Du haut de ses 21 ans, Geule Blansh n’a sorti que très peu de morceaux. Pourtant, le rappeur genevois pourrait bien être l’un des rares suisses à percer dans le milieu. C’est en tout cas ce que laisse penser le succès de J’raconte, une vidéo qui comptabilise plus de 130’000 vues sur YouTube, ou le fait qu’il soit le seul suisse à avoir été présent sur Marche Arrière du Gouffre, en 2013, sur lequel se trouvaient Busta Flex, Nekfeu, Niro ou Mac Kregor. Alors qu’il prépare la sortie de son album, nous l’avons rencontré afin de parler de ce qui l’a poussé à rapper, de ses influences, de ce premier album attendu et du succès. Rencontre avec le futur.
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Hip Hop State Of Mind: Pour commencer, on aimerait que tu reviennes sur tes débuts, sur ce qui t’a donné envie de rapper…
Geule Blansh: En fait, à la base, je n’étais pas trop dans le rap mais j’avais un grand-frère qui en écoutait beaucoup. Mon père était aussi énormément dans la musique. J’écoutais beaucoup de musique mais peu de rap. Ensuite, mon frère me faisait écouter quelques morceaux et, comme on est toujours fasciné par le grand-frère, j’ai fait pareil. Et puis, je me suis dit : « pourquoi pas moi?« . J’ai commencé à gratter des trucs dans ma chambre. Je ne pensais à rien, même pas à faire écouter aux potes, j’écrivais juste.
HHSOM: Et au niveau des influences, quels sont les artistes qui t’ont marqué?
Geule Blansh: La Scred Connexion. Au début, j’écoutais des morceaux de la Scred et j’écrivais par-dessus, carrément. C’était aussi à l’époque où les singles sortaient, avec le morceau accompagné d’une Face B. J’avais un vieux natel à l’époque, je mettais les Face B des singles de 50 Cent, In Da Club par exemple, ou Fat Joe aussi, Lean Back (Rires). Je rappais dessus et j’enregistrais comme ça. Je faisais écouter aux potes, ils se foutaient de ma gueule mais c’était drôle. J’ai jamais lâché pourtant…
HHSOM: Au niveau suisse, il y a des artistes qui t’ont influencé?
Geule Blansh: Beaucoup, Marekage Street, Basengo, Cenzino, Sentin’L, M-Atom, Le Duo. Il y en a trop à citer. J’ai écouté beaucoup de rap genevois. J’allais au Tabac La Bohème, j’achetais toujours des CDs là-bas pour découvrir ce qui se faisait. Mais je pense que Marécage Street sont ceux qui m’ont le plus influencé.
HHSOM: Pourquoi ce blaze « Geule Blansh »?
Geule Blansh: Quand j’étais petit, à l’école primaire, juste après les vacances d’été, j’étais quasiment le seul de ma classe qui n’était pas parti en vacances, qui était resté à Genève. Ils sont tous revenus bronzés. Je me rappelle d’un camarade qui m’avait vanné sur le fait que j’étais plus blanc qu’eux (Rires). Quand j’ai commencé à écrire, je pensais aux chances que je n’ai pas eues par rapport à d’autres et cette vanne symbolisait cela.
HHSOM: Et pourquoi cette orthographe particulière?
Geule Blansh: Pour l’orthographe, je vous le dis direct, c’est parce que j’étais nul en orthographe. Le « Blansh », avec le « sh » à la fin, c’était fait exprès, ça donnait un truc. Mais « Geule », j’étais persuadé à l’époque de l’écrire juste (Rires). Après, c’est resté.
HHSOM: Sinon, on a entendu dire que ton premier album arriverait en 2015? Qu’est ce que tu peux nous dire sur ce disque?
Geule Blansh: Il va sortir en 2015, maintenant je marche avec le label Sans Censure Prod. Je suis à fond avec eux. Là, j’ai quelques textes que je dois finir mais, pour la majorité, on va ré-enregistrer des titres déjà écrits et faire ça « carré ». C’est dans la finition et il ne restera que de l’enregistrement.
HHSOM: Justement, tu peux nous parler de Sans Censure Prod.? Tu as signé récemment avec eux?
Geule Blansh: Oui, c’est des amis de longue date. C’est mon pote, 1’Sang’C, avec qui je suis depuis longtemps, qui a monté ce label. Sans me vanter, j’ai eu plein d’autres propositions de gens qui voulaient me signer mais ça me semblait évident de continuer avec des personnes avec qui je suis depuis le départ. Même s’il y a moins de moyens, je m’en fous. C’est juste important pour moi d’être avec des personnes vraies et avec qui je me sens à l’aise. 1’Sang’C, il était là depuis le départ, quand j’étais dans la merde, quand je ne faisais rien. Pour moi, c’est donc logique de rouler avec eux. Et je leur dois énormément. Si je continue à écrire, c’est grâce à eux.
HHSOM: Pour revenir à l’album, est-ce que tu peux déjà nous dire quels featurings il y aura?
Geule Blansh: Il y aura peu de featurings, je pense. C’est justement ce que je suis en train de regarder en ce moment. J’ai pas mal de featurings déjà enregistrés mais, en même temps, je me dis qu’un album, c’est vraiment personnel. Du coup, je préfère peut-être mettre moins de featurings, mais que ça soit des connexions réfléchies. Dans tous les cas, ça sera un album familial, avec des personnes de mon entourage.
HHSOM: Est-ce que tu vas privilégier un format court?
Geule Blansh: Non, ça sera plus aux alentours de 17 titres, minimum. Pour l’instant, c’est ce que j’ai dans mon optique mais ça peut varier. Trois-quatre featurings et des solos pour le reste.
HHSOM: Et est-ce que tu as un titre pour cet album?
Geule Blansh: Non, pas encore. Ça se décidera sur le tas.
HHSOM: Par rapport à la production, qui peut-on espérer retrouver?
Geule Blansh: Ça varie, il y a du Mani Deïz, du Metronom, du Celloprod, sûrement le meilleur en Suisse, selon moi. Il y en aura pour tous les goûts, je ne vais pas m’enfermer dans un style. Je vais tenter des nouvelles choses comme des instrumentales plus actuelles, des choses qui varient. J’aime tout, du coup, je me verrais poser sur tout, il faut juste que ça me parle. Tu peux me mettre un production à l’ancienne, je peux ne pas aimer, comme tu peux me proposer de la trap, s’il y a un truc dedans, je préférerais la trap à l’autre. C’est comme la musique que j’écoute. Tu peux me mettre du Kaaris, si je vais en soirée, je vais préférer ça à du son qui va te faire déprimer.
HHSOM: Sinon, on aimerait parler de ton collectif, le 13 Sarkastick. Tu as des projets de prévus avec eux?
Geule Blansh: Le 13 Sarkastick, c’est avant tout un groupe de potes. On a jamais commencé à faire des projets ensemble. Ça va se faire c’est sûr mais pas dans la précipitation. On a fait peu de morceaux ensemble malgré le fait qu’on soit souvent ensemble.
HHSOM: Sur J’raconte, tu dis : « j’suis personne dans le rap genevois ». En même temps, ce titre a plus de 130’000 vues sur YouTube. Est-ce que tu sens une certaine forme de succès? Et pourquoi cette phrase malgré ce succès?
Geule Blansh: Quand je vois le nombre de vues, je ne peux pas le nier. En plus, j’ai pas mal de gens qui me contactent. Mais je reste personne dans le rap genevois car je ne suis pas meilleur qu’un autre. Sur YouTube, un chat qui vomit aura plus de vues qu’un gars qui écrit une chanson en six ans et qui mettra tous ses sentiments dans ce morceau. Je suis content mais n’importe qui peut débarquer et faire mieux. Et j’ai beaucoup de respect pour les anciens qui ont sorti plusieurs albums, qui ont fait des concerts partout. Moi, je débarque avec un clip, j’ai rien fait. Même pas une mixtape, seulement deux-trois sons.
HHSOM: Est-ce que tu te vois faire vivre la scène de Genève ensuite?
Geule Blansh: C’est clair. Si j’ai l’occasion, je vais pas cracher dessus. C’est mon rêve, depuis tout petit, je veux faire de la musique. Là, c’est un rêve qui se réalise. Je fais des concerts en France, à Paris, en Belgique, ça tue! Que demander de plus? Je kiffe déjà maintenant alors que je n’ai pas sorti d’album. Quand il va sortir, je me dis que j’aurai encore plus de concerts et donc que je vais pouvoir encore plus kiffer. Après, ça va me donner de la force pour la suite, je pense que c’est une suite logique qui va se faire. Je me lance pas trop parce que, depuis que j’ai commencé, on me dit que tu ne peux pas vivre du rap à Genève. On va pas se le cacher, en Suisse, le seul qui vit de sa musique, c’est Stress. Il fait même des pubs. Tant mieux pour lui, s’il fait ce qu’il aime, je ne vais pas critiquer. C’est clair qu’à Genève, c’est difficile de s’en sortir, il y a jamais vraiment personne qui a percé. J’ai du mal à voir l’image que ça soit moi.
HHSOM: Tu serais prêt à saisir cette chance?
Geule Blansh: Oui, si j’ai cette chance là, c’est sûr. Qui n’a jamais rêvé de faire ce qu’il aime? Franchement?
En 2012, Sentin’L, rappeur genevois d’aujourd’hui 26 ans, rappait: « Mon rêve c’est l’rap, j’voudrais quelques interviews / Qu’on s’intéresse même si on m’demande si j’aime les pâtes », dans Au Large, titre issu d’Entre Parenthèses, un projet téléchargeable alors gratuitement. Trois ans plus tard, il fêtait au Ned Music Club le vernissage de la sortie physique de ce même disque doublé d’inédits, lors d’une soirée qui conviait la quasi totalité des personnes ayant collaboré sur le projet. C’était pour nous l’occasion parfaite de nous pencher sur son travail. Entre chronique d’un projet aux deux vies et focus sur le paysage rap suisse, entretien avec un passionné.
Hip Hop State Of Mind: On aimerait revenir sur tes débuts afin de savoir qu’est-ce qui t’a amené à faire du rap…
Sentin’L: C’était fin 2003, je suis allé chez un pote. Il avait écrit un texte et m’a demandé de le rapper. A l’époque, je n’écoutais pas de rap, j’avais seulement l’album de Shurik’n, Où Je Vis, mais j’ai essayé de rapper son texte. Dès le lendemain, je commençais à écrire.
HHSOM: Et est-ce que ce tu pourrais revenir sur ta discographie, tes collaborations…
Sentin’L: En 2008, j’ai sorti un premier album, À Ma Manière, avec des collaborations principalement de Genève. Ensuite, j’ai fait La Tête Ailleurs en 2010 avec Karna, Nakk, Cenzino ou Pejmaxx. Enfin, en 2012, j’ai sorti Entre Parenthèses sur le net gratuitement, qui a été téléchargé environ 8’000 fois. Après, j’ai connu une période moins productive, je n’arrivais plus à écrire. Le seul truc que j’ai réussi à faire, c’était le 5H Chrono avec Geule Blansh. Là, l’inspiration est revenue alors j’ai eu l’idée de faire une réédition d’Entre Parenthèses en physique avec des nouveautés, dont certains featurings que je voulais faire depuis un moment.
HHSOM: La sortie de cette réédition s’accompagne de ce live événement qui réunit presque tous les rappeurs qui ont participé au projet (Geule Blansh, M-Atom, Le Bon Nob, P.O.R., etc.). Pourquoi avoir voulu faire cette soirée? Est-ce que tu voulais marquer le coup?
Sentin’L: Oui, je suis quelqu’un qui a toujours beaucoup collaboré dans la musique, parce que j’ai toujours eu des contacts avec des gens externes à la Suisse, que ça soit des rappeurs ou des beatmakers. Je me suis dit que ce concert pouvait marquer le coup mais que c’était aussi une occasion de revoir des bons potes. C’est cool, ça fait une réunion de gens supers. Tout le monde est là, je peux leur passer l’album et c’est aussi un prétexte pour passer une bonne soirée.
HHSOM: Comme tu l’as dit avant, Entre Parenthèses était sorti seulement en téléchargement gratuit sur Internet. Etant en indépendant, comment s’est passé le passage du numérique au physique, au niveau de la pochette, du pressage, etc.? Est-ce que c’est toi qui a fait ces démarches?
Sentin’L: Non, j’ai un graphiste qui vient de Bruxelles qui a fait les visuels. Graphiquement, je suis le plus mauvais au monde, je sais rien faire de bien (Rires). Mais je donne mes idées et j’aime voir comment ça avance. Sur les autres projets, c’était un pote de Genève qui s’occupait des visuels. Sinon, depuis plus d’un an, j’enregistre chez moi car j’ai un home studio donc j’ai déjà plus besoin de devoir en louer un. J’ai tout enregistré et c’est Metronom qui a ensuite mixé et masterisé le tout. Après, on a envoyé ça au pressage, il faut notamment payer le pressage ainsi que les droits qui sont liés. Pour la distribution en France et en Belgique, on collabore avec shoptonhiphop.fr. Pour ce qui est du digital, je bosse avec un gars qui travaille chez Disques Office, une société de distribution en Suisse Romande. Il m’aide pour tout ce qui est digital, iTunes et autres.
HHSOM: Pour toi, c’était important de sortir cet album en CD, par rapport à la symbolique du format physique?
Sentin’L: Oui. Pendant longtemps, on m’a demandé : « où peut-ton le trouver en physique?« . Finalement, je me suis dit que c’était quand même un projet qui était bien, cohérent et qui correspondait à une période de ma vie. Et c’est quand même cool d’avoir son album sur l’étagère. Aussi, quand je croise des gens en voyage, j’ai que mon album de 2010 à leur proposer. Ça fait quand même 4 ans et demi. Même si je suis totalement satisfait, c’est un peu vieux. Cette sortie en physique, ça me fait donc aussi une carte de visite et ça clôt une certaine période de ma vie et dans le rap également.
HHSOM: Tu es quelqu’un qui achète encore des CD?
Sentin’L: Oui, bien-sûr. J’achète les projets des gens, j’aime avoir le CD et regarder ce qu’il y a dedans. Surtout que quand tu fais de la musique, tu sais tout ce qui a derrière. Dès que j’apprécie, je soutiens.
HHSOM: C’est quoi le dernier album que tu as acheté?
Sentin’L: Les derniers, c’est Caballero, Le Pont de la Reine, et JeanJass, Goldman. Ils sont cools, juste un peu courts. Sinon, j’ai acheté Cupcakes de Mani Deïz récemment aussi.
HHSOM: Pour poursuivre dans cette lignée, quels sont les artistes qui t’ont influencé? Qui sont ceux qui t’ont poussé à écrire?
Sentin’L: Quand j’ai commencé à m’intéresser au rap, ce sur quoi j’ai vite croché, c’était Flynt, la Scred Connexion, Hocus Pocus, Dany Dan, Oxmo Puccino, Kohndo, SakageKronik, Les Zakariens, Bouchées Doubles. Après, dans le rap américain, plutôt Talib Kweli, Mos Def, Nas, ImmortalTechnique et ce genre de choses. Pour tout ce qui n’est pas rap, j’écoute de tout: du rock, du reggae, de la chanson française. Tu vois, les Red Hot Chili Peppers, j’ai kiffé ça à fond. Même Nirvana, c’est des choses que j’ai beaucoup écouté. Donc au niveau des influences, je vais pas te citer un nom. Pendant longtemps, Flynt a été un rappeur que je mettais presque au-dessus, pour pleins de raisons. Mais c’est un mix de plein de choses qui m’influencent.
HHSOM: Et au niveau suisse? Même des artistes qui t’influencent encore maintenant...
Sentin’L: A Genève, il y avait Le Duo, c’était Rox Anuar et Jonas, ou Basengo. Tous les anciens de Genève m’ont influencé. Certains nous ont aidé à enregistrer. Encore une fois, je ne pourrais pas te sortir un nom, c’est plus un mix général qui m’a motivé à poursuivre.
HHSOM: Pour revenir sur l’album, la réédition s’accompagne d’un second disque qui contient des inédits ainsi que des morceaux sortis depuis 2012. Est-ce que tu as pensé et construit cette deuxième partie comme un album, au niveau des transitions, des sonorités?
Sentin’L: Non. Je savais, sur les morceaux qui étaient sortis, ceux que je voulais récupérer. Après, c’est vrai qu’au niveau des ambiances des productions, j’ai essayé de faire en sorte que ça soit quand même un peu cohérent. Mais ça n’a pas été construit comme un album.
HHSOM: Pourquoi ne pas accorder autant d’importance à cet aspect? Est-ce que tu préfères la spontanéité?
Sentin’L: Pour la spontanéité, c’est clair. Après, ça colle aussi à l’esprit de la première version d’Entre Parenthèses. J’étais pas parti dans l’idée de faire un album. J’avais fait des morceaux, des solos et des featurings, jusqu’au moment où je me suis dit: « bon, je vais regrouper le tout, ajouter trois-quatre morceaux pour que ça forme ce que j’aimerais« . Là, c’était à peu près pareil: j’avais des morceaux en cours, j’ai eu des nouveaux trucs et il y a eu des trucs spontanés. Récemment, pendant six semaines, je n’était plus en Suisse. Juste avant de partir, je suis allé trois jours à Paris, chez Mani Deïz. On a fait deux morceaux dont un clip, Hors-Jeu, et un featuring avec Hunam. Typiquement, c’était des morceaux qui n’étaient pas prévus. Je me suis réveillé le matin, j’ai pris un co-voiturage une heure après pour Paris, on a fait le truc, puis le clip. Finalement, ça collait à la première version de l’album, ça collait avec cette dynamique là. Mais, les prochains projets vont être construits.
HHSOM: Par rapport au titre de l’album, pourquoi « Entre Parenthèses »?
Sentin’L: Je vois cet album comme une période dans ma vie mais également comme une situation. Cette situation entre vie professionnelle et musique. C’est difficile de placer la musique dans ta vie, surtout à mon niveau. Je sais que je ne vais pas en vivre mais j’aime la musique. Alors certaines fois, tu dois mettre ça de côté et les gens aimeraient que tu mettes ça de côté aussi car il n’en voit pas d’importance. C’est un peu ça « Entre Parenthèses« . Il y a aussi ce délire lié à l’écriture, le jeu avec les mots et la ponctuation.
HHSOM: C’est vrai que cette difficulté à concilier ces deux univers est une thématique centrale de l’album…
Sentin’L: Oui, c’est mon quotidien, je suis confronté à ça en permanence. Tu dois travailler mais en même temps t’as la musique qui t’apporte beaucoup de choses sauf l’argent, qui serait légitime avec les efforts consacrés.
HHSOM: Tu citais Caballero auparavant. Justement, dans son dernier EP, il parle pas mal de ça, d’allier rap et argent. Qu’est ce que tu penses de sa vision des choses?
Sentin’L: Il est parti dans une direction, celle du gars qui veut faire de l’argent et qui voit la musique comme un moyen de s’en faire. Je respecte totalement, c’est des choses que tout le monde pense mais ne le dit pas forcément. Après, Caba va le dire d’une certaine manière, directe, en prenant le truc d’au-dessus. C’est un côté un peu plus égotrip. En plus, il sait que ça fonctionne en ce moment de prendre le truc dans cet angle là. Je pense qu’on parle plus ou moins des même choses mais pris sous des angles différents.
HHSOM: Sur l’album, au niveau des productions, on a pu voir des instrumentales signées Haute Fréquence ou Kids Of Crackling. Comment sélectionnes-tu tes productions? Haute Fréquence est souvent présent, as-tu une alchimie particulière avec lui?
Sentin’L: Bon, Haute Fréquence n’existe plus sous ce nom, il a un autre blaze. En fait, c’est le pote qui m’a fait commencé le rap, j’ai eu la chance dès le début d’avoir un gars qui faisait des productions. Mais, que ce soit avec lui ou avec les Kids Of Crackling, je reçois des instrumentales, j’écoute et, dès que quelque chose me plait, je le garde et j’en fais un morceau. Après, j’ai plein de titres en cours qui n’existeront jamais car je n’arrive pas à les finir. Mais, du moment que je finis un morceau et que je m’apprête à l’enregistrer, je sais que ça va sortir. Il y a des gens qui enregistrent quarante morceaux, en gardent vingt pour l’album et jettent le reste à la poubelle. Je suis incapable de faire ça. Je fais la réflexion avant.
HHSOM: Au niveau des featurings, comme tu le disais avant, tu collabores énormément. Est-ce que tu trouves une énergie particulière dans le fait de partager le micro?
Sentin’L: Oui, c’est du partage mais il y a aussi ce côté « défi ». Il faut que tu sois au niveau de l’autre et donc que tu te surpasses. Sur des solos, ça va couler plus facilement, t’as plus le temps d’étaler ce que tu veux amener. Sur un seize en featuring, tu dois être bon sur un temps plus court. Il y a ça qui est cool et aussi le fait que ça amène une autre touche.
HHSOM: Tu as fait pas mal de connexions dans le rap français et dans le rap belge. On peut penser à Lomepal, Caballero, JeanJass ou Fadah. Comment tu as créé toutes ces connexions?
Sentin’L: C’est grâce au net, soit des gens me contactent, soit je fais la démarche parce que j’apprécie ce qu’ils font. Caballero, je le connais car Carlos, un gars de son équipe, m’avait fait découvrir ce qu’il faisait, à une époque où il écoutait mes sons. C’était aux débuts de Caba. Et on s’est mis en connexion, on s’est rencontré à Bruxelles puis on a fait un premier morceau. Fadah, par exemple, je l’ai découvert car j’avais fait un concours pour Entre Parenthèses…
HHSOM: Comment s’était passé justement ce concours?
Sentin’L: En fait, on avait publié une production de Mani Deïz, les MCs pouvaient rapper dessus et celui qu’on préférait se retrouvait sur le projet (La première version d' »Entre Parenthèses », NDLR). J’ai découvert Fadah comme ça. On s’est mis en connexion, il m’a invité sur son album et j’ai fait de même. Donc ça dépend, les connexions peuvent se faire par l’intermédiaire d’autres, tu peux découvrir la personne sur le net ou la découvrir en concert. Tu vois, Lacraps, je l’ai vu en concert en décembre, il y avait Melan que je connaissais depuis un moment. On était les trois et on a décidé de faire un morceau. Il y a de tout, des choses sur la durée et d’autres plus spontanées.
HHSOM: Justement, on voulait parler du rap belge, très présent sur Entre Parenthèses. On pense au titre Onze, il n’y a que des rappeurs belges dessus?
Sentin’L: A part M-Atom, oui, il n’y a que des belges. Azzili Kakma, Karib d’Opak, le collectif à Scylla, JeanJass, Caballero, Carlos, Syntax, Senamo, Ysha, Seven: on est onze!
HHSOM : Du coup, est-ce qu’il y a une dynamique un peu semblable entre la Belgique et la Suisse ?
Sentin’l : Oui, souvent les gens disent ça, par rapport à la France. On aime bien se mettre en dehors de la France. C’est aussi des petits pays qui sont un peu fiers quand des choses se passent chez eux. Et puis, on a pas vécu la période rap français, qui s’est beaucoup passée à Paris, de l’intérieur. On est pas parisien… On a vécu le rap un peu de l’extérieur, on a plus du faire l’effort de s’y intéresser. Le rap était pas directement là pour nous, on a du aller vers lui. Du coup, en devant aller chercher le rap, on est plus devenu ce qu’on peut appeler des puristes aussi. C’est ce qu’on dit de nous en tout cas. Ça a façonné ce qu’on aime et, du coup, notre manière de faire de la musique.
HHSOM : Ici au Ned, il y a beaucoup de rappeurs francophones indépendants qui passent, la majorité dans ce style que tu décris. Il y a eu Caballero et JeanJass dernièrement, Swift Guad, Nakk, L’indis et plein d’autres à la première soirée de la One Shot. C’est un peu le même circuit. C’est des gens avec lesquels tu collabores pour certains, tu les connais peut-être ?
Sentin’l : Je ne connais pas tout le monde mais on collabore, on se voit en concert, etc. Ça fait plaisir parce que c’est là qu’on voit qu’il y a un renouveau dans la dynamique des rappeurs. J’ai l’impression qu’il y a plus de collaborations saines et ça se passe aussi chez les auditeurs. Il y a des jeunes qui viennent aux concerts, paient 15 francs leur billet, achètent encore deux albums et trois t-shirts. Ils ont dépensé 100 balles à la soirée rap ! Moi, il y a 10 ans, j’allais en concert à l’Usine, on payait dix francs l’entrée, ça nous saoulait déjà. Il y avait 20 personnes, une embrouille et voilà. Aujourd’hui le rap, c’est comme le rock à l’époque, c’est devenu une musique de société. Aujourd’hui, les gens te demandent quel style de rap tu fais, ils comprennent qu’il y en a plusieurs. On sent que ça rentre dans les mœurs.
HHSOM : On sent, dans une certaine mesure, qu’aujourd’hui, cette scène indépendante dont on parlait est assez forte, il y a une dynamique…
Sentin’l : Oui, c’est vrai ! Mais c’est même pour des rappeurs indépendants qui ont 35 ans aujourd’hui que ça marche bien. Ça revient. Je pense aussi pour ça, que les jeunes rappeurs d’aujourd’hui vont pouvoir un peu faire parler d’eux, même en venant de Suisse par exemple.
HHSOM : On voulait justement parler du rap suisse. Si on te demandait de parler du rap suisse qu’est ce que tu dirais toi ? Est-ce qu’il y a une unité, une identité ?
Sentin’l : Je dirais que c’est comme tous les raps. Il y a du bon et du mauvais, quelques artistes qui sortent du lot. Je pense pas qu’il y ait une unité, je pense que le rap suisse, c’est juste du rap. Il y a certains artistes qu’on peut mettre dans les cases dont on a parlé avant. Mais ce que je vois surtout, c’est qu’il est prolifique. Il y a des projets qui sortent, y en a des bons… Comme je t’ai dit, je pense qu’il y aura quelques artistes qui auront moyen de faire quelque chose.
HHSOM : C’est un hasard mais ce soir-même, justement, se produisent les Reprezent Music Awards, qui décernent donc des statuettes aux rappeurs suisses. Qu’est ce que tu penses de cette cérémonie ?
Sentin’l : Oui, ça fait trois-quatre ans qu’ils font ça. L’année passée, j’ai été nominé deux fois pour « Meilleur texte », je crois. Le fonctionnement du truc change tout le temps en fait, il y a des gens qui votent… Mais c’est un grand débat ces Reprezent Awards… C’est bien et c’est pas bien. Mais ça fait parler du rap aussi dans les médias, je préfère le voir comme ça. C’est des gens qui se bougent et c’est bien même si ça fait toujours parler. Peut-être qu’un jour je vais en gagner un, ça serait cool mais ça ne change rien. C’est juste histoire de marquer le coup. Après, c’est toujours la question de classer qui gène un peu. Mais ça fait bouger, c’est bien.
HHSOM : Sinon, par rapport aux autres artistes suisses, est-ce que tu fais des connexions autre part qu’à Genève aussi ?
Sentin’l : Oui, c’est clair. Ce soir, il y a des Lausannois qui sont là. A une époque, je collaborais beaucoup avec Intenzo et Fleo de Fribourg. Après, j’ai des connexions un peu partout. Mais j’ai conclu quand même que Genève est beaucoup plus prolifique, peut-être parce qu’on est proche de la France. Ça me correspond plus aussi ce qui se fait là-bas. La plupart des artistes suisses que j’apprécie sont de Genève.
HHSOM : Et tu n’as pas une certaine envie de mettre en avant le rap suisse en faisant des feats ?
Sentin’l : Non, le rap suisse en tant que tel, je m’en fous, comme du rap français ou celui de Bretagne ! L’important, c’est le gars avec qui je vais collaborer, s’il est fort ou pas… J’ai pas besoin de représenter le rap suisse…
HHSOM : Est-ce que tu trouves, par ailleurs, qu’il se passe pas mal de choses en Suisse par rapport aux concerts ? Ici-même, au Ned, il y a beaucoup d’artistes qui viennent…
Sentin’l : Oui, c’est clair que depuis quelques années, il y a pas mal de choses qui se passent… Ici, la dernière soirée avec Caballero et JeanJass, c’est moi qui l’ait organisée. C’est cool, ça bouge.
HHSOM : Justement, tu organises des concerts également, est-ce que pour toi c’est une manière de faire vivre le rap différemment ?
Sentin’l : Oui, aussi. Je teste également s’il y a moyen plus tard de me faire de l’argent avec ça. Pour l’instant, c’est sûr que non. Je me suis rendu compte en fait que, comme ça fait dix ans que je suis dans le milieu, je connais beaucoup de gens. Du coup, j’ai les moyens, de par mes connexions, de faire venir des gens, de faire des bonnes soirées, etc. C’est pour voir si y a moyen de s’installer pour organiser des choses plus tard mais également de faire venir des gens qui sont pas encore venus, pour véhiculer des bonnes soirées.
Le double CD d’Entre Parenthèses est disponible sur le site shoptonhiphop.com.
Le 15 décembre 2014, le Pont-Rouge de Monthey accueillait Nemir pour un live plein d’énergie et tout en freestyle, comme à son habitude. Après avoir pu découvrir le surprenant duo Chill Bump (lire notre article découverte ici) en première partie, c’est donc au rappeur de Perpignan qu’est revenu la tâche d’ambiancer une salle petite mais chaleureuse. C’était l’occasion rêvée pour prendre des nouvelles de Nemir, de ses projets à venir et de son envie toujours présente de s’affirmer tel qu’il est dans ce rap français qui mue indéniablement. Après le succès qui a suivi son premier EP Ailleurs, et la période de tournée qui va avec, c’est un Nemir motivé que l’on a eu le plaisir de retrouver, et qui nous a fait part de ses projets pour cette année 2015.
Gros Mo, Nemir & Everydayz
Hip Hop State Of Mind: On va commencer par parler un peu de ton parcours. Rapidement, si t’arrives à nous faire un gros résumé, nous expliquer comment tu t’es lancé dans le rap, comment est venue l’envie?
Nemir: Par hasard, l’environnement social et car c’est une musique accessible pour les gens comme moi, qui venaient de ce milieu là. Les grands frères en écoutaient donc, par mimétisme, j’en écoutais aussi. Après t’approfondis le lien, la relation avec le truc. Rien de particulier, c’est vrai que c’est une question difficile, parce que tu peux pas répondre de façon originale, tu ressembles un petit peu à tous ceux qui ont commencé dans ce milieu-là ou dans des domaines qui y ressemblent. Au départ, c’est un petit peu hasardeux, après y’a des accroches, et après, par escalade, tu trouves des endroits, des marques. T’avances et à un moment tu te rends compte que t’es bien… Que t’as fait beaucoup de chemin, et tu te dis: voilà est-ce que j’arrête parce que j’ai mieux à faire? Non, j’y reste. Et t’as un rapport un peu plus profond, mais c’est vrai qu’au départ c’est comme ça, très léger, très hasardeux. Et aussi un peu parce qu’on se sent valorisé, je pense. Si j’avais 20/20 tous les jours à l’école et que j’étais un 10/20 en rap, j’aurais continué l’école…
HHSOM: Et à propos de ton EP, Ailleurs, qui date déjà de fin 2012, t’en es satisfait?
Nemir: Ouais, j’ai bien aimé parce qu’on attendait pas grand chose de cet EP, à part la volonté de faire quelque chose qui nous ressemble et de faire quelque chose qu’on installe un peu dans le paysage musical. Et on a eu un succès d’estime qu’a été assez correct. Ça été même très dur parce qu’on a eu une année de passage à vide; parce qu’on a fait un très bonne tournée pour un EP, c’est-à-dire quand même 80 dates, et l’année 2014 a été compliquée parce que j’ai essayé de m’éloigner un peu de cet EP, mais en même temps il me servait de repère aussi, et je ne voulais pas faire quelque chose qui y ressemble vu qu’il existait déjà. Et plus je m’éloignais, plus j’avais l’impression de me perdre parce que j’avais pas forcément de marques; ça a été hyper complexe quoi, la recherche a été très douloureuse. Comme je dis, on a pleuré, on a ri, on s’est amusé mais on a souffert aussi. Jusqu’à arriver aujourd’hui aux vérités qu’on a réussies à toucher pour l’album qui va arriver en 2015.
HHSOM: On va avoir un album en 2015 alors?
Nemir: Ouais, avec violence et rage. J’ai hâte ouais, bien sûr.
HHSOM: On a hâte de voir ça en tous cas… Parce que Ailleurs était quand même un gros cap?
Nemir: Ouais un gros cap et avec ça y’a le revers de la médaille. C’est la pression aussi qui commence à se profiler au-dessus de la tête, se dire que les gens ont cette vision-là, ils pensent qu’on va vraiment tout niquer. On se dit: « Ah ouais… Mais on en est pas capables, ils délirent… » Et tu passes ton temps à croiser des gens qui te disent « J’le sais. vous allez tout niquer« . Et toi, tu veux leur dire: « Arrêtez de savoir, parce que nous-même on sait pas« , tu vois? Et moi, je suis quelqu’un qui voit mes projets sur le long terme. C’est pour ça que j’ai pas enquillé très vite pour livrer quelque chose, comme le major le voulait après la signature, même si on avait des maquettes et d’autres trucs, qu’ils voulaient sortir tout de suite, parce que pour eux c’était un moyen d’exister encore. Mais pour exister, pour moi, faut forcément amener quelque chose d’intéressant, qui va plus loin, et j’voyais pas l’intérêt. Donc voilà, on s’est caché un peu dans une grotte, on a déprimé, et là on est sorti de la déprime et on est à fond (Rires).
Nemir – Wake Up (Feat. Alpha Wann)
HHSOM: Ouais justement un fait marquant c’est ta signature chez Barclay en 2013, suite à l’EP. Qu’est-ce que ça change concrètement à ton travail?
Nemir: Rien, à part quelques personnes en plus qui se rendent compte que je suis quelqu’un de très casse-couilles et de complètement ingérable, tu vois. A part ça, y’a des partenaires intéressants qui tuent. Je sais qu’à un moment donné, à l’instant T, là d’ici quelques mois quand j’vais leur donner l’album et qu’on va discuter de stratégies avec des idées que j’ai déjà en tête, je sais que c’est le genre de structures qui te permet d’avoir les moyens d’aller beaucoup plus loin que si t’étais chez toi avec le solde de ta carte bleue. C’est pas la même chose, eux c’est les moyens, la force de frappe. Et y’a aussi des idées super intéressantes, on collabore avec Alex Kirchhoff qui gère le département Musique Urbaine, c’est quelqu’un avec qui on s’entend. On a eu des clashs, on a eu des incompréhensions, mais il sait qu’à la fin on veut la même chose, un truc qui bute quoi.
HHSOM: Et t’as rien de prévu d’ici l’album? Pas de tournée?
Nemir: Non non non. Rien d’exceptionnel, à la base on a arrêté la tournée y’a bien longtemps, mais on a toujours eu des petits plans qui sont venus comme ça, comme Stromae qui nous propose de faire son tour. Et on peut pas trop refuser parce que c’est quand même une opportunité. On se retrouve sur la route et le Ailleurs Tour, il s’avère être interminable (Rires). Et là, les deux dates suisses, c’est parce que le tourneur m’a dit « y’a pas d’actu, mais y’a deux plans en Suisse. Il faut jouer et c’est des nouveaux collaborateurs avec qui je bosse, il faut y aller même si y’a pas d’actu. Tu reviendras l’année prochaine avec un album, il faut y aller« … Donc voilà y’a toujours quelque chose, c’est interminable cet Ailleurs Tour. Mais après moi, j’adore, j’prends beaucoup de plaisir et chaque fois que je fais des dates comme ça un peu isolées, quand je retourne en studio, je vois que ça m’a fait plus de bien que l’inverse, et j’me dis que le tourneur avait raison.
HHSOM: Ouais parce que ça a fait beaucoup de dates suite à Ailleurs.
Nemir: Trop. Enfin c’est même pas trop, on fait jamais trop de dates, mais moi dans ma tête je suis déjà loin d’Ailleurs et je défends des chose qui sont d’ailleurs, tu vois, donc je suis dans une schizophrénie permanente (Rires).
Parce que je suis quelqu’un qui doute, pas jusqu’à la dernière minute mais jusqu’au dernier centième de seconde en fait.
HHSOM: Et justement, par rapport aux dates, ce soir t’es dans une petite salle, avec un petit public, mais nous on t’a vu à Royal Arena à Bienne, une grosse soirée.
Nemir: Ah ouais, c’était génial. Non mais voilà, nous on est venu parce qu’avant d’être des chanteurs, des musiciens, on est des freestyleurs à la base. Et on sait que dans ce genre d’endroits, on vient pour ça, pour faire du freestyle. On goupille les morceaux à la dernière minute, on se lâche et on voit ce que ça donne. On est dans ce rapport-là, un peu plus instinctif quoi. Après la sortie de l’album, on sera sur un rapport avec plus de fondamentaux, plus de conception, de mise en scène. Voilà, c’est pas la même démarche, c’est pour ça que c’est difficile de sortir d’une démarche pour aller vers une autre, le chemin est compliqué.
HHSOM: D’ailleurs, à propos de ton album, t’as un nom déjà?
Nemir: Ouais. Mais j’peux pas le dire (Rires). Mais je sais pas si je vais utiliser celui-là, c’est pour ça que j’peux pas le dire. Parce que je suis quelqu’un qui doute, pas jusqu’à la dernière minute mais jusqu’au dernier centième de seconde en fait. Je me permets cette liberté de me dire que si j’ai une meilleure idée que celle-là, s’il reste une demi seconde avant d’appuyer sur le buzzer et de confirmer, j’le fais. Moi, j’ai un nom de premier album depuis que j’ai 12 ans, donc il est toujours dans ma tête jusqu’à preuve du contraire, ou de trouver mieux. Donc c’est pour ça que je le donne pas, au cas où à la dernière minute, y’a quelque chose qui se révèle à moi et qui collerait mieux. Mais il a résisté depuis déjà tellement d’années ce nom que ça semble bien parti.
HHSOM: Alors au moins un petit featuring…
Nemir: Pour l’instant, je peux rien dire, parce que tout se goupille à la dernière minute au niveau des featurings, moi je bosse d’abord mes solos…
HHSOM: On va avoir Gros Mo quand même?
Nemir: Gros Mo, il fera toujours partie de l’album, qu’il y soit ou non. Mais j’en sais rien, moi je confirme rien jusqu’à la dernière minute, c’est pour ça que c’est compliqué de bosser avec moi.
HHSOM: Et quelle direction musicale tu veux lui donner?
Nemir: Plusieurs. Des compromis, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Très rap, très pop, très soul, new soul même, avec des sonorités reggae, des sonorités presque de musique arabe… Mais après là je te dis ce qu’il y a en sous-couche. Peut-être que toi, avec ton oreille, t’appuies sur play et tu vois pas du tout de quoi je veux parler quand je dis ça. Mais en sous-couche de chaque morceau, y’a un petit peu de toutes ces influences. Certaines sont plus perceptibles que d’autres mais même celles qui sont pas perceptibles, en général, nourrissent la couche supérieure qui finalement est plus visible. Mais ouais ça sera très musical, très rap, très pop, très chant. Y’a des influences reggae aussi, la voix un petit peu cassée, un peu poussiéreuse, y’a de ça. Y’a de tout franchement. Y’a tellement d’albums qui me plaisent dans des registres différents qu’on retrouve ça dans l’album. Je fais ce que j’ai envie de faire quoi.
HHSOM: Et dans ton style, justement très musical, très chantant comme ça, qu’est-ce qui t’attires là-dedans?
Nemir: Je crois que je le fais sans me rendre compte, au final. Je crois que je trouve plus fade le fait de rapper sans mélodie plutôt qu’avec. Donc finalement quand je commence à travailler un morceau, si je fais quelque chose de très monocorde, je me fais chier et je dégage rien au final. J’ennuie celui qui m’écoute et je m’ennuie moi-même. Donc je me dirige forcément vers ce qui m’excite le plus, ce qui va me mettre le mieux en valeur. Mais je m’empêche pas de faire des morceaux où c’est le texte qui domine. J’en ai certains où je m’autorise aucun maquillage, et c’est le but parce que ça sert la démarche. Mais sinon, je suis très instinctif, je me jette de façon un peu folle quoi. J’attends pas de mûrir le truc, sinon je bloque et je réfléchis pendant dix ans. J’fais mon docteur en lettre quoi (Rires).
HHSOM: Mais ça se ressent aussi de manière générale, dans ton flow.
Nemir: Ouais, même quand je suis en studio faut que je retrouve le live. Si je retrouve pas le live, la prise elle est pétée, elle est pourrie, il se passe rien. C’est une interprétation parmi d’autres, mais il se passe rien. Il faut que je « live« . Tu sais qu’il y ait de la vie, en fait. Au final, quand t’écoutes un album ce que tu recherches, c’est le texte, la mélodie, tout ça, mais surtout la vie qu’il y a derrière le texte. Si je te dis des choses avec très peu de conviction, ça t’atteint moins que si je te les dis moins bien mais avec beaucoup plus de conviction. Y’a des mecs qui disent tellement moyennement les choses parce qu’ils ont pas le bagage, l’écriture, etc… pour l’exprimer de façon très juste. Mais y’a tellement un instinct derrière et l’intention de faire passer quelque chose que ça dépasse tout ça.
Je suis un fanatique de rap pur et dur, garage underground, sans concession, et à côté de ça je vais aimer des trucs presque R&B où tu pourrais te dire: le Nemir qui écoute le rap garage et qui veut pas faire de concessions, il penserait quoi de celui qu’est en train de chantonner là et de kiffer?
HHSOM: Ouais c’est ce qu’on a vu ce soir, avec vous trois sur scène, même si y’avait pas énormément de monde…
Nemir: Tu nous sens enragé quoi… Et de toute façon quand t’as une colère à l’intérieur, à toi de choisir comment tu la traduis. Ça part d’une colère à l’intérieur, présente 24h sur 24, mais je choisis de la traduire, parce que c’est mon tempérament, de façon très solaire, très constructive, plutôt que l’inverse. Ça part d’une colère profonde quoi.
HHSOM: Ouais, et par rapport au flow aussi, y’a un art des Gimmicks et de ce genre de choses que t’as bien développé dans l’EP…
Nemir : Ouais bien sûr, faire parler les silences, les respirations, ce genre de choses. Je trouve que dans le rap, pendant des années, les mecs ils étaient là à rapper rapidement, presque à bout de souffle, et je leur dis: « vous êtes fous ou quoi? ». Ben en fait, tu peux faire parler les silences, les respirations, les gimmicks, un ou deux cris. On parle pas toujours avec des mots, on fait des choses bizarres des fois quand on s’exprime. Des fois, t’as un espèce de gargarisme qui vient appuyer, accentuer ce que tu viens de dire. Alors dans la musique, pourquoi pas? Moi, ça me plait.
HHSOM: Et sur le morceau J’Résiste de Deen Burbigo, on t’entend faire un refrain où tu chantes, qu’est absolument magnifique d’ailleurs. Est-ce que t’as envie de développer un peu plus cet aspect-là, on risque de te revoir dans ce rôle, où tu fais juste un refrain comme ça?
Nemir: Ouais très bientôt, sur deux gros projets. L’un est fini, et pour l’autre la session a pas encore eu lieu. Mais oui, si tu veux pour moi c’est un peu bizarre, j’ai toujours fait des choses qui, comme ça d’apparence, semblent ne pas cohabiter. Je suis un fanatique de rap pur et dur, garage underground, sans concession, et à côté de ça je vais aimer des trucs presque R&B où tu pourrais te dire: le Nemir qui écoute le rap garage et qui veut pas faire de concessions, il penserait quoi de celui qu’est en train de chantonner là et de kiffer? Après je pense qu’on est tous un peu multiples, il est fini le temps où on voulait nous enfermer dans des cases pour mieux nous définir. Aujourd’hui, je pense qu’on peut se définir comme ça, en étant multiple, paradoxal, presque des fois antinomique dans la façon de faire des choses, mais ça fait partie de la complexité des personnes qu’on est tous et qu’on a toujours été au final. Et peut-être que la société d’aujourd’hui le permet. Et le milieu de la musique surtout c’est un endroit où on peut se permettre d’être soi-même jusqu’au bout et moi des fois j’y vois plutôt de la force dans ce genre de choses. Mais ouais du coup on va me voir dans pas mal de rôles qui n’ont rien à voir les uns des autres, mais si j’le sentirai, j’le ferai.
Deen Burbigo – J’Résiste (Feat. Nemir)
HHSOM: Et au niveau de tes inspirations, qui sont assez diversifiées d’après ce que j’ai pu comprendre, t’as cité Q-Tip, notamment, comme une inspiration principale…
Nemir: Ouais, Q-Tip et la Tribe de manière générale. Mais j’ai du mal à citer une inspiration principale parce que je suis quelqu’un de très versatile dans ma façon de regarder les choses aussi, donc dès qu’on dit principale ça me plaît pas trop… Mais on est obligé un peu de se définir quand même, donc moi j’ai toujours aimé les chanteurs, et les rappeurs, qui musicalisaient un peu plus le truc. J’ai toujours été fan de Mos Def, de Talib Kweli, de A Tribe Called Quest, des trucs où si t’aimes pas le rap, tu peux prendre aussi le chant qu’il y a derrière en fait. Moi ça a toujours été ce qui m’a parlé quoi. Après, à côté de ça, j’ai aimé des trucs qu’ont rien à voir comme La Rumeur où les mecs ils en ont rien à foutre du chant et à la limite ils sont contre ça; et c’est des potes à moi. On est paradoxal, c’est comme ça. Moi j’adore Kaze, alors que c’est un peu le contraire de ce qu’on est en train de citer quoi. Mais j’aime les démarches sans concession, intenses et jusqu’au bout en fait. Si tu veux le faire comme ça, que tu le sens, alors vas-y, fais-le.
HHSOM: Au niveau de la scène de Perpignan, elle commence à être bien représentée aujourd’hui?
Nemir: Ben ouais, y’a les fréros, y’a Everydayz qu’est dans un registre… Comment tu pourrais te définir toi (en s’adressant à Everydayz)?
Everydayz: Très musical, vu que j’fais de la production, forcément, c’est que de la musique quoi. Mais après, je suis un peu la même démarche que lui, et on essaie de faire un truc qui nous ressemble.
Nemir: Et lui, c’est vraiment pas un producteur qui fait de la prod pour chanteur… En général, y’a des beatmakers comme Enzo, avec qui je bosse, qui est un monstre dans ce qu’il fait, mais qui s’est défini depuis le début comme quelqu’un qu’adore faire de la production, mais pour les voix justement, soit pour un chanteur ou une chanteuse, soit pour un rappeur. Alors qu’Everydayz c’est totalement différent vu que c’est un producteur qui à la base ne fait pas de la musique pour qu’il y ait des voix derrière. Il peut y en avoir, mais c’est un producteur de musique avant tout. Après y’a Gros Mo, qui lui a sorti un EP… Et y’a d’autres gars aussi à Perpignan qui travaillent, qui font leur truc et qui ont leur identité, un peu comme nous quoi. Y’a cette vague un peu de kiffeurs de bons sons, rap et autres, et avec eux des croisements des fois un peu improbables qui donnent des choses hybrides, et le résultat peut être intéressant.
HHSOM: Y’a pas mal de trucs assez ensoleillés, un peu sudistes comme ça…
Nemir: Ouais on est un petit groupuscule. J’appelle ça un groupuscule parce qu’on est pas à Paname non plus, et d’ailleurs le fait d’être à 3’000 bornes de Paname ça fait qu’on est sujet à aucune pression. Le mec, il peut faire ça chez lui tranquille, il en a rien à foutre. Il est pas forcément le meilleur, même s’il peut le devenir aussi… Mais y’a pas cette grisaille, cette tension qui peut créer des choses mortelles aussi, mais chez nous c’est pas trop ça.
HHSOM: Et en tant que, justement, originaire d’une petite ville, y’a une distance pour s’exporter?
Nemir: Plus maintenant au contraire, avec Internet… Et je trouve aussi qu’avec l’ouverture musicale de la plupart des gens en matière de rap, hip-hop etc… y’a un nouveau public qu’a émergé un peu. Y’a toutes ces nouvelles générations qu’ont débarqué et qui s’intéressent à ça, qui s’approprient ça aussi avec son temps. Je trouve qu’aujourd’hui les gens sont très curieux. Ils recherchent et dès qu’il y a une originalité quelque part, venant d’un endroit géographique où la musique est propre à cet endroit, typé et qui propose quelque chose, ils ont tendance à dire « on veut ça »; et ça nous rafraîchit. On est plus à l’époque où le rap était très petit, avec trois, quatre représentants et t’écoutais ça ou rien. Aujourd’hui, y’a autant de registres de rap que de rappeurs.
HHSOM: Mais maintenant, t’es plus sur Paname que sur Perpignan?
Nemir: Ça dépend des cycles, en fait. Là, j’ai passé les trois derniers mois sur Perpignan et je fais les aller-retours sur Paname aussi parce que j’ai une vie là-bas… Mais je compose à Perpignan, et uniquement à Perpignan, sinon je fais trop la fête à Paname, y’a trop de trucs à faire. Y’a toujours des concerts, toujours des freestyles, toujours des featurings que tu voulais pas faire et que tu fais, et tu fais pas d’album. Déjà que c’est très long un album, si en plus t’as tout ça…
Ça m’a permis de me rendre compte que j’étais pas prêt psychologiquement à être confronté à autant de ferveur, à autant de grandeur.
HHSOM: On va bientôt conclure, mais avant ça, on a encore une question. Lorsqu’on t’a vu à Royal Arena l’an passé, t’avais une petite tradition à la fin de ton concert, qui était de te faire envoyer des clopes par le public…
Nemir: Ah ouais (Rires)… J’ai arrêté en fait, parce que j’ai arrêté de fumer pendant deux mois, donc sur tous les lives qu’on a faits j’ai arrêté cette tradition. Je me disais « moi il est hors de question que je vende Marlboro tous les jours à tout le monde… » (Rires). Donc voilà, j’ai recommencé à fumer mais j’ai arrêté la tradition. Mais ouais, toute la tournée on a fumé nos clopes grâce à beaucoup de gens, et franchement merci.
HHSOM: Et pour conclure, dans Freestyle, tu finis par « On remplit pas de big stades, nous on kick sale dans des petites salles ». Ça te plairait pas quand même de remplir le Stade de France pour un concert?
Nemir: Oui, pour l’ego. Mais je pense pas que je serais heureux. Par exemple pour la tournée qu’on a pu faire avec Stromae, d’être confronté à cet artiste, je parle même pas du talent qu’il a, mais ça m’a permis de cerner ce que je voulais au final. Parce que j’ai jamais su ce que je voulais, je savais que je voulais faire de la musique. Plus je pouvais être aimé plus ça m’arrangeait, plus on pouvait me dire que j’étais bon plus mes érections étaient mortelles. Mais confronté comme ça au maximum, ça m’a permis de me rendre compte que j’étais pas prêt psychologiquement à être confronté à autant de ferveur, à autant de grandeur… Donc moi, je me verrais bien dans quelque chose d’intermédiaire tout au long d’une vie, avec bien sûr des courbes, des fois descendantes, des fois ascendantes, parce que ça me ferait très peur… Je connais mes failles, mes fêlures, et j’aurais très peur d’être exposé comme ça, d’être livré au grand public, même si ça reste un peu l’objectif. Mais y’a grand public et grand public. Stromae, c’est quelque chose d’incroyable. C’est fou, c’est déroutant. Après, je pense qu’il y a vraiment des gens qu’ont l’ossature et le cortex pour traverser ça. Et même malgré ça, ils en sortent quand même pas indemnes, parce que c’est assez vertigineux. Mais moi ouais, ça me fait quand même un peu peur quoi. J’aimerais bien faire des albums, si je pouvais être disque d’or c’est cool, si je peux remplir des 2’000 places c’est bien, et ça me va. Stop.
HHSOM: Bon, Stromae il a aussi commencé comme ça, peut-être que dans quelques temps on te verra toi au Stade de France.
Nemir: Ouais mais t’imagines, le rapport à la célébrité que t’as là? Tu remplis des trucs c’est des 20’000 places, ça fait peur quand même. Au fond de moi, mon ego il aimerait ça, Mais à côté de mon ego y’a aussi ma science de l’analyse qui commence à savoir ce qui pourrait me détruire si j’étais exposé à ça. Et je me connais, je sais que c’est le genre de choses que j’aurais du mal à gérer. Y’a quand même les dérives qui sont liées à ça. Enfin, je te dis ça alors que peut-être que demain je vivrai totalement le contraire, je dis ça là où je suis au moment où j’y suis. Voilà.
HHSOM: Merci, et bonne continuation. On attend l’album avec impatience.
Un grand remerciement au Pont-Rouge de Monthey pour ce contact.
Nous avons rencontré Nakk à l’occasion de la soirée One Shot le 27 septembre passé au Ned de Montreux. S’en suivit une très belle soirée avec d’énormes lives jusqu’à 3 heures du matin. Avec des premiers succès à la fin des années 90, Nakk est un emcee qui a su durer. Il nous montre encore tout son talent sur Supernova, son dernier EP sorti en 2013. Cette rencontre fût l’occasion de parler de beaucoup de choses avec la petite légende du rap français qu’est Nakk Mendosa. Nous avons discuté avec lui des caractéristiques de son style, de son futur encore prometteur, mais aussi des grandes oppositions du rap français, ou encore de l’ère internet et de ses impacts. Au final, nous avons passé un très bon moment avec un Nakk décomplexé. Son prochain album devrait sortir en 2015, pour en savoir plus et connaître un peu mieux ce rappeur talentueux, lisez la suite.
Hip Hop State Of Mind : On aimerait parler un peu de ton style, le style assez typé dans lequel tu écris et tu rappes. On va essayer de revenir sur tes débuts dans le rap pour en parler. Il y a une approche qu’on pourrait qualifier de sympathique dans tes textes, tu es ouvert dans tes thèmes, tu peux aborder des sujets assez street mais sur un ton frais et drôle parfois. Est-ce qu’il y a une volonté là-dedans de te démarquer d’un style trop hardcore ?
Nakk : Non, non c’est pas volontaire, c’est naturel en vrai. Je suis moi-même. Je pense qu’il y a beaucoup de rappeurs qui font ce qui fait bien, mais moi pas. Si tu trouves que c’est typé c’est parce que c’est moi, je fais des trucs qui me ressemblent, c’est pas dans le but d’être dans un délire précis.
HHSOM : Tu es arrivé aussi dans une époque où les thèmes street dominaient beaucoup…
Nakk : Oui, ça plaira toujours… mais il y a de la place pour tout le monde dans le rap. Si tu arrives avec ton truc et les gens sentent que c’est vrai et que ça leur parle, ça peut marcher.
Tu vois, un morceau comme Chanson Triste c’est pas un morceau super technique…
HHSOM : L’autre aspect de ton style qui a beaucoup marqué, c’est ce côté très technique. Tu utilisais, à l’époque en tout cas, vraiment beaucoup de multi-syllabiques, de jeux sur les sonorités, de jeux de mots. A l’époque, comment tu concevais un texte par exemple de l’acabit de Sans, issu de Street minimum ?
Nakk : C’est vrai qu’à l’époque j’étais vraiment très axé technique mais à un moment tu comprends que pour que ton propos soit plus percutant, il faut un peu mettre de côté l’aspect technique. La technique c’est aussi un truc entre rappeurs pour s’impressionner. Mais tu vois par exemple un morceau comme Chanson Triste c’est pas un morceau super technique…
HHSOM : Ouais,… encore que… (Rires)
Nakk : Ouais, pour moi en tout cas (Rires). Ce que je veux dire, c’est que c’est pas de la technique à outrance, Sans c’est un morceau où la technique est présente à outrance. Je voulais me prouver que j’arrivais à faire ça. Mais en vieillissant, tu fais de plus en plus de titres où tu privilégies le fond. Tout en soignant la forme, je ferais jamais un truc basique ! Mais ce qui m’intéresse maintenant c’est que le propos soit pertinent, qu’il y ait de belles formules, etc…
HHSOM : Chanson triste, ta chanson, on peut le dire, la plus connue, n’est effectivement pas seulement technique.
Nakk : Oui et c’est un peu depuis ce titre que je me suis rendu compte que des fois dire les choses simplement faisait mieux passer le message et touchait mieux les gens. Parfois pour faire passer l’émotion, il faut laisser de côté la technique.
HHSOM : Est-ce qu’il y a des figures précises qui ont contribué à forger ton amour pour la technique ?
Nakk : Oui, il y a Akhenaton, Dany Dan, Oxmo, MC Solaar, Ill aussi. Quand j’ai vu les jeux de mots que MC Solaar était capable de faire ça m’a grave choqué à l’époque. Un noir de cité comme ça qui fait des jeux de mots comme les poètes !
HHSOM : Et en dehors du rap, des autres choses t’inspirent ?
Nakk : Je lis vraiment pas de livres en fait, j’ai de la peine, mais d’autres choses, c’est sûr. Je suis beaucoup influencé par des séries ou des films. The Wire ou The Shield, par exemple, pour les séries.
Les choses que j’ai traversées font que je ne rappe plus de la même manière, il y a eu des naissances, des décès…
HHSOM : Toujours par rapport à ton style, est-ce que tu sens ton influence chez certains rappeurs plus jeunes aujourd’hui ?
Nakk : Des gens me disent « ouais lui ça se voit qu’il t’a suriné ! » mais moi j’arrive pas à voir ce genre de choses. Je peux le voir pour les autres, aussi, mais pas pour mon style. Parfois, je peux me dire « ah tiens ce jeu de mot, je l’aurais bien trouvé moi », ça veut dire qu’on a un style similaire, j’ai peut-être influencé le mec. Après c’est un grand relais, ceux que j’influence, ils vont en influencer d’autres et ainsi de suite. Je prends pas ça mal en tout cas, c’est plus un compliment.
HHSOM : Par rapport à cette nouvelle génération justement, quel regard tu portes sur eux ? On peut penser à Missak qui te backait ou Dinos Punchlinovic qui a fait un titre sur Darksun…
Nakk : Ouais sur la nouvelle scène, il y a plein de bons jeunes rappeurs. Mais comme pour Missak ou Dinos, c’est dur de juger comme ça. Il faut qu’il trouve leur voie, leur univers… On ne juge pas un rappeur sur un titre ou sur un featuring, il faut plusieurs projets pour voir si le mec tient vraiment la route.
HHSOM : Ton style a bien évolué depuis l’époque, au niveau technique, mais aussi au niveau des thèmes. On peut citer une phrase du morceau Invincible de Le Monde est mon Pays : « c’est Nakk, 30 ans, lyrics de daron comme Chill » donc Chill c’est Akhenaton, est-ce que, avec l’âge tu as l’idée de devoir passer un message plus positif dans ta musique ?
Nakk : Oui, bien sûr, mais sans non plus faire la morale aux gens. En vrai, même à 30, 35, 40 ans, tu fais du rap, ça reste dans un esprit jeune. On se met devant sa feuille, on fait des multi-syllabiques et on est content, ça reste toujours un peu gamin d’un côté. Mais oui les choses que j’ai traