Plus les mois passent, et plus l’année 2015 s’affirme comme une grande année pour le hip-hop. Du côté francophone, on retrouve notamment pour ce mois d’avril le TSR Crew avec deux extraits de Passage Flouté, leur nouvel album, mais également Booba avec le très bon LVMH ou Dosseh avec un nouvel hors-série intitulé Que d’la D. Lomepal, Nekfeu ou Aladin 135 sont également présents, tandis que Le Gouffre nous propose une réelle démonstration de maniement de mic’ de 13 minutes sur leur énorme Générique 2 Fin. Le rap français se porte très bien, merci pour lui.
TSR Crew – Ici [prod. Art’Aknid]
Booba – LVMH [prod. X-Plosive]
TSR Crew – Sans sommation part. 3
Dosseh – Que d’la D [prod. Lex Abraham]
Le Gouffre – Générique 2 Fin [prod. I.N.C.H]
Nekfeu – Egérie [prod. Hugz]
Veerus x Caballero – Merveilles [prod. Just Music Beats]
Deen Burbigo – Avertis [prod. Cookin’ Soul]
Aladin 135 – T’endors pas feat. Nekfeu [prod. Juxebox]
Lomepal – Majesté [prod. Stwo]
Aladin 135 – Déjà
Lomepal – La Marelle [prod. Hologram Lo]
Makala – Big Daddy Mak [prod. Pink Flamingo]
Mac Tyer – Je suis une légende [prod. GoFast Musik]
Depuis Futur, son sixième album sorti en 2012, puis sa réédition l’année suivante, Booba ne fait plus l’unanimité. Alors qu’il touchait des sommets sur Lunatic ou Autopsie Vol. 4, B2O a montré ensuite se satisfaire dans une certaine facilité comme le montre l’inégalité des deux projets suivants ou ses apparitions sur les morceaux de Kaaris, Alonzo ou 40000 Gang. Naturellement, cette complaisance s’est ressentie en partie dans les extraits de D.U.C, septième album événement. Alors que 3G ou Tony Sosaétaient excellents, OKLM et Billets Violets montraient un rappeur en roue libre se complaire à écraser la concurrence et amasser les liasses sans trop d’efforts. Entre génie et facilité, instants de grâce et fautes de goûts, D.U.C ne fait ainsi que prouver un peu plus ce que laissait entrevoir Futur.
Ce septième album est un disque décomplexé. Du haut de sa richesse, Booba expérimente et s’aventure vers d’autres sentiers. Ainsi, on retrouvera des sonorités électroniques sur Loin d’ici ou All Set, des instrumentales tout en piano comme Mon Pays ou LVMH, du reggaeton sur G Love et les habituelles ballades auto-tunées, le tout au milieu d’une trap toujours autant inspirée du rap américain (on peut par exemple deviner du London’ On The Track sur Les Meilleurs). Toutefois, bien que ces expérimentations soient intéressantes, elles montrent un manque de direction artistique, déjà caractéristique de Futur. Très long, D.U.C contient des erreurs et d’inadmissibles fautes de goût: l’auto-tune de Jack Da est repoussant, celui de Billets Violets ruine l’instrumentale de Wealstarr, les expérimentations électro sont ratées et la connexion avec Lino n’épouse pas totalement les attentes d’une telle collaboration.
Semelles rouges: c’est pas Louboutin, c’est le sang de l’adversaire
Est-ce que mon fils est un gosse de riche si j’l’ai conçu dans le RR ?
Cependant, le Duc évite le naufrage avec de réels morceaux de bravoure. Il y a d’abord D.U.C et sa splendide instrumentale d’X-Plosive, puis l’énergique collaboration avec Future, décidément imbattable ces derniers mois. Le très bon Mr. Kopp rappelle l’époque 0.9 tandis que l’hypnotique La Mort leur va si bien, bien que connu depuis plus d’un an, reste un titre imparable. En partie, c’est lorsque Booba se découvre et laisse entrevoir des sentiments ou des faiblesses (l’amour pour sa fille et son fils, les souvenirs de sa jeunesse parisienne, la tristesse du deuil de Bram’s) qu’il arrive à sublimer le caractère de certains morceaux, comme la fausse mélancolie de Mon Pays ou la solitude dans LVMH. Certains souhaitaient l’album de trop, d’autres voulaient un chef d’oeuvre, D.U.C se situe entre ces deux pôles: trop long, il contient beaucoup de fautes de goût mais assez d’instants de grâce pour valoir une écoute et espérer en vivre plusieurs.
Je sais plus quoi mettre, je suis trop bien loti
Je t’en prie, marche sur mes Zanotti
Alors qu’il chante faire du sale mais n’avoir plus la rage sur Billets Violets, c’est justement les titres dans lesquels Booba montre de la détermination qui sont les plus réussis, comme 3G, écrit en réponse aux critiques de Kennedy, Tariq Ramadan et Saïd Taghmaoui sur ses propos sur le conflit israélo-palestinien. Aujourd’hui, il manque à Booba la rage des débuts, le sentiment de pouvoir amasser toujours plus et celui d’être atteignable, en danger. Malheureusement, ce n’est pas les chiffres de vente de D.U.C qui risquent de changer ça.
Or Noir avait été en 2013 le rouleau compresseur qui affirmait Kaaris comme ce rappeur à la brutalité et à l’énergie sans égale. La formule semblait être simple: les os se brisaient, les fluides corporels giclaient. Qu’on en rit, qu’on en ait peur, qu’on adhère complètement ou pas du tout au propos, tout le monde avait entendu parler de Kaaris. Il avait fait son trou avec cet album puissant contenant son lot de pépites comme ses quelques déchets. Mais cette brutalité, cette force bête et méchante, pouvait s’essouffler et s’arrêter à un seul succès comme l’ont déjà fait bien d’autres phénomènes rap. Elle pouvait également devenir monotone et lasser en devenant moins bien exprimée. Chronique de ce deuxième album, (qui aurait pu être) un cap difficile.
L’album commence fort. Kadirov – Se-vrak – Four est un enchainement qui mettrait en fuite un régiment. Enchainement meurtrier qui introduisait déjà Or Noir : Bizon – Zoo – Ciroc. La déferlante de violence sans temps de pause est la même. Même ouverture et même structure qu’Or Noir. Le Bruit De Mon Âme possède son lot bien complet de bangers surpuissants (Se-vrak, Four, Trap, Magnum,…) comme Or Noir. Il possède également son lot de morceaux plus calmes (Tripoli, Le Bruit De Mon Âme, Les Oiseaux,…) comme Or Noir. Le Bruit De Mon Âme est un peu long et possède aussi son lot de pépites comme ses quelques déchets. Et au final, Le Bruit De Mon Âme, comme Or Noir, est très efficace.
J’suis pas venu mettre le doute dans ta tête, J’veux juste mettre du foutre dans ta schnek.
Efficace car Kaaris sait y faire. La voix surpuissante se sert du beat de Therapy comme un viking utiliserait sa hache. Ils vont bien ensemble, ça saigne, mais tout est réglé à la perfection. Ses phrases hachées résonnent sur cette trap basique, saturée, aux basses surpuissantes. L’introduction Kadirov nous emporte immédiatement dans l’orgie de violence. La maitrise du flow de K2A ne fait pas défaut, les mots percutent le beat et chaque silence pue l’attente de la prochaine violence qui sera faite à notre oreille. Dès que le rythme le permet, un gimmick vient remplir l’espace, pas de répit pour l’auditeur. Kaaris est en guerre et ce ne sont pas les idéaux de tolérance à la française qui vont le faire changer d’avis. La morale du XXIème siècle, les doutes existentiels, la politique, l’amour, ce ne sont que des conneries pour Kaaris. Rien de réactionnaire, ses constantes références à diverses cultures actuelles l’ancrent avant tout en 2015. Sa posture est claire : malgré la société compliquée d’aujourd’hui, il n’y a qu’une seule vérité, ou plutôt trois : l’argent, les femmes et le pouvoir. A la conclusion de toutes ses phases, il y a cela : gagner de l’argent, coucher avec de belles femmes, vaincre l’adversaire. Tout le reste, passé sous le tank tagué «27-0-4124 », finit broyé.
La violence de son texte trouve son génie dans ces punchlines qui sortent soudain du lot. Il les construit parfois comme phases iconiques, parfois comme vannes – elles font mouche à bien des coups, dans leur caractère grotesque ou dans leur finesse. Le ton inflexible avec lequel Kaaris les débite accentue l’image de rouleau compresseur que le rappeur donne et les punchlines drôles dont le rappeur n’a pas perdu le secret en sortent d’autant plus déconcertantes.
Pétasse, j’ai envie de voir tes gros seins, viens on se fait un sexcam, Négro, tu veux voir mon gros flingue ? Appelle-moi par FaceTime.
Si Le Bruit De Mon Âme donne la même impression de puissance qu’Or Noir, une autre facette y existe également. Dans 80 Zeutrei, Zone de Transit, Les Oiseaux et plus clairement dans Le Bruit De Mon Âme, Kaaris se livre un peu. Moins évidents pour le rappeur à l’image très violente, ces morceaux participent parfois aux longueurs de l’album. Ils sont néanmoins mieux maitrisés que dans Or Noir. Ils nous accordent quelques temps morts bienvenus comme ces quelques bons refrains de Kaaris, tout en restant bien dans la couleur de l’ensemble grâce au magicien Therapy.
