morceaux énergiques et souvent accompagnés de boucles de piano comme les puissants RetaliationHip Hop Hooray (avec son fidèle lieutenant Webbie) ou encore On Deck accompagné de Young Thug. Cependant, le rappeur de la Louisiane pense toujours à sa gente féminine, et sur la deuxième moitié de Touchdown 2 Cause Hell, l’ambiance descend d’un cran et les productions s’avèrent être plus soft et paisibles. Mention spéciale à Spoil You ou encore Black Heaven (où J.Cole figure comme invité surprise). Par contre, avec 19 morceaux à son actif, l’album aurait été de meilleure qualité si quelques titres avaient été dispensés de la tracklist finale. Mais après un retour tonitruant avec sa mixtape Life After Deathrow et maintenant ce projet officiel, le rappeur de la Louisiane a déjà bien reconquis son public, même s’il ne l’avait réellement jamais perdu.

Dom Kennedy – By Dom Kennedyhttps://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/0/08/By_Dom_Kennedy.jpeg

Ah sacré Dom, qu’est-ce que tu nous avais manqué. Get Home Safely paraissait déjà bien loin alors qu’il ne date que de 2013. Mais bon, quand on a un flow aussi flegmatique que le tien et qu’on est aussi attaché aux mélodies de la côte Ouest, il est difficile de te trouver un remplaçant, voire un rappeur officiant d’intérim. Mais voilà, tu es revenu avec By Dom Kennedy. Certes, tu aurais pu trouver mieux comme titre d’album, mais ce problème est vite résolu lorsque l’on commence l’écoute de ton nouveau projet. Des ambiances comme toujours très estivales, une gestion de l’album toujours aussi simple mais compacte et grandement menée. Tous ces ingrédients qui donnent au final un opus que l’on pourra écouter sans soucis et sans prise de tête pendant tout cet été au bord de la plage ou dans sa voiture. Bien qu’il ait produit un des projets de l’année, Kendrick a un peu oublié ses racines californiennes, mais toi non. Et on te remercie. D’ailleurs, il faudra toujours nous expliquer comment tu fais pour sortir des hits estivaux comme Fried Lobster, parce que là… ça frise le ridicule pour tes autres concurrents. Ah, j’allais oublier, bien que fervent de la côte est, Biggie aura sûrement apprécié le petit hommage sur Thank You Biggie. Reviens vite Dom. Reviens vite.

Dizzy Wright – The Growing Process

Passé inaperçu et ayant un peu déçu depuis sa nomination dans la liste XXL Magazine des Freshman Class 2013, Dizzy Wright a enfin démontré qu’il méritait cette place avec son deuxième album solo intitulé The Growing Process. Plus mature et plus impliqué, le natif de Las Vegas n’a pourtant pas trop changé son style. Fidèle à une vibe toujours aussi paisible et décontractée, le rappeur à réussi à nous imprégner dans l’ambiance de son album qui, il faut le dire, ne contient aucun déchet. Il est accompagné par son mentor et « oncle » de toujours qu’est nul autre que Layzie Bone, éternel membre du groupe légendaire des Bone-Thugs-n-Harmony mais aussi par Krayzie Bone qui vient prêter sa plume sur le très planant Don’t Ever Forget, hymne à la fumette. Que ça soit sur la poignante dédicace qu’il fait à sa fille (Daddy Daughter Relationship), sur le magnifique morceau où il est accompagné de Big K.R.I.T et Tech N9ne (God Bless America) ou encore sur l’hommage qu’il fait à Me Against The World (2Pac) et à In A Major Way (E-40) sur Train Your Mind, on ne s’ennuie pas lors de l’écoute entière de l’album. Mais l’homme qui a les mêmes yeux que Wiz Khalifa démontre aussi qu’il est à l’aise dans d’autres domaines avec des morceaux plus « turnt-up » comme le très réussi Floyd Money Mayweather. Son point fort, sans aucun doute sa capacité à bien choisir des hooks accrocheurs mais surtout son habilité à aborder des sujets d’actualité tout en restant technique et polyvalent derrière le micro.

Denzel Curry – 32 Zel/Planet Shrooms32 Zel - Planet Shrooms.jpg

Avec ce double EP à quatorze titres, Denzel Curry fait suite à Nostalgic 64, album qui lui avait permis de se faire connaître auprès du grand public. Dans ce nouveau projet, Denzel reprend les mêmes recettes qui ont fait croître sa notoriété. C’est-à-dire un rap funèbre, très sombre, des paroles morbides et une ambiance lugubre voire menaçante qui nous accompagne chaleureusement du début à la fin de l’album. Comme à son habitude, le meilleur ami de Dark Vador fait souvent référence à des films dans ses textes en n’hésitant pas à jouer avec des métaphores comme par exemple sur Envy Me :

Take down the empire bruh / In the hood just robin like William’s / Lets hope that they’ll never doubtfire

On retrouve cependant quelques morceaux moins obscurs sur cet opus comme le superbe Delusional Shone où le natif de Carol City (Floride), offre une prestation énergique sur une production remplie de synthés qui s’apparente à un style plus trap et sudiste. Hors de son domaine, Curry prouve qu’il peut aussi se divertir dans d’autres milieux avec un refrain plus joyeux et chanté. La fin du morceau est une instrumentale différente à celle du début qui nous fait partir sur un trip assez schizophrénique. Schizophrénique, tel est aussi l’adjectif qui pourrait qualifier ce projet. Comme le précédent de Curry d’ailleurs. Les productions ne sont pas seulement sombre et glauques, mais on ne serait pas surpris que le producteur aurait été sous l’emprise de stupéfiants lors de la réalisation des instrumentales qui, par ailleurs, réussissent très bien au style du rappeur. Un projet complet de bout en bout qui, comme son précédent, n’est pas accessible à tout le monde. Cependant, Curry reste fidèle à son style et devrait ravir ses fans avec ce double EP.

A$AP Rocky – At.Long.Last.A$APAtLongLastASAPCover.jpg

Ben oui, il fait partie de cette mini-cuvée pré-estivale et ne nous a en aucun cas échappé. Malheureusement, sorti pendant la période intensive des examens, l’album sophomore d’A$AP Rocky n’a pas eu le droit à sa chronique complète. Alors pour nous pardonner, il figure dans cette liste. Un album qui suit apparemment la même lignée que son précédent, mais pas complètement. En effet, Lord Pretty Flacko apparaît plus sérieux et introspectif dans A.L.L.A. en majeure partie dû à la perte d’A$AP Yams son ami de toujours et le créateur d’A$AP Mob. Plus réussi, plus mature et plus innovant que son premier opus, on retrouve des morceaux diversifiés mais qui sont homogènes les uns par rapport aux autres. Un projet qui passe par plusieurs ambiances, l’originalité d’un L$D mi-rappé et mi-chanté qui nous amène dans un énième univers créé par Flacko. Ou encore l’ode dédiée à Max B dans le morceau avec le titre éponyme qui est magnifiquement géré par A$AP et le surprenant Joe Fox au refrain, inconnu au bataillon jusqu’ici. Plusieurs atmosphères différentes qui permettent au natif de Harlem de livrer cette année un album géré de bout en bout, à sa sauce avec aucun déchet. Mention spéciale au come-back du toujours tant attendu Mos Def sur Back Home concluant un album qui pourrait prétendre être l’un des meilleurs de cette année 2015 très prolifique.

Kevin

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[Top Of The Month US] Avril 2015

On ne cesse de le répéter, l’année 2015 est grandiose. Les sorties de qualité se succèdent à un rythme effréné et il est donc difficile de tout retenir. Durant ce mois d’avril, Raekwon a fait son retour avec Fly International Luxurious Art, Yelawolf est revenu à ses premiers amours sur Love Story et Tyler, The Creator a sorti un album surprise. Curren$y a lui livré le troisième volet des Pilot Talk, Tech N9ne son quinzième album tandis que Young Thug, Audio Push et Bankroll Fresh ont sorti une mixtape. Si vous n’avez pas réussi à suivre le rythme du mois d’avril, vous trouverez donc dans ce top un bref résumé, bien que toujours incomplet (les absences de Project Pat, La ChatL’Orange & Jeremiah Jae ou Oddissee tous auteurs de projets le mois dernier). Même à nous, 2015 nous donne du fil à retordre.


1. Vic Mensa – U Mad (Feat. Kanye West) [Prod. Charlie Heat, Kanye West, Mike Dean, Smoko Ono et Stefan]
2. A$AP Rocky – M’$ [Prod. Honorable C.N.O.T.E & Mike Dean]
3. Snoop Dogg – So Many Pros [Prod. Pharrell Williams]
4. Yelawolf – Best Friend (Feat. Eminem) [Prod. WillPower & Eminem]
5. Boogie – Oh My [Prod. Jahlil Beats]
6. Young Thug – Check [Prod. London’ On Da Track]
7. Bankroll Fresh – Everytime (Feat. Spodee & Street Money Red) [Prod. Fki]
8. Young Thug – Numbers [Prod. London’ On Da Track]
9. Audio Push – Reset [Prod. OZ]
10. Boosie Badazz – Retaliation [Prod. London’ On Da Track]
11. Duru Tha King – #Nomadic (Feat. Scotty ATL) [Prod. Joe Hodges]
12. Curren$y – Froze (Feat. RiFF RaFF) [Prod. Harry Fraud]
13. Nikko Lafré – 4 A.M. [Prod. K-BeatZ & Johnny Rain]
14. Tory Lanez – In For It [Prod. RL Grime]
15. Audio Push – Normally [Prod. Hit-Boy & Dot Do Genius]
16. Da$H – Mudd Walk [Prod. Metro Boomin’]
17. Curren$y – Life 2 Die For [Prod. Purpdogg]
18. Raekwon – I Got Money (Feat. A$AP Rocky) [Prod. S1]
19. Tyler, The Creator – Smuckers (Feat. Lil Wayne & Kanye West) [Prod. Tyler, The Creator]
20. Tech N9ne – Speedom (WWC2) (Feat. Eminem & Krizz Kaliko] [Prod. Seven]

Par Dimitri.

Best Of Du Mois Rap US Top Songs

[Chronique] Young Thug – Barter 6

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En 2002, Lil Wayne intitulait son troisième album solo 500 Degreez, en réponse à la trahison de Juvenile qui venait de quitter Cash Money Records et pour déclarer qu’il était plus bouillant que son 400 Degreez sorti quatre ans plus tôt. Treize ans après, alors que Lil Wayne réclame des millions et menace de quitter ce même label, Young Thug, nouveau protégé de l’opportuniste Birdman, reprend de force le flambeau en sortant le sixième volet de la série Carter. Craignant une poursuite de Lil Wayne, il le renomme Barter 6 (aussi pour souligner son appartenance aux Bloods qui remplacent les lettres « C » par des « B »). Cet album, rapidement devenu mixtape, sonne autant comme un hommage que comme une attaque à Lil Wayne, impliquant peut-être un changement de dynastie. Barter 6 pourrait donc être un cap important. 

Barter 6 commence là où s’était arrêté Tha Tour Part. 1. En effet, on retrouve London’ On Tha Track, qui en était l’architecte principal, et Wheezy qui avait signé le seul Milk Marie. Sur cette nouvelle mixtape, les rôles s’échangent: London’ On Tha Track distille ses interventions, Wheezy prend les rênes mais cette ambiance de virée nocturne persiste. Dans cette atmosphère très classe tout en étant obscure, on retient quelques morceaux qui sortent du lot (l’entêtant Check, le magnifique Numbers ou le sombre Dome) et certains qui tirent le lot vers le bas (OD et son instrumentale qui s’efface devant la prestation de Young Thug, Amazing et son beat répugnant). La mixtape est bonne dans son ensemble mais peu de titres paraissent évidents au milieu de cette ambiance très travaillée. Malgré les bonnes apparitions de Duke, T.I. ou Yak Gotti, l’écoute de Barter 6 ressemble à la seule écoute d’un fou et de ses bizarreries, le tout sur de bonnes instrumentales qui peinent pourtant à marquer les esprits (la faute à Wheezy?).

Si Barter 6, mixtape pensée comme un album, n’est pas tout à fait le cap qu’on voulait que Young Thug franchisse, il ne faut pas oublier qu’il a fallu à Lil Wayne plusieurs années avant de devenir cet artiste global. Il a fallu également que Lil Wayne s’affranchisse du son de Mannie Fresh, après que ce dernier ait quitté le label, en rappant sur les instrumentales des autres comme sur les mixtapes Dedication ou en allant chercher d’autres producteurs sur Tha Carter II. Bien qu’on attende toujours Metro Thuggin’, son album en collaboration avec Metro Boomin’, Young Thug gagnerait peut être à diversifier ses producteurs, à chercher ailleurs qu’à Atlanta, afin d’élargir ses horizons, et donc de toucher d’autres publics, et de re-créer la surprise.

Par Dimitri. 

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[Chronique] Yelawolf – Love Story

Épaulé par deux légendes, Eminem et DJ Paul, et bien qu’il ait collaboré avec les plus grands, de Gucci Mane à Raekwon en passant par Big Boi, Yelawolf semble pourtant courir constamment après la reconnaissance. Après une quatrième mixtape en 2010 qui attire la convoitise d’Interscope, il sort l’excellent Trunk Musik 0-60, signe dans la lignée sur Shady Records et apparaît parmi les Freshmen de 2011. Cette belle ascension fut stoppée nette après son premier album en major, un médiocre Radioactive sur lequel il n’a pas confirmé. Ensuite, Yelawolf s’est fait plus discret, malgré la sortie de projets avec Ed Sheeran, Travis Barker ou DJ Paul, et est revenu vers ses premiers amours, un rap baigné dans le rock et la country, comme le confirment les extraits de Love Story, son nouvel album qui pourrait bien lui permettre de s’imposer pour de bon.

En effet, Yelawolf est revenu dans un style plus personnel, premièrement en créant un univers entre rock et country, ses deux influences principales. Ainsi, on se retrouve, tout au long de Love Story, dans une atmosphère très sudiste, où les Chevrolets, le whisky et les bottes Lucchese sont à la mode, et où certaines instrumentales ne sont formées que par des guitares acoustiques (Ball and Chain (Interlude), Devil In My Veins, Have A Great Flight). La religion y est aussi importante, comme sur Best Friend ou Disappear dans lequel Yelawolf livre une longue prière en s’adressant à Jésus Christ comme si ce dernier était son père. Enfin, le tout est très mélodieux, Yelawolf poussant la chansonnette sur tous les titres. Au final, Love Story est un road trip à travers l’Alabama, une douce soirée d’été. A l’écoute de l’album, on est surpris de s’imaginer cheveux dans le vent parcourir cet Etat, en bonne compagnie (cet album est aussi une histoire d’amour), une guitare sur le siège arrière, un verre de whisky qui nous attend au bar.

Enfin, cet album est également plus personnel car Yelawolf n’y a pas invité n’importe qui comme sur son précédent disque. Love Story se résume à trois personnes : WillPower et Malay, qui produisent la majorité de l’album, créant cette homogénéité très plaisante, et Eminem, seul featuring, sur Best Friend. Toutefois, Marshall Mathers reste très présent sur ce disque, tant son influence est prédominante. Comme son mentor, Yelawolf possède cette propension à se livrer (le magnifique Till It’s Gone, Johnny Cash qui dépeint son rapport à la scène) et à flirter dangereusement avec la pop (American You, Heartbreak). Par instant, il rappe même avec une hargne et un flow incisif qui rappellent le Marshall Mathers des années 2000 (le premier couplet de Love Story ou le dernier d’Empty Bottles).

Alors qu’il signait en 2007 sur Columbia Records, Yelawolf quittait le label six mois plus tard, la queue entre les jambes. Trois ans après, il faisait partie des têtes d’affiches de la nouvelle scène et prenait sa revanche en signant sur Interscope. Après le décevant Radioactive, Love Story sonne également comme une revanche. Entre Garth Brooks et Eminem, rock, country et rap, Yelawolf y livre un album personnel, impeccablement rappé, chanté et produit, qui a tout d’un grand disque.

Par Dimitri.

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[Top Of The Month US] Mars 2015

Outre certains extraits des projets qui ont marqué le mois de mars, To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar, 56 Nights de Future, Ludaversal de Ludacris ou encore Pronto de Freddie Gibbs, vous retrouverez dans ces vingt titres l’assurance d’écouter d’excellentes choses dans les prochains mois. Denzel Curry est enfin sorti de son silence en publiant Envy Me, nouveau titre qui annonce son prochain double EP qui sortira le 26 mai. Snoop Dogg est revenu avec du soleil (et Pharrell Williams) pour Peaches N Cream, premiers single de BUSH, son treizième album. En outre, YelawolfWaka Flocka Flame et Lil Durk vont chacun sortir un album. En 2015, les mois se succèdent et les bonnes surprises font de même. Pourvu que ça dure.

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1. Future – March Madness [Prod. Tarantino]
2. Freddie Gibbs – Pronto [Prod. Mikhail & Pops]
3. Kendrick Lamar – King Kunta [Prod. Sounwave & Martin]
4. Denzel Curry – Envy Me [Prod. Ronny J]
5. Snoop Dogg – Peaches N Cream (Feat. Charlie Wilson) [Prod. Pharrell Williams]
6. Future – Trap Niggas [Prod. Southside]
7. Bodega Bamz – Bring Em Out (Feat. Flatbush Zombies) [Prod. V’Don]
8. Ludacris – Beast Mode [Prod. 1500 Or Nothin’]
9. Lupe Fiasco – Atomic Misphilosophy [Prod. 1500 Or Nothin’]
10. Yelawolf – Led Zeppelin Freestyle [Prod. Led Zeppelin]
11. Chinx – Dope House (Remix) (Feat. French Montana & Jadakiss) [Prod. Velous]
12. Beedie – Make A Wish (Feat. Wiz Khalifa) [Prod. Jay Card & Will Brown]
13. Flatbush Zombies – RedEye To Paris (Feat. Skepta) [Prod. Erick Arc Elliott]
14. Ludacris – Come And See Me (Feat. Big K.R.I.T.) [Prod. Mike Will Made It]
15. B. Wil – Ridin’ Sleath (Feat. Boosie Badazz)
16. Lil Durk – Like Me (Feat. Jeremih) [Prod. Boi-1da & Vinylz]
17. Scotty ATL – Keith Sweat (Feat. Big K.R.I.T., Goldy & London Jae) [Prod. DJ Burn One]
18. Ace Hood – 100 Foreva [Prod. Sonny Digital]
19. Waka Flocka Flame – Rotation (Feat. Future) [Prod. Southside]
20. Wiz Khalifa & Ty Dolla $ign – Post Up [Prod. Ty Dolla $ign]

Par Dimitri.

Best Of Du Mois Rap US Top Songs

[Chronique] Kendrick Lamar – To Pimp A Butterfly

Kendrick Lamar… Ce nom n’a cessé de résonner dans la tête des amateurs de Hip-Hop depuis son premier album studio, Good Kid, M.A.A.D City, acclamé dès sa sortie comme un classique, chose plutôt rare pour les rappeurs d’aujourd’hui. Seulement Kendrick Lamar n’est pas tout à fait comme n’importe quel rappeur lambda. Entre la sortie de GKMC et celle de To Pimp A butterfly, son nouvel album, rares ont été ses sorties, tant médiatiques que musicales, gonflant ainsi les attentes de ses fans, de plus en plus nombreux depuis son succès mondial de la fin 2012. 

La sortie d’un album de Kendrick Lamar est à marquer au fer rouge tant l’excitation provoquée paraît irréelle. Il faut dire que le rappeur de Compton nous a habitué à des recueils de qualité; Good Kid, M.A.A.D City, qui l’a consacré aux yeux du grand public, bien évidemment, mais également son premier projet, moins connu mais tout autant délicieux, Section.80. Normal donc que ses sorties soient autant scrutées. To Pimp A Butterfly n’aura ainsi pas échappé à la règle. Après le single controversé « i », acclamé par la critique, moins par ceux qui ne sont pas grands fans des mélanges de genres musicaux, ou le très engagé The Blacker The Berry, c’est donc un album attendu au tournant qui débarque dans les bacs.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’encore une fois Kendrick Lamar aura surpris tout son monde avec un album d’une qualité hors du commun. Entouré de producteurs tels que Flying Lotus, Terrace Martin ou encore Pharrell Williams, le rappeur de Compton a choisi de se lancer dans la musique black dans son ensemble, s’appuyant sur des instrus totalement novatrices faites de mélanges de Blues, Jazz, Soul ou encore de Funk. Kendrick a ainsi su sur cet album se renouveler tout en se basant sur ses acquis de longue date; à savoir une voix autant précieuse que singulière, un flow plus qu’entraînant, des gimmicks originaux et une parfaite maîtrise des temps morts, comme ces interludes ou ces dialogues auxquels il nous a habitués sur ses précédents projets. Vous l’aurez donc compris, Kendrick a fait du neuf avec du vieux, et réussi un pari osé en créant un album cohérent aux contours bien définis.

Car tel le Ghetto Pasteur, Kendrick prêche tout au long de cet album la bonne parole. Celle qui a vu les noirs s’émanciper de la ségrégation dans les années 60 aux USA. Il n’utilise ainsi pas uniquement les sonorités des musiques noires américaines, mais également les codes de cette culture à une époque où elle n’est pas réellement valorisée, histoire de mettre en lumière cette partie sombre de l’histoire, de rappeler les maux passés, afin de ne pas les oublier mais également ne pas les reproduire. Car c’est bien là le point majeur de son raisonnement. S’il parle souvent du passé, les motivations de Kendrick sont décidément bien dirigées vers le présent, comme si la société américaine n’avait jamais vraiment réussi à détruire cette séparation, celle qui a vu les ghettos des grandes villes américaines se transformer en cités pour les noirs, là où la misère est cachée, où le confort est accessoire, où le bonheur ne s’achète pas.

Utilisant la narration pour conduire le spectateur dans une aventure, To Pimp A Butterfly est plus qu’un album, c’est une expérience au coeur des ghettos noirs, au coeur des problèmes des gens qui comptent peu, ceux que l’on ne montre pas à la télé, qu’on n’écoute pas souvent et qui sont livrés à eux-mêmes. Ces gens-là, Kendrick leur fait une ode dans un album décidément engagé pour une cause oubliée. Rappelant le titre du célèbre livre, To Kill A Mockingbird, dans lequel Harper Lee fait une comparaison entre ces oiseaux moqueurs, qui ne nichent pas dans les jardins ou sur les toits des humains mais qui se contentent de chanter pour leur oreille et qui sont pourtant pris pour cible, et les hommes de couleur; To Pimp A Butterfly veut casser l’image de l’homme noir qui est généralement montré comme un gangster, et dont les vraies valeurs ne sont que très peu représentées.

C’est ainsi que Kendrick nous conduit dans un voyage alliant tous les aspects de la communauté black des Etats-Unis, celle de laquelle il est issu et celle qu’il veut aujourd’hui à tout prix mettre en lumière. Entre culture musicale, valeurs de la vie en communauté et problèmes du quotidien, To Pimp A Butterfly est autant une aventure singulière dans la vie difficile que mène cette communauté, qu’un plaidoyer pour rappeler les blessures d’un combat qui ne s’est jamais réellement arrêté, mais qui s’est plutôt fondu dans le décor afin de se faire oublier. Le tout en musique, réalisé de main de maître par celui qui s’élève de plus en plus comme l’unique voix de tout un peuple.

Par Manu.

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[Rétro] OutKast – Stankonia

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Sur Aquemini, entre la deuxième et la troisième piste, on pouvait entendre une interlude durant laquelle un individu se plaignait des changements opérés par OutKast à chaque album. Alors que ce troisième disque venait de sortir, il s’indignait qu’André 3000 et Big Boi étaient passés du statut de pimps, à celui d’ATLiens et suggérait qu’ils parleraient ensuite d’un « espace noir vertueux », afin de mieux souligner leurs diverses mutations. Ainsi, il est aisé d’imaginer la réaction de cette même personne après l’écoute de Stankonia, quatrième album qui, par l’influence d’une multitude de genres, tentait des expérimentations encore plus poussées.

En effet, le duo touchait à tout sur cet album. Après une introduction aérienne, on retrouvait du rock sur Gasoline Dreams, des inspirations funk et soul sur l’incroyable So Fresh So Clean ou le grandiose Ms. Jackson, puis des sonorités drum’n’bass sur l’explosif B.O.B. Alors que certains titres comme Spaghetti Junction ou We Luv Deez Hoez nous rappelaient des sentiers familiers, d’autres morceaux s’inspiraient de courants musicaux sans toutefois s’inscrire dans un créneau précis. Ainsi, on retrouvait sur le violent Snappin’ & Trappin’ un couplet ragga mais l’instrumentale n’appartenait à aucun genre connu. Humble & Mumble commençait avec un beat up-tempo minimaliste qui lorgnait vers la salsa mais terminait sur une instrumentale ponctuée de scratch qui se rapprochait plus du rap. Il en était de même de cet indescriptible Stanklove et des autres titres qui formaient ainsi un ensemble très dense, un puzzle d’influences et d’expérimentations.

« That music was starting to sound real comfortable. There wasn’t any adventure to it » ¹

Stankonia était le nom du studio que venait d’acheter le duo une année auparavant, studio qui appartenait à l’époque à Bobby Brown. Place sentimentale, c’est ici qu’ils avaient enregistré leurs premiers essais sur une instrumentales des TLC, en 1992. Huit ans plus tard, fatigués par la monotonie du rap de l’époque, André et Big Boi avaient alors arrêté d’en écouter lors de la conception de Stankonia. Libéré des contraintes temporelles liées à l’utilisation d’un studio privé, OutKast pouvait ainsi expérimenter et s’écarter des sentiers classiques du rap mais également des paroles démagogues du Dirty South. Car, en effet, Stankonia n’innovait pas que par son audace musicale mais également car il touchait une multitude de sujets. Sur Gasoline Dreams, le ton était conscient tandis que, sur Ms. Jackson, le duo revenait sur leur mariage raté en s’adressant à leur belle-mère. De la fausse galanterie de I’ll Call Before I Come au discours encourageant du très beau Humble Mumble, le duo touchait à divers sujets, souvent à vocation sociale, mais avec le décalage suffisant pour ne pas être ennuyeux.

Quinze ans, deux Grammys Awards et des millions d’exemplaires vendus plus tard, Stankonia continue de vivre. C’est en tout cas ce qu’on ressent à l’écoute de To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar. Comme OutKast, Kendrick puise dans des influences diverses en créant un album dense, à vocation sociale et à contre courant du rap d’aujourd’hui. Au delà de sa perfection, Stankonia montre également l’audace d’un groupe et d’un album qui ont traversé le temps.

¹: André 3000 dans un entretien avec Tom Moon: http://goo.gl/v2ayw8

Par Dimitri. 

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