Par ailleurs, la présence de featurings est une évolution notable par rapport à Or Noir. Malheureusement, Kaaris est si difficile à suivre que la plupart des apparitions d’autres rappeurs contribuent à créer ces morceaux de trop de l’album, qui cette fois encore, aurait pu être plus court et plus intense. Vie sauvage en est un exemple où le bon couplet de Kaaris n’arrive pas à compenser les prestations moyennes des autres Sevranais de 13 Block. Néanmoins, Crystal avec Future est une vraie réussite. L’art du refrain du rappeur d’Atlanta et son flow mâché sont merveilleusement complémentaires à la puissance de K2A. Ce morceau est un point d’orgue de l’album, à l’heure où beaucoup de collaborations franco-américaines n’ont d’attraits que les noms qu’on peut lire dans le titre.
Au final, Le Bruit De Mon Âme est définitivement dans la lignée d’Or Noir mais sans décevoir. L’évolution, l’ouverture, Kaaris ne sait même pas ce que c’est. Du sale et encore du sale, c’est tout ce qu’il nous offre. Quelques petites améliorations, des boutons mieux réglés, c’est tout ce qui semble différencier Or Noir du Bruit De Mon Âme. La formule continue à fonctionner, portée par l’alchimie proche de la perfection avec Therapy. Néanmoins, cette fois encore, on regrette les quelques morceaux en-dessous du lot tel que Vie Sauvage ou Voyageur. Cet album de 77 minutes tombe à nouveau dans le travers des projets trop longs. Le rappeur n’a par contre rien perdu de sa puissance et de son éloquence, et, comme s’il lui fallait quelques déchets pour pondre quelques vraies merveilles de violence gratuite, Kaaris continue, infatigable, à donner le meilleur du rap « hardcore » d’aujourd’hui. Sa posture sans compromis, dérangeante, sa situation claire dans le rap à l’extrême du rap brutal de rue, font de K double Rotor un personnage incontournable du rap français. Il est de toutes les fêtes, assez brutal pour avoir une street crédibilité des plus affirmées, mais assez théâtral pour être largement apprécié au second degré. Une chose est sûre, sa silhouette de grand singe n’a pas fini de hanter les rêves du rap français.
Ali, La Rumeur, Atis, Eff Gee, OZ, Riski ou Kaaris ont tous marqué le mois de mars par leur sortie. Toutefois, d’autres nous ont également surpris comme Zekwé Ramos avec une reprise du classique d’Idéal J ou le retour du TSR Crew. Accompagné de son cynisme, Vîrus a gracieusement publié un inédit tandis qu’Alkpote est revenu avec VALD pour un duo dérangé. Des jeunes et des vieux, de la trap et du boom-bap, tout va bien dans le rap français.
1. Kaaris – Crystal (Feat. Future) [Prod. Therapy]
2. Zekwé Ramos – Hardcore 2015 [Prod. Zekwé Ramos]
3. Vîrus – Schmilblick [Prod. Sid Roams]
4. Alkpote – Meilleur Lendemain (Feat. VALD) [Prod. Ovaground]
5. TSR Crew – Tu connais le tarif
6. Riski – Fuego [Prod. Frencizzle]
7. Atis (70CL) – Jette ça en l’air (Feat. Infinit’)
8. JeanJass – Poignée de Punchlines [Prod. Le Seize]
9. Ormaz – Professionnel [Prod. KLM]
10. La Smala – Freestyle AB (Feat. Youssef, Caballero, Neshga, Convok & JeanJass) [Prod. Killodream (Rizla)]
11. Sadek – La Chute
12. Eff Gee – Chef Gee [Prod. Gizzle]
13. OZ – Satan comme p’tit cœur [Prod. RZA]
14. FA2L – Mon Domaine [Prod. Le Flash]
15. Paco – Laisse Nous… [Prod. Manï Deiz]
Du haut de ses 21 ans, Geule Blansh n’a sorti que très peu de morceaux. Pourtant, le rappeur genevois pourrait bien être l’un des rares suisses à percer dans le milieu. C’est en tout cas ce que laisse penser le succès de J’raconte, une vidéo qui comptabilise plus de 130’000 vues sur YouTube, ou le fait qu’il soit le seul suisse à avoir été présent sur Marche Arrière du Gouffre, en 2013, sur lequel se trouvaient Busta Flex, Nekfeu, Niro ou Mac Kregor. Alors qu’il prépare la sortie de son album, nous l’avons rencontré afin de parler de ce qui l’a poussé à rapper, de ses influences, de ce premier album attendu et du succès. Rencontre avec le futur.
Mesh Photography
Hip Hop State Of Mind: Pour commencer, on aimerait que tu reviennes sur tes débuts, sur ce qui t’a donné envie de rapper…
Geule Blansh: En fait, à la base, je n’étais pas trop dans le rap mais j’avais un grand-frère qui en écoutait beaucoup. Mon père était aussi énormément dans la musique. J’écoutais beaucoup de musique mais peu de rap. Ensuite, mon frère me faisait écouter quelques morceaux et, comme on est toujours fasciné par le grand-frère, j’ai fait pareil. Et puis, je me suis dit : « pourquoi pas moi?« . J’ai commencé à gratter des trucs dans ma chambre. Je ne pensais à rien, même pas à faire écouter aux potes, j’écrivais juste.
HHSOM: Et au niveau des influences, quels sont les artistes qui t’ont marqué?
Geule Blansh: La Scred Connexion. Au début, j’écoutais des morceaux de la Scred et j’écrivais par-dessus, carrément. C’était aussi à l’époque où les singles sortaient, avec le morceau accompagné d’une Face B. J’avais un vieux natel à l’époque, je mettais les Face B des singles de 50 Cent, In Da Club par exemple, ou Fat Joe aussi, Lean Back (Rires). Je rappais dessus et j’enregistrais comme ça. Je faisais écouter aux potes, ils se foutaient de ma gueule mais c’était drôle. J’ai jamais lâché pourtant…
HHSOM: Au niveau suisse, il y a des artistes qui t’ont influencé?
Geule Blansh: Beaucoup, Marekage Street, Basengo, Cenzino, Sentin’L, M-Atom, Le Duo. Il y en a trop à citer. J’ai écouté beaucoup de rap genevois. J’allais au Tabac La Bohème, j’achetais toujours des CDs là-bas pour découvrir ce qui se faisait. Mais je pense que Marécage Street sont ceux qui m’ont le plus influencé.
HHSOM: Pourquoi ce blaze « Geule Blansh »?
Geule Blansh: Quand j’étais petit, à l’école primaire, juste après les vacances d’été, j’étais quasiment le seul de ma classe qui n’était pas parti en vacances, qui était resté à Genève. Ils sont tous revenus bronzés. Je me rappelle d’un camarade qui m’avait vanné sur le fait que j’étais plus blanc qu’eux (Rires). Quand j’ai commencé à écrire, je pensais aux chances que je n’ai pas eues par rapport à d’autres et cette vanne symbolisait cela.
HHSOM: Et pourquoi cette orthographe particulière?
Geule Blansh: Pour l’orthographe, je vous le dis direct, c’est parce que j’étais nul en orthographe. Le « Blansh », avec le « sh » à la fin, c’était fait exprès, ça donnait un truc. Mais « Geule », j’étais persuadé à l’époque de l’écrire juste (Rires). Après, c’est resté.
HHSOM: Sinon, on a entendu dire que ton premier album arriverait en 2015? Qu’est ce que tu peux nous dire sur ce disque?
Geule Blansh: Il va sortir en 2015, maintenant je marche avec le label Sans Censure Prod. Je suis à fond avec eux. Là, j’ai quelques textes que je dois finir mais, pour la majorité, on va ré-enregistrer des titres déjà écrits et faire ça « carré ». C’est dans la finition et il ne restera que de l’enregistrement.
HHSOM: Justement, tu peux nous parler de Sans Censure Prod.? Tu as signé récemment avec eux?
Geule Blansh: Oui, c’est des amis de longue date. C’est mon pote, 1’Sang’C, avec qui je suis depuis longtemps, qui a monté ce label. Sans me vanter, j’ai eu plein d’autres propositions de gens qui voulaient me signer mais ça me semblait évident de continuer avec des personnes avec qui je suis depuis le départ. Même s’il y a moins de moyens, je m’en fous. C’est juste important pour moi d’être avec des personnes vraies et avec qui je me sens à l’aise. 1’Sang’C, il était là depuis le départ, quand j’étais dans la merde, quand je ne faisais rien. Pour moi, c’est donc logique de rouler avec eux. Et je leur dois énormément. Si je continue à écrire, c’est grâce à eux.
HHSOM: Pour revenir à l’album, est-ce que tu peux déjà nous dire quels featurings il y aura?
Geule Blansh: Il y aura peu de featurings, je pense. C’est justement ce que je suis en train de regarder en ce moment. J’ai pas mal de featurings déjà enregistrés mais, en même temps, je me dis qu’un album, c’est vraiment personnel. Du coup, je préfère peut-être mettre moins de featurings, mais que ça soit des connexions réfléchies. Dans tous les cas, ça sera un album familial, avec des personnes de mon entourage.
HHSOM: Est-ce que tu vas privilégier un format court?
Geule Blansh: Non, ça sera plus aux alentours de 17 titres, minimum. Pour l’instant, c’est ce que j’ai dans mon optique mais ça peut varier. Trois-quatre featurings et des solos pour le reste.
HHSOM: Et est-ce que tu as un titre pour cet album?
Geule Blansh: Non, pas encore. Ça se décidera sur le tas.
HHSOM: Par rapport à la production, qui peut-on espérer retrouver?
Geule Blansh: Ça varie, il y a du Mani Deïz, du Metronom, du Celloprod, sûrement le meilleur en Suisse, selon moi. Il y en aura pour tous les goûts, je ne vais pas m’enfermer dans un style. Je vais tenter des nouvelles choses comme des instrumentales plus actuelles, des choses qui varient. J’aime tout, du coup, je me verrais poser sur tout, il faut juste que ça me parle. Tu peux me mettre un production à l’ancienne, je peux ne pas aimer, comme tu peux me proposer de la trap, s’il y a un truc dedans, je préférerais la trap à l’autre. C’est comme la musique que j’écoute. Tu peux me mettre du Kaaris, si je vais en soirée, je vais préférer ça à du son qui va te faire déprimer.
HHSOM: Sinon, on aimerait parler de ton collectif, le 13 Sarkastick. Tu as des projets de prévus avec eux?
Geule Blansh: Le 13 Sarkastick, c’est avant tout un groupe de potes. On a jamais commencé à faire des projets ensemble. Ça va se faire c’est sûr mais pas dans la précipitation. On a fait peu de morceaux ensemble malgré le fait qu’on soit souvent ensemble.
HHSOM: Sur J’raconte, tu dis : « j’suis personne dans le rap genevois ». En même temps, ce titre a plus de 130’000 vues sur YouTube. Est-ce que tu sens une certaine forme de succès? Et pourquoi cette phrase malgré ce succès?
Geule Blansh: Quand je vois le nombre de vues, je ne peux pas le nier. En plus, j’ai pas mal de gens qui me contactent. Mais je reste personne dans le rap genevois car je ne suis pas meilleur qu’un autre. Sur YouTube, un chat qui vomit aura plus de vues qu’un gars qui écrit une chanson en six ans et qui mettra tous ses sentiments dans ce morceau. Je suis content mais n’importe qui peut débarquer et faire mieux. Et j’ai beaucoup de respect pour les anciens qui ont sorti plusieurs albums, qui ont fait des concerts partout. Moi, je débarque avec un clip, j’ai rien fait. Même pas une mixtape, seulement deux-trois sons.
HHSOM: Est-ce que tu te vois faire vivre la scène de Genève ensuite?
Geule Blansh: C’est clair. Si j’ai l’occasion, je vais pas cracher dessus. C’est mon rêve, depuis tout petit, je veux faire de la musique. Là, c’est un rêve qui se réalise. Je fais des concerts en France, à Paris, en Belgique, ça tue! Que demander de plus? Je kiffe déjà maintenant alors que je n’ai pas sorti d’album. Quand il va sortir, je me dis que j’aurai encore plus de concerts et donc que je vais pouvoir encore plus kiffer. Après, ça va me donner de la force pour la suite, je pense que c’est une suite logique qui va se faire. Je me lance pas trop parce que, depuis que j’ai commencé, on me dit que tu ne peux pas vivre du rap à Genève. On va pas se le cacher, en Suisse, le seul qui vit de sa musique, c’est Stress. Il fait même des pubs. Tant mieux pour lui, s’il fait ce qu’il aime, je ne vais pas critiquer. C’est clair qu’à Genève, c’est difficile de s’en sortir, il y a jamais vraiment personne qui a percé. J’ai du mal à voir l’image que ça soit moi.
HHSOM: Tu serais prêt à saisir cette chance?
Geule Blansh: Oui, si j’ai cette chance là, c’est sûr. Qui n’a jamais rêvé de faire ce qu’il aime? Franchement?
En 2012, Sentin’L, rappeur genevois d’aujourd’hui 26 ans, rappait: « Mon rêve c’est l’rap, j’voudrais quelques interviews / Qu’on s’intéresse même si on m’demande si j’aime les pâtes », dans Au Large, titre issu d’Entre Parenthèses, un projet téléchargeable alors gratuitement. Trois ans plus tard, il fêtait au Ned Music Club le vernissage de la sortie physique de ce même disque doublé d’inédits, lors d’une soirée qui conviait la quasi totalité des personnes ayant collaboré sur le projet. C’était pour nous l’occasion parfaite de nous pencher sur son travail. Entre chronique d’un projet aux deux vies et focus sur le paysage rap suisse, entretien avec un passionné.
Hip Hop State Of Mind: On aimerait revenir sur tes débuts afin de savoir qu’est-ce qui t’a amené à faire du rap…
Sentin’L: C’était fin 2003, je suis allé chez un pote. Il avait écrit un texte et m’a demandé de le rapper. A l’époque, je n’écoutais pas de rap, j’avais seulement l’album de Shurik’n, Où Je Vis, mais j’ai essayé de rapper son texte. Dès le lendemain, je commençais à écrire.
HHSOM: Et est-ce que ce tu pourrais revenir sur ta discographie, tes collaborations…
Sentin’L: En 2008, j’ai sorti un premier album, À Ma Manière, avec des collaborations principalement de Genève. Ensuite, j’ai fait La Tête Ailleurs en 2010 avec Karna, Nakk, Cenzino ou Pejmaxx. Enfin, en 2012, j’ai sorti Entre Parenthèses sur le net gratuitement, qui a été téléchargé environ 8’000 fois. Après, j’ai connu une période moins productive, je n’arrivais plus à écrire. Le seul truc que j’ai réussi à faire, c’était le 5H Chrono avec Geule Blansh. Là, l’inspiration est revenue alors j’ai eu l’idée de faire une réédition d’Entre Parenthèses en physique avec des nouveautés, dont certains featurings que je voulais faire depuis un moment.
HHSOM: La sortie de cette réédition s’accompagne de ce live événement qui réunit presque tous les rappeurs qui ont participé au projet (Geule Blansh, M-Atom, Le Bon Nob, P.O.R., etc.). Pourquoi avoir voulu faire cette soirée? Est-ce que tu voulais marquer le coup?
Sentin’L: Oui, je suis quelqu’un qui a toujours beaucoup collaboré dans la musique, parce que j’ai toujours eu des contacts avec des gens externes à la Suisse, que ça soit des rappeurs ou des beatmakers. Je me suis dit que ce concert pouvait marquer le coup mais que c’était aussi une occasion de revoir des bons potes. C’est cool, ça fait une réunion de gens supers. Tout le monde est là, je peux leur passer l’album et c’est aussi un prétexte pour passer une bonne soirée.
HHSOM: Comme tu l’as dit avant, Entre Parenthèses était sorti seulement en téléchargement gratuit sur Internet. Etant en indépendant, comment s’est passé le passage du numérique au physique, au niveau de la pochette, du pressage, etc.? Est-ce que c’est toi qui a fait ces démarches?
Sentin’L: Non, j’ai un graphiste qui vient de Bruxelles qui a fait les visuels. Graphiquement, je suis le plus mauvais au monde, je sais rien faire de bien (Rires). Mais je donne mes idées et j’aime voir comment ça avance. Sur les autres projets, c’était un pote de Genève qui s’occupait des visuels. Sinon, depuis plus d’un an, j’enregistre chez moi car j’ai un home studio donc j’ai déjà plus besoin de devoir en louer un. J’ai tout enregistré et c’est Metronom qui a ensuite mixé et masterisé le tout. Après, on a envoyé ça au pressage, il faut notamment payer le pressage ainsi que les droits qui sont liés. Pour la distribution en France et en Belgique, on collabore avec shoptonhiphop.fr. Pour ce qui est du digital, je bosse avec un gars qui travaille chez Disques Office, une société de distribution en Suisse Romande. Il m’aide pour tout ce qui est digital, iTunes et autres.
HHSOM: Pour toi, c’était important de sortir cet album en CD, par rapport à la symbolique du format physique?
Sentin’L: Oui. Pendant longtemps, on m’a demandé : « où peut-ton le trouver en physique?« . Finalement, je me suis dit que c’était quand même un projet qui était bien, cohérent et qui correspondait à une période de ma vie. Et c’est quand même cool d’avoir son album sur l’étagère. Aussi, quand je croise des gens en voyage, j’ai que mon album de 2010 à leur proposer. Ça fait quand même 4 ans et demi. Même si je suis totalement satisfait, c’est un peu vieux. Cette sortie en physique, ça me fait donc aussi une carte de visite et ça clôt une certaine période de ma vie et dans le rap également.
HHSOM: Tu es quelqu’un qui achète encore des CD?
Sentin’L: Oui, bien-sûr. J’achète les projets des gens, j’aime avoir le CD et regarder ce qu’il y a dedans. Surtout que quand tu fais de la musique, tu sais tout ce qui a derrière. Dès que j’apprécie, je soutiens.
HHSOM: C’est quoi le dernier album que tu as acheté?
Sentin’L: Les derniers, c’est Caballero, Le Pont de la Reine, et JeanJass, Goldman. Ils sont cools, juste un peu courts. Sinon, j’ai acheté Cupcakes de Mani Deïz récemment aussi.
HHSOM: Pour poursuivre dans cette lignée, quels sont les artistes qui t’ont influencé? Qui sont ceux qui t’ont poussé à écrire?
Sentin’L: Quand j’ai commencé à m’intéresser au rap, ce sur quoi j’ai vite croché, c’était Flynt, la Scred Connexion, Hocus Pocus, Dany Dan, Oxmo Puccino, Kohndo, SakageKronik, Les Zakariens, Bouchées Doubles. Après, dans le rap américain, plutôt Talib Kweli, Mos Def, Nas, ImmortalTechnique et ce genre de choses. Pour tout ce qui n’est pas rap, j’écoute de tout: du rock, du reggae, de la chanson française. Tu vois, les Red Hot Chili Peppers, j’ai kiffé ça à fond. Même Nirvana, c’est des choses que j’ai beaucoup écouté. Donc au niveau des influences, je vais pas te citer un nom. Pendant longtemps, Flynt a été un rappeur que je mettais presque au-dessus, pour pleins de raisons. Mais c’est un mix de plein de choses qui m’influencent.
HHSOM: Et au niveau suisse? Même des artistes qui t’influencent encore maintenant...
Sentin’L: A Genève, il y avait Le Duo, c’était Rox Anuar et Jonas, ou Basengo. Tous les anciens de Genève m’ont influencé. Certains nous ont aidé à enregistrer. Encore une fois, je ne pourrais pas te sortir un nom, c’est plus un mix général qui m’a motivé à poursuivre.
HHSOM: Pour revenir sur l’album, la réédition s’accompagne d’un second disque qui contient des inédits ainsi que des morceaux sortis depuis 2012. Est-ce que tu as pensé et construit cette deuxième partie comme un album, au niveau des transitions, des sonorités?
Sentin’L: Non. Je savais, sur les morceaux qui étaient sortis, ceux que je voulais récupérer. Après, c’est vrai qu’au niveau des ambiances des productions, j’ai essayé de faire en sorte que ça soit quand même un peu cohérent. Mais ça n’a pas été construit comme un album.
HHSOM: Pourquoi ne pas accorder autant d’importance à cet aspect? Est-ce que tu préfères la spontanéité?
Sentin’L: Pour la spontanéité, c’est clair. Après, ça colle aussi à l’esprit de la première version d’Entre Parenthèses. J’étais pas parti dans l’idée de faire un album. J’avais fait des morceaux, des solos et des featurings, jusqu’au moment où je me suis dit: « bon, je vais regrouper le tout, ajouter trois-quatre morceaux pour que ça forme ce que j’aimerais« . Là, c’était à peu près pareil: j’avais des morceaux en cours, j’ai eu des nouveaux trucs et il y a eu des trucs spontanés. Récemment, pendant six semaines, je n’était plus en Suisse. Juste avant de partir, je suis allé trois jours à Paris, chez Mani Deïz. On a fait deux morceaux dont un clip, Hors-Jeu, et un featuring avec Hunam. Typiquement, c’était des morceaux qui n’étaient pas prévus. Je me suis réveillé le matin, j’ai pris un co-voiturage une heure après pour Paris, on a fait le truc, puis le clip. Finalement, ça collait à la première version de l’album, ça collait avec cette dynamique là. Mais, les prochains projets vont être construits.
HHSOM: Par rapport au titre de l’album, pourquoi « Entre Parenthèses »?
Sentin’L: Je vois cet album comme une période dans ma vie mais également comme une situation. Cette situation entre vie professionnelle et musique. C’est difficile de placer la musique dans ta vie, surtout à mon niveau. Je sais que je ne vais pas en vivre mais j’aime la musique. Alors certaines fois, tu dois mettre ça de côté et les gens aimeraient que tu mettes ça de côté aussi car il n’en voit pas d’importance. C’est un peu ça « Entre Parenthèses« . Il y a aussi ce délire lié à l’écriture, le jeu avec les mots et la ponctuation.
HHSOM: C’est vrai que cette difficulté à concilier ces deux univers est une thématique centrale de l’album…
Sentin’L: Oui, c’est mon quotidien, je suis confronté à ça en permanence. Tu dois travailler mais en même temps t’as la musique qui t’apporte beaucoup de choses sauf l’argent, qui serait légitime avec les efforts consacrés.
HHSOM: Tu citais Caballero auparavant. Justement, dans son dernier EP, il parle pas mal de ça, d’allier rap et argent. Qu’est ce que tu penses de sa vision des choses?
Sentin’L: Il est parti dans une direction, celle du gars qui veut faire de l’argent et qui voit la musique comme un moyen de s’en faire. Je respecte totalement, c’est des choses que tout le monde pense mais ne le dit pas forcément. Après, Caba va le dire d’une certaine manière, directe, en prenant le truc d’au-dessus. C’est un côté un peu plus égotrip. En plus, il sait que ça fonctionne en ce moment de prendre le truc dans cet angle là. Je pense qu’on parle plus ou moins des même choses mais pris sous des angles différents.
HHSOM: Sur l’album, au niveau des productions, on a pu voir des instrumentales signées Haute Fréquence ou Kids Of Crackling. Comment sélectionnes-tu tes productions? Haute Fréquence est souvent présent, as-tu une alchimie particulière avec lui?
Sentin’L: Bon, Haute Fréquence n’existe plus sous ce nom, il a un autre blaze. En fait, c’est le pote qui m’a fait commencé le rap, j’ai eu la chance dès le début d’avoir un gars qui faisait des productions. Mais, que ce soit avec lui ou avec les Kids Of Crackling, je reçois des instrumentales, j’écoute et, dès que quelque chose me plait, je le garde et j’en fais un morceau. Après, j’ai plein de titres en cours qui n’existeront jamais car je n’arrive pas à les finir. Mais, du moment que je finis un morceau et que je m’apprête à l’enregistrer, je sais que ça va sortir. Il y a des gens qui enregistrent quarante morceaux, en gardent vingt pour l’album et jettent le reste à la poubelle. Je suis incapable de faire ça. Je fais la réflexion avant.
HHSOM: Au niveau des featurings, comme tu le disais avant, tu collabores énormément. Est-ce que tu trouves une énergie particulière dans le fait de partager le micro?
Sentin’L: Oui, c’est du partage mais il y a aussi ce côté « défi ». Il faut que tu sois au niveau de l’autre et donc que tu te surpasses. Sur des solos, ça va couler plus facilement, t’as plus le temps d’étaler ce que tu veux amener. Sur un seize en featuring, tu dois être bon sur un temps plus court. Il y a ça qui est cool et aussi le fait que ça amène une autre touche.
HHSOM: Tu as fait pas mal de connexions dans le rap français et dans le rap belge. On peut penser à Lomepal, Caballero, JeanJass ou Fadah. Comment tu as créé toutes ces connexions?
Sentin’L: C’est grâce au net, soit des gens me contactent, soit je fais la démarche parce que j’apprécie ce qu’ils font. Caballero, je le connais car Carlos, un gars de son équipe, m’avait fait découvrir ce qu’il faisait, à une époque où il écoutait mes sons. C’était aux débuts de Caba. Et on s’est mis en connexion, on s’est rencontré à Bruxelles puis on a fait un premier morceau. Fadah, par exemple, je l’ai découvert car j’avais fait un concours pour Entre Parenthèses…
HHSOM: Comment s’était passé justement ce concours?
Sentin’L: En fait, on avait publié une production de Mani Deïz, les MCs pouvaient rapper dessus et celui qu’on préférait se retrouvait sur le projet (La première version d' »Entre Parenthèses », NDLR). J’ai découvert Fadah comme ça. On s’est mis en connexion, il m’a invité sur son album et j’ai fait de même. Donc ça dépend, les connexions peuvent se faire par l’intermédiaire d’autres, tu peux découvrir la personne sur le net ou la découvrir en concert. Tu vois, Lacraps, je l’ai vu en concert en décembre, il y avait Melan que je connaissais depuis un moment. On était les trois et on a décidé de faire un morceau. Il y a de tout, des choses sur la durée et d’autres plus spontanées.
HHSOM: Justement, on voulait parler du rap belge, très présent sur Entre Parenthèses. On pense au titre Onze, il n’y a que des rappeurs belges dessus?
Sentin’L: A part M-Atom, oui, il n’y a que des belges. Azzili Kakma, Karib d’Opak, le collectif à Scylla, JeanJass, Caballero, Carlos, Syntax, Senamo, Ysha, Seven: on est onze!
HHSOM : Du coup, est-ce qu’il y a une dynamique un peu semblable entre la Belgique et la Suisse ?
Sentin’l : Oui, souvent les gens disent ça, par rapport à la France. On aime bien se mettre en dehors de la France. C’est aussi des petits pays qui sont un peu fiers quand des choses se passent chez eux. Et puis, on a pas vécu la période rap français, qui s’est beaucoup passée à Paris, de l’intérieur. On est pas parisien… On a vécu le rap un peu de l’extérieur, on a plus du faire l’effort de s’y intéresser. Le rap était pas directement là pour nous, on a du aller vers lui. Du coup, en devant aller chercher le rap, on est plus devenu ce qu’on peut appeler des puristes aussi. C’est ce qu’on dit de nous en tout cas. Ça a façonné ce qu’on aime et, du coup, notre manière de faire de la musique.
HHSOM : Ici au Ned, il y a beaucoup de rappeurs francophones indépendants qui passent, la majorité dans ce style que tu décris. Il y a eu Caballero et JeanJass dernièrement, Swift Guad, Nakk, L’indis et plein d’autres à la première soirée de la One Shot. C’est un peu le même circuit. C’est des gens avec lesquels tu collabores pour certains, tu les connais peut-être ?
Sentin’l : Je ne connais pas tout le monde mais on collabore, on se voit en concert, etc. Ça fait plaisir parce que c’est là qu’on voit qu’il y a un renouveau dans la dynamique des rappeurs. J’ai l’impression qu’il y a plus de collaborations saines et ça se passe aussi chez les auditeurs. Il y a des jeunes qui viennent aux concerts, paient 15 francs leur billet, achètent encore deux albums et trois t-shirts. Ils ont dépensé 100 balles à la soirée rap ! Moi, il y a 10 ans, j’allais en concert à l’Usine, on payait dix francs l’entrée, ça nous saoulait déjà. Il y avait 20 personnes, une embrouille et voilà. Aujourd’hui le rap, c’est comme le rock à l’époque, c’est devenu une musique de société. Aujourd’hui, les gens te demandent quel style de rap tu fais, ils comprennent qu’il y en a plusieurs. On sent que ça rentre dans les mœurs.
HHSOM : On sent, dans une certaine mesure, qu’aujourd’hui, cette scène indépendante dont on parlait est assez forte, il y a une dynamique…
Sentin’l : Oui, c’est vrai ! Mais c’est même pour des rappeurs indépendants qui ont 35 ans aujourd’hui que ça marche bien. Ça revient. Je pense aussi pour ça, que les jeunes rappeurs d’aujourd’hui vont pouvoir un peu faire parler d’eux, même en venant de Suisse par exemple.
HHSOM : On voulait justement parler du rap suisse. Si on te demandait de parler du rap suisse qu’est ce que tu dirais toi ? Est-ce qu’il y a une unité, une identité ?
Sentin’l : Je dirais que c’est comme tous les raps. Il y a du bon et du mauvais, quelques artistes qui sortent du lot. Je pense pas qu’il y ait une unité, je pense que le rap suisse, c’est juste du rap. Il y a certains artistes qu’on peut mettre dans les cases dont on a parlé avant. Mais ce que je vois surtout, c’est qu’il est prolifique. Il y a des projets qui sortent, y en a des bons… Comme je t’ai dit, je pense qu’il y aura quelques artistes qui auront moyen de faire quelque chose.
HHSOM : C’est un hasard mais ce soir-même, justement, se produisent les Reprezent Music Awards, qui décernent donc des statuettes aux rappeurs suisses. Qu’est ce que tu penses de cette cérémonie ?
Sentin’l : Oui, ça fait trois-quatre ans qu’ils font ça. L’année passée, j’ai été nominé deux fois pour « Meilleur texte », je crois. Le fonctionnement du truc change tout le temps en fait, il y a des gens qui votent… Mais c’est un grand débat ces Reprezent Awards… C’est bien et c’est pas bien. Mais ça fait parler du rap aussi dans les médias, je préfère le voir comme ça. C’est des gens qui se bougent et c’est bien même si ça fait toujours parler. Peut-être qu’un jour je vais en gagner un, ça serait cool mais ça ne change rien. C’est juste histoire de marquer le coup. Après, c’est toujours la question de classer qui gène un peu. Mais ça fait bouger, c’est bien.
HHSOM : Sinon, par rapport aux autres artistes suisses, est-ce que tu fais des connexions autre part qu’à Genève aussi ?
Sentin’l : Oui, c’est clair. Ce soir, il y a des Lausannois qui sont là. A une époque, je collaborais beaucoup avec Intenzo et Fleo de Fribourg. Après, j’ai des connexions un peu partout. Mais j’ai conclu quand même que Genève est beaucoup plus prolifique, peut-être parce qu’on est proche de la France. Ça me correspond plus aussi ce qui se fait là-bas. La plupart des artistes suisses que j’apprécie sont de Genève.
HHSOM : Et tu n’as pas une certaine envie de mettre en avant le rap suisse en faisant des feats ?
Sentin’l : Non, le rap suisse en tant que tel, je m’en fous, comme du rap français ou celui de Bretagne ! L’important, c’est le gars avec qui je vais collaborer, s’il est fort ou pas… J’ai pas besoin de représenter le rap suisse…
HHSOM : Est-ce que tu trouves, par ailleurs, qu’il se passe pas mal de choses en Suisse par rapport aux concerts ? Ici-même, au Ned, il y a beaucoup d’artistes qui viennent…
Sentin’l : Oui, c’est clair que depuis quelques années, il y a pas mal de choses qui se passent… Ici, la dernière soirée avec Caballero et JeanJass, c’est moi qui l’ait organisée. C’est cool, ça bouge.
HHSOM : Justement, tu organises des concerts également, est-ce que pour toi c’est une manière de faire vivre le rap différemment ?
Sentin’l : Oui, aussi. Je teste également s’il y a moyen plus tard de me faire de l’argent avec ça. Pour l’instant, c’est sûr que non. Je me suis rendu compte en fait que, comme ça fait dix ans que je suis dans le milieu, je connais beaucoup de gens. Du coup, j’ai les moyens, de par mes connexions, de faire venir des gens, de faire des bonnes soirées, etc. C’est pour voir si y a moyen de s’installer pour organiser des choses plus tard mais également de faire venir des gens qui sont pas encore venus, pour véhiculer des bonnes soirées.
Le double CD d’Entre Parenthèses est disponible sur le site shoptonhiphop.com.
Gradur fut LA révélation du rap français en 2014, collectionnant des millions de vues sur sa chaîne YouTube. L’attente était donc énorme pour son premier album. On espérait que le rappeur nordiste confirme la force de frappe qu’il laissait entrevoir à travers la série de freestyles Sheguey notamment. Le jour de sa sortie, les rues de Lille ont été envahies par une foule venue acclamer le meilleur représentant du 59. Focus donc sur L’Homme Au Bob, un album aux influences trap qui ne révolutionne pas le rap français mais qui lui met un bon coup de pied au cul.
Les trois singles choisis pour porter ce premier album ont été des choix plutôt bons, avec de la bonne trap violente sur Terrasser et un morceau plus tranquille avec Jamais. Enfin, Priez Pour Moi, le troisième et dernier extrait constituait une des rares erreurs de l’album. De quoi nous faire douter avant l’écoute de l’album mais heureusement, on se rend vite compte que ce titre ne représente pas le reste du projet. L’Homme Au Bob nous expose l’énergie à laquelle Gradur nous avait habitué sur les excellents R.D.C ou Stringer Bell, par exemple, avec une trap qui défonce tout sur son passage. On retrouve également des sons plus tranquilles comme Secteur ou un Gradur presque fragile auquel nous n’étions pas habitué sur Verre De Sky.
Côté collaboration, le emcee nordiste a frappé fort avec la présence d’un des groupes qui cartonne le plus outre-Atlantique, Migos sur #LHOMMEAUBOB, mais également avec Chief Keef sur BANG BANG. On retrouve aussi Niro, Lacrim et Alonzo qui assument l’invitation et répondent présents sur leur couplet respectif. La seule grosse erreur de casting réside dans le fait d’avoir invité Kayna Samet sur le projet. En effet, son couplet et sa voix n’ont pas vraiment leur place dans un album qui mélange une grosse énergie, des couplets avec passablement de vulgarité et de la punchline à tout-va.
Du point de vue des productions, on retrouve les influences américaines de Gradur qui vont de la drill de Chicago à la trap du South. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant en sachant qu’il a contacté le célèbre producteur Young Chop et qu’il a enregistré une partie de son album et enregistré des vidéos à Chicago.
Toutefois, malgré le très bon niveau de Gradur tout au long de l’album, on ressent encore trop sur certains titres le côté axé freestyle du rappeur de Roubaix. En effet, certains morceaux comme #LHOMMEAUBOB souffrent d’un certain manque de travail. Le rappeur donne l’impression d’être entré en cabine, d’avoir posé son texte en une prise et d’être ressorti aussitôt. L’explication se trouve certainement dans sa jeunesse et dans ses nombreux freestyles qui l’ont peut-être habitué à poser ses couplets en one shot. Le faible niveau des textes se fait aussi ressentir sur certains titres. Un côté brouillon transparaît, révélant le manque de soin parfois évident du rappeur dans ses couplets.
Malgré ces derniers points, Gradur s’inscrit clairement comme un acteur majeur du rap français. A seulement 24 ans, il livre un bon projet teinté de noir et de street crédibilité. Un album dur, du rap sans concession et du son qui donne envie de sauter tant l’énergie de Gradur nous motive. C’est dans ses excellents refrains, un point fort de l’album, que cette énergie est la plus présente. Il confirme donc tout le bien qu’on pensait de lui et prouve qu’il faudra compter sur lui dans le futur.
Si vous ne savez pas de quoi demain sera fait, que vous ne connaissez pas les prochaines sorties en rap français, ce top est fait pour vous. Kaaris, Dosseh et OZ du Panama Bende préparent la sortie de leur projet en mars, respectivement Le Bruit De Mon Âme, Perestroïka et Marée Basse. En avril, ce sera au tour de Booba, Infinit’ et JP Manova de s’illustrer tandis que Disiz, avec Rap Machine, Set & Match, avec Cosy Bang Bang, ou Georgio, qui a récemment réussi à lever plus de 35’000 € pour Bleu Noir via KissKissBankBank, façonnent gentiment le terrain, sans avoir annoncé de date précise. Vous trouverez ces noms et ceux qui ont marqué février (Gradur ou PLK) dans ces quinze morceaux récapitulatifs. Le rap de demain, c’est toujours sur Hip Hop State Of Mind!
1. Georgio – Indomptable [Prod. Diabi]
2. A2H – Mon Epoque [Prod. Dtweezer]
3. OZ – Ose
4. Alpha Wann – F.F.F. (Feat. Caballero)
5. Infinit’ – Christian E. Remix (Feat. Alpha Wann, Nekfeu, Eff Gee, Alkpote, Greg Frite, Millionnaire, Jeune Zmaël & Mr. Agaz) [Prod. DJ Weedim]
6. Disiz – Buzzer Shoot [Prod. Shady]
7. Dosseh – Nirvana [Prod. Redrumusic]
8. PLK – Palm Trees (Remix) (Feat. 2 Zer & Aladin 135) [Prod. The Architect]
9. Melan – Catharsis [Prod. Bast]
10. Melan – Poignée de Punchlines [Prod. Bast, Diaz & Melan]
11. Booba – Tony Sosa [Prod. Richie Beats]
12. Gradur – Priez Pour Moi
13. Kaaris – Le Bruit De Mon Âme [Prod. Therapy]
14. Set & Match – Quoi de Neuf
15. Dosseh – Bouteille & Glocks (Feat. Kaaris) [Prod. Therapy]
Beaucoup d’excellentes choses sont sorties depuis notre dernier top mensuel. Entre autres, Lino a livré Requiem, dix ans après Paradis Assassiné, tandis que Joke a sorti gratuitement le très frais Dolorean Music. Aussi, les extraits des prochains albums de Nekfeu, Kaaris, Saké et Dosseh nous promettent une année 2015 palpitante. Récapitulatifs des deux derniers mois, ces quinze excellents titres donnent également un bref aperçu de la scène actuelle, entre vétérans (Booba, Lino) et jeunes frappes (MZ, Bon Gamin, ASF). Bonne écoute!
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1. Nekfeu – Flingue et Feu (Feat. Alpha Wann) [Prod. Hologram Lo’]
2. Lino – Suicide Commercial [Prod. Hopsalaprod]
3. Nekfeu – Time B.O.M.B. [Prod. Hologram Lo’]
4. Kaaris – Magnum [Prod. Therapy]
5. Joke – 2014 à l’infini [Prod. Richie Beats]
6. Lino – Le Flingue à Renaud [Prod. Cori & Hopsalaprod]
7. ASF (Panamabende) – T’en Fais Pas [Prod. Nino (134 Production)]
8. MZ – Bad Boyz
9. Dosseh – Le Coup Du Patron (Feat. Joke & Gradur)
10. Lucio Bukowski – Bon sang d’putain (Feat. Missak) [Prod. Lapwass]
11. Saké – Original MC [Prod. Clem Beat’z]
12. JP Manova – Longueur d’Onde
13. Bon Gamin – Louper (Feat. Joke) [Prod. Myth Syzer)
14. Booba – Caracas
15. Davodka – Poignée de Punchlines [Prod. Aslan Prod]
Le 15 décembre 2014, le Pont-Rouge de Monthey accueillait Nemir pour un live plein d’énergie et tout en freestyle, comme à son habitude. Après avoir pu découvrir le surprenant duo Chill Bump (lire notre article découverte ici) en première partie, c’est donc au rappeur de Perpignan qu’est revenu la tâche d’ambiancer une salle petite mais chaleureuse. C’était l’occasion rêvée pour prendre des nouvelles de Nemir, de ses projets à venir et de son envie toujours présente de s’affirmer tel qu’il est dans ce rap français qui mue indéniablement. Après le succès qui a suivi son premier EP Ailleurs, et la période de tournée qui va avec, c’est un Nemir motivé que l’on a eu le plaisir de retrouver, et qui nous a fait part de ses projets pour cette année 2015.
Gros Mo, Nemir & Everydayz
Hip Hop State Of Mind: On va commencer par parler un peu de ton parcours. Rapidement, si t’arrives à nous faire un gros résumé, nous expliquer comment tu t’es lancé dans le rap, comment est venue l’envie?
Nemir: Par hasard, l’environnement social et car c’est une musique accessible pour les gens comme moi, qui venaient de ce milieu là. Les grands frères en écoutaient donc, par mimétisme, j’en écoutais aussi. Après t’approfondis le lien, la relation avec le truc. Rien de particulier, c’est vrai que c’est une question difficile, parce que tu peux pas répondre de façon originale, tu ressembles un petit peu à tous ceux qui ont commencé dans ce milieu-là ou dans des domaines qui y ressemblent. Au départ, c’est un petit peu hasardeux, après y’a des accroches, et après, par escalade, tu trouves des endroits, des marques. T’avances et à un moment tu te rends compte que t’es bien… Que t’as fait beaucoup de chemin, et tu te dis: voilà est-ce que j’arrête parce que j’ai mieux à faire? Non, j’y reste. Et t’as un rapport un peu plus profond, mais c’est vrai qu’au départ c’est comme ça, très léger, très hasardeux. Et aussi un peu parce qu’on se sent valorisé, je pense. Si j’avais 20/20 tous les jours à l’école et que j’étais un 10/20 en rap, j’aurais continué l’école…
HHSOM: Et à propos de ton EP, Ailleurs, qui date déjà de fin 2012, t’en es satisfait?
Nemir: Ouais, j’ai bien aimé parce qu’on attendait pas grand chose de cet EP, à part la volonté de faire quelque chose qui nous ressemble et de faire quelque chose qu’on installe un peu dans le paysage musical. Et on a eu un succès d’estime qu’a été assez correct. Ça été même très dur parce qu’on a eu une année de passage à vide; parce qu’on a fait un très bonne tournée pour un EP, c’est-à-dire quand même 80 dates, et l’année 2014 a été compliquée parce que j’ai essayé de m’éloigner un peu de cet EP, mais en même temps il me servait de repère aussi, et je ne voulais pas faire quelque chose qui y ressemble vu qu’il existait déjà. Et plus je m’éloignais, plus j’avais l’impression de me perdre parce que j’avais pas forcément de marques; ça a été hyper complexe quoi, la recherche a été très douloureuse. Comme je dis, on a pleuré, on a ri, on s’est amusé mais on a souffert aussi. Jusqu’à arriver aujourd’hui aux vérités qu’on a réussies à toucher pour l’album qui va arriver en 2015.
HHSOM: On va avoir un album en 2015 alors?
Nemir: Ouais, avec violence et rage. J’ai hâte ouais, bien sûr.
HHSOM: On a hâte de voir ça en tous cas… Parce que Ailleurs était quand même un gros cap?
Nemir: Ouais un gros cap et avec ça y’a le revers de la médaille. C’est la pression aussi qui commence à se profiler au-dessus de la tête, se dire que les gens ont cette vision-là, ils pensent qu’on va vraiment tout niquer. On se dit: « Ah ouais… Mais on en est pas capables, ils délirent… » Et tu passes ton temps à croiser des gens qui te disent « J’le sais. vous allez tout niquer« . Et toi, tu veux leur dire: « Arrêtez de savoir, parce que nous-même on sait pas« , tu vois? Et moi, je suis quelqu’un qui voit mes projets sur le long terme. C’est pour ça que j’ai pas enquillé très vite pour livrer quelque chose, comme le major le voulait après la signature, même si on avait des maquettes et d’autres trucs, qu’ils voulaient sortir tout de suite, parce que pour eux c’était un moyen d’exister encore. Mais pour exister, pour moi, faut forcément amener quelque chose d’intéressant, qui va plus loin, et j’voyais pas l’intérêt. Donc voilà, on s’est caché un peu dans une grotte, on a déprimé, et là on est sorti de la déprime et on est à fond (Rires).
Nemir – Wake Up (Feat. Alpha Wann)
HHSOM: Ouais justement un fait marquant c’est ta signature chez Barclay en 2013, suite à l’EP. Qu’est-ce que ça change concrètement à ton travail?
Nemir: Rien, à part quelques personnes en plus qui se rendent compte que je suis quelqu’un de très casse-couilles et de complètement ingérable, tu vois. A part ça, y’a des partenaires intéressants qui tuent. Je sais qu’à un moment donné, à l’instant T, là d’ici quelques mois quand j’vais leur donner l’album et qu’on va discuter de stratégies avec des idées que j’ai déjà en tête, je sais que c’est le genre de structures qui te permet d’avoir les moyens d’aller beaucoup plus loin que si t’étais chez toi avec le solde de ta carte bleue. C’est pas la même chose, eux c’est les moyens, la force de frappe. Et y’a aussi des idées super intéressantes, on collabore avec Alex Kirchhoff qui gère le département Musique Urbaine, c’est quelqu’un avec qui on s’entend. On a eu des clashs, on a eu des incompréhensions, mais il sait qu’à la fin on veut la même chose, un truc qui bute quoi.
HHSOM: Et t’as rien de prévu d’ici l’album? Pas de tournée?
Nemir: Non non non. Rien d’exceptionnel, à la base on a arrêté la tournée y’a bien longtemps, mais on a toujours eu des petits plans qui sont venus comme ça, comme Stromae qui nous propose de faire son tour. Et on peut pas trop refuser parce que c’est quand même une opportunité. On se retrouve sur la route et le Ailleurs Tour, il s’avère être interminable (Rires). Et là, les deux dates suisses, c’est parce que le tourneur m’a dit « y’a pas d’actu, mais y’a deux plans en Suisse. Il faut jouer et c’est des nouveaux collaborateurs avec qui je bosse, il faut y aller même si y’a pas d’actu. Tu reviendras l’année prochaine avec un album, il faut y aller« … Donc voilà y’a toujours quelque chose, c’est interminable cet Ailleurs Tour. Mais après moi, j’adore, j’prends beaucoup de plaisir et chaque fois que je fais des dates comme ça un peu isolées, quand je retourne en studio, je vois que ça m’a fait plus de bien que l’inverse, et j’me dis que le tourneur avait raison.
HHSOM: Ouais parce que ça a fait beaucoup de dates suite à Ailleurs.
Nemir: Trop. Enfin c’est même pas trop, on fait jamais trop de dates, mais moi dans ma tête je suis déjà loin d’Ailleurs et je défends des chose qui sont d’ailleurs, tu vois, donc je suis dans une schizophrénie permanente (Rires).
Parce que je suis quelqu’un qui doute, pas jusqu’à la dernière minute mais jusqu’au dernier centième de seconde en fait.
HHSOM: Et justement, par rapport aux dates, ce soir t’es dans une petite salle, avec un petit public, mais nous on t’a vu à Royal Arena à Bienne, une grosse soirée.
Nemir: Ah ouais, c’était génial. Non mais voilà, nous on est venu parce qu’avant d’être des chanteurs, des musiciens, on est des freestyleurs à la base. Et on sait que dans ce genre d’endroits, on vient pour ça, pour faire du freestyle. On goupille les morceaux à la dernière minute, on se lâche et on voit ce que ça donne. On est dans ce rapport-là, un peu plus instinctif quoi. Après la sortie de l’album, on sera sur un rapport avec plus de fondamentaux, plus de conception, de mise en scène. Voilà, c’est pas la même démarche, c’est pour ça que c’est difficile de sortir d’une démarche pour aller vers une autre, le chemin est compliqué.
HHSOM: D’ailleurs, à propos de ton album, t’as un nom déjà?
Nemir: Ouais. Mais j’peux pas le dire (Rires). Mais je sais pas si je vais utiliser celui-là, c’est pour ça que j’peux pas le dire. Parce que je suis quelqu’un qui doute, pas jusqu’à la dernière minute mais jusqu’au dernier centième de seconde en fait. Je me permets cette liberté de me dire que si j’ai une meilleure idée que celle-là, s’il reste une demi seconde avant d’appuyer sur le buzzer et de confirmer, j’le fais. Moi, j’ai un nom de premier album depuis que j’ai 12 ans, donc il est toujours dans ma tête jusqu’à preuve du contraire, ou de trouver mieux. Donc c’est pour ça que je le donne pas, au cas où à la dernière minute, y’a quelque chose qui se révèle à moi et qui collerait mieux. Mais il a résisté depuis déjà tellement d’années ce nom que ça semble bien parti.
HHSOM: Alors au moins un petit featuring…
Nemir: Pour l’instant, je peux rien dire, parce que tout se goupille à la dernière minute au niveau des featurings, moi je bosse d’abord mes solos…
HHSOM: On va avoir Gros Mo quand même?
Nemir: Gros Mo, il fera toujours partie de l’album, qu’il y soit ou non. Mais j’en sais rien, moi je confirme rien jusqu’à la dernière minute, c’est pour ça que c’est compliqué de bosser avec moi.
HHSOM: Et quelle direction musicale tu veux lui donner?
Nemir: Plusieurs. Des compromis, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Très rap, très pop, très soul, new soul même, avec des sonorités reggae, des sonorités presque de musique arabe… Mais après là je te dis ce qu’il y a en sous-couche. Peut-être que toi, avec ton oreille, t’appuies sur play et tu vois pas du tout de quoi je veux parler quand je dis ça. Mais en sous-couche de chaque morceau, y’a un petit peu de toutes ces influences. Certaines sont plus perceptibles que d’autres mais même celles qui sont pas perceptibles, en général, nourrissent la couche supérieure qui finalement est plus visible. Mais ouais ça sera très musical, très rap, très pop, très chant. Y’a des influences reggae aussi, la voix un petit peu cassée, un peu poussiéreuse, y’a de ça. Y’a de tout franchement. Y’a tellement d’albums qui me plaisent dans des registres différents qu’on retrouve ça dans l’album. Je fais ce que j’ai envie de faire quoi.
HHSOM: Et dans ton style, justement très musical, très chantant comme ça, qu’est-ce qui t’attires là-dedans?
Nemir: Je crois que je le fais sans me rendre compte, au final. Je crois que je trouve plus fade le fait de rapper sans mélodie plutôt qu’avec. Donc finalement quand je commence à travailler un morceau, si je fais quelque chose de très monocorde, je me fais chier et je dégage rien au final. J’ennuie celui qui m’écoute et je m’ennuie moi-même. Donc je me dirige forcément vers ce qui m’excite le plus, ce qui va me mettre le mieux en valeur. Mais je m’empêche pas de faire des morceaux où c’est le texte qui domine. J’en ai certains où je m’autorise aucun maquillage, et c’est le but parce que ça sert la démarche. Mais sinon, je suis très instinctif, je me jette de façon un peu folle quoi. J’attends pas de mûrir le truc, sinon je bloque et je réfléchis pendant dix ans. J’fais mon docteur en lettre quoi (Rires).
HHSOM: Mais ça se ressent aussi de manière générale, dans ton flow.
Nemir: Ouais, même quand je suis en studio faut que je retrouve le live. Si je retrouve pas le live, la prise elle est pétée, elle est pourrie, il se passe rien. C’est une interprétation parmi d’autres, mais il se passe rien. Il faut que je « live« . Tu sais qu’il y ait de la vie, en fait. Au final, quand t’écoutes un album ce que tu recherches, c’est le texte, la mélodie, tout ça, mais surtout la vie qu’il y a derrière le texte. Si je te dis des choses avec très peu de conviction, ça t’atteint moins que si je te les dis moins bien mais avec beaucoup plus de conviction. Y’a des mecs qui disent tellement moyennement les choses parce qu’ils ont pas le bagage, l’écriture, etc… pour l’exprimer de façon très juste. Mais y’a tellement un instinct derrière et l’intention de faire passer quelque chose que ça dépasse tout ça.
Je suis un fanatique de rap pur et dur, garage underground, sans concession, et à côté de ça je vais aimer des trucs presque R&B où tu pourrais te dire: le Nemir qui écoute le rap garage et qui veut pas faire de concessions, il penserait quoi de celui qu’est en train de chantonner là et de kiffer?
HHSOM: Ouais c’est ce qu’on a vu ce soir, avec vous trois sur scène, même si y’avait pas énormément de monde…
Nemir: Tu nous sens enragé quoi… Et de toute façon quand t’as une colère à l’intérieur, à toi de choisir comment tu la traduis. Ça part d’une colère à l’intérieur, présente 24h sur 24, mais je choisis de la traduire, parce que c’est mon tempérament, de façon très solaire, très constructive, plutôt que l’inverse. Ça part d’une colère profonde quoi.
HHSOM: Ouais, et par rapport au flow aussi, y’a un art des Gimmicks et de ce genre de choses que t’as bien développé dans l’EP…
Nemir : Ouais bien sûr, faire parler les silences, les respirations, ce genre de choses. Je trouve que dans le rap, pendant des années, les mecs ils étaient là à rapper rapidement, presque à bout de souffle, et je leur dis: « vous êtes fous ou quoi? ». Ben en fait, tu peux faire parler les silences, les respirations, les gimmicks, un ou deux cris. On parle pas toujours avec des mots, on fait des choses bizarres des fois quand on s’exprime. Des fois, t’as un espèce de gargarisme qui vient appuyer, accentuer ce que tu viens de dire. Alors dans la musique, pourquoi pas? Moi, ça me plait.
HHSOM: Et sur le morceau J’Résiste de Deen Burbigo, on t’entend faire un refrain où tu chantes, qu’est absolument magnifique d’ailleurs. Est-ce que t’as envie de développer un peu plus cet aspect-là, on risque de te revoir dans ce rôle, où tu fais juste un refrain comme ça?
Nemir: Ouais très bientôt, sur deux gros projets. L’un est fini, et pour l’autre la session a pas encore eu lieu. Mais oui, si tu veux pour moi c’est un peu bizarre, j’ai toujours fait des choses qui, comme ça d’apparence, semblent ne pas cohabiter. Je suis un fanatique de rap pur et dur, garage underground, sans concession, et à côté de ça je vais aimer des trucs presque R&B où tu pourrais te dire: le Nemir qui écoute le rap garage et qui veut pas faire de concessions, il penserait quoi de celui qu’est en train de chantonner là et de kiffer? Après je pense qu’on est tous un peu multiples, il est fini le temps où on voulait nous enfermer dans des cases pour mieux nous définir. Aujourd’hui, je pense qu’on peut se définir comme ça, en étant multiple, paradoxal, presque des fois antinomique dans la façon de faire des choses, mais ça fait partie de la complexité des personnes qu’on est tous et qu’on a toujours été au final. Et peut-être que la société d’aujourd’hui le permet. Et le milieu de la musique surtout c’est un endroit où on peut se permettre d’être soi-même jusqu’au bout et moi des fois j’y vois plutôt de la force dans ce genre de choses. Mais ouais du coup on va me voir dans pas mal de rôles qui n’ont rien à voir les uns des autres, mais si j’le sentirai, j’le ferai.
Deen Burbigo – J’Résiste (Feat. Nemir)
HHSOM: Et au niveau de tes inspirations, qui sont assez diversifiées d’après ce que j’ai pu comprendre, t’as cité Q-Tip, notamment, comme une inspiration principale…
Nemir: Ouais, Q-Tip et la Tribe de manière générale. Mais j’ai du mal à citer une inspiration principale parce que je suis quelqu’un de très versatile dans ma façon de regarder les choses aussi, donc dès qu’on dit principale ça me plaît pas trop… Mais on est obligé un peu de se définir quand même, donc moi j’ai toujours aimé les chanteurs, et les rappeurs, qui musicalisaient un peu plus le truc. J’ai toujours été fan de Mos Def, de Talib Kweli, de A Tribe Called Quest, des trucs où si t’aimes pas le rap, tu peux prendre aussi le chant qu’il y a derrière en fait. Moi ça a toujours été ce qui m’a parlé quoi. Après, à côté de ça, j’ai aimé des trucs qu’ont rien à voir comme La Rumeur où les mecs ils en ont rien à foutre du chant et à la limite ils sont contre ça; et c’est des potes à moi. On est paradoxal, c’est comme ça. Moi j’adore Kaze, alors que c’est un peu le contraire de ce qu’on est en train de citer quoi. Mais j’aime les démarches sans concession, intenses et jusqu’au bout en fait. Si tu veux le faire comme ça, que tu le sens, alors vas-y, fais-le.
HHSOM: Au niveau de la scène de Perpignan, elle commence à être bien représentée aujourd’hui?
Nemir: Ben ouais, y’a les fréros, y’a Everydayz qu’est dans un registre… Comment tu pourrais te définir toi (en s’adressant à Everydayz)?
Everydayz: Très musical, vu que j’fais de la production, forcément, c’est que de la musique quoi. Mais après, je suis un peu la même démarche que lui, et on essaie de faire un truc qui nous ressemble.
Nemir: Et lui, c’est vraiment pas un producteur qui fait de la prod pour chanteur… En général, y’a des beatmakers comme Enzo, avec qui je bosse, qui est un monstre dans ce qu’il fait, mais qui s’est défini depuis le début comme quelqu’un qu’adore faire de la production, mais pour les voix justement, soit pour un chanteur ou une chanteuse, soit pour un rappeur. Alors qu’Everydayz c’est totalement différent vu que c’est un producteur qui à la base ne fait pas de la musique pour qu’il y ait des voix derrière. Il peut y en avoir, mais c’est un producteur de musique avant tout. Après y’a Gros Mo, qui lui a sorti un EP… Et y’a d’autres gars aussi à Perpignan qui travaillent, qui font leur truc et qui ont leur identité, un peu comme nous quoi. Y’a cette vague un peu de kiffeurs de bons sons, rap et autres, et avec eux des croisements des fois un peu improbables qui donnent des choses hybrides, et le résultat peut être intéressant.
HHSOM: Y’a pas mal de trucs assez ensoleillés, un peu sudistes comme ça…
Nemir: Ouais on est un petit groupuscule. J’appelle ça un groupuscule parce qu’on est pas à Paname non plus, et d’ailleurs le fait d’être à 3’000 bornes de Paname ça fait qu’on est sujet à aucune pression. Le mec, il peut faire ça chez lui tranquille, il en a rien à foutre. Il est pas forcément le meilleur, même s’il peut le devenir aussi… Mais y’a pas cette grisaille, cette tension qui peut créer des choses mortelles aussi, mais chez nous c’est pas trop ça.
HHSOM: Et en tant que, justement, originaire d’une petite ville, y’a une distance pour s’exporter?
Nemir: Plus maintenant au contraire, avec Internet… Et je trouve aussi qu’avec l’ouverture musicale de la plupart des gens en matière de rap, hip-hop etc… y’a un nouveau public qu’a émergé un peu. Y’a toutes ces nouvelles générations qu’ont débarqué et qui s’intéressent à ça, qui s’approprient ça aussi avec son temps. Je trouve qu’aujourd’hui les gens sont très curieux. Ils recherchent et dès qu’il y a une originalité quelque part, venant d’un endroit géographique où la musique est propre à cet endroit, typé et qui propose quelque chose, ils ont tendance à dire « on veut ça »; et ça nous rafraîchit. On est plus à l’époque où le rap était très petit, avec trois, quatre représentants et t’écoutais ça ou rien. Aujourd’hui, y’a autant de registres de rap que de rappeurs.
HHSOM: Mais maintenant, t’es plus sur Paname que sur Perpignan?
Nemir: Ça dépend des cycles, en fait. Là, j’ai passé les trois derniers mois sur Perpignan et je fais les aller-retours sur Paname aussi parce que j’ai une vie là-bas… Mais je compose à Perpignan, et uniquement à Perpignan, sinon je fais trop la fête à Paname, y’a trop de trucs à faire. Y’a toujours des concerts, toujours des freestyles, toujours des featurings que tu voulais pas faire et que tu fais, et tu fais pas d’album. Déjà que c’est très long un album, si en plus t’as tout ça…
Ça m’a permis de me rendre compte que j’étais pas prêt psychologiquement à être confronté à autant de ferveur, à autant de grandeur.
HHSOM: On va bientôt conclure, mais avant ça, on a encore une question. Lorsqu’on t’a vu à Royal Arena l’an passé, t’avais une petite tradition à la fin de ton concert, qui était de te faire envoyer des clopes par le public…
Nemir: Ah ouais (Rires)… J’ai arrêté en fait, parce que j’ai arrêté de fumer pendant deux mois, donc sur tous les lives qu’on a faits j’ai arrêté cette tradition. Je me disais « moi il est hors de question que je vende Marlboro tous les jours à tout le monde… » (Rires). Donc voilà, j’ai recommencé à fumer mais j’ai arrêté la tradition. Mais ouais, toute la tournée on a fumé nos clopes grâce à beaucoup de gens, et franchement merci.
HHSOM: Et pour conclure, dans Freestyle, tu finis par « On remplit pas de big stades, nous on kick sale dans des petites salles ». Ça te plairait pas quand même de remplir le Stade de France pour un concert?
Nemir: Oui, pour l’ego. Mais je pense pas que je serais heureux. Par exemple pour la tournée qu’on a pu faire avec Stromae, d’être confronté à cet artiste, je parle même pas du talent qu’il a, mais ça m’a permis de cerner ce que je voulais au final. Parce que j’ai jamais su ce que je voulais, je savais que je voulais faire de la musique. Plus je pouvais être aimé plus ça m’arrangeait, plus on pouvait me dire que j’étais bon plus mes érections étaient mortelles. Mais confronté comme ça au maximum, ça m’a permis de me rendre compte que j’étais pas prêt psychologiquement à être confronté à autant de ferveur, à autant de grandeur… Donc moi, je me verrais bien dans quelque chose d’intermédiaire tout au long d’une vie, avec bien sûr des courbes, des fois descendantes, des fois ascendantes, parce que ça me ferait très peur… Je connais mes failles, mes fêlures, et j’aurais très peur d’être exposé comme ça, d’être livré au grand public, même si ça reste un peu l’objectif. Mais y’a grand public et grand public. Stromae, c’est quelque chose d’incroyable. C’est fou, c’est déroutant. Après, je pense qu’il y a vraiment des gens qu’ont l’ossature et le cortex pour traverser ça. Et même malgré ça, ils en sortent quand même pas indemnes, parce que c’est assez vertigineux. Mais moi ouais, ça me fait quand même un peu peur quoi. J’aimerais bien faire des albums, si je pouvais être disque d’or c’est cool, si je peux remplir des 2’000 places c’est bien, et ça me va. Stop.
HHSOM: Bon, Stromae il a aussi commencé comme ça, peut-être que dans quelques temps on te verra toi au Stade de France.
Nemir: Ouais mais t’imagines, le rapport à la célébrité que t’as là? Tu remplis des trucs c’est des 20’000 places, ça fait peur quand même. Au fond de moi, mon ego il aimerait ça, Mais à côté de mon ego y’a aussi ma science de l’analyse qui commence à savoir ce qui pourrait me détruire si j’étais exposé à ça. Et je me connais, je sais que c’est le genre de choses que j’aurais du mal à gérer. Y’a quand même les dérives qui sont liées à ça. Enfin, je te dis ça alors que peut-être que demain je vivrai totalement le contraire, je dis ça là où je suis au moment où j’y suis. Voilà.
HHSOM: Merci, et bonne continuation. On attend l’album avec impatience.
Un grand remerciement au Pont-Rouge de Monthey pour ce contact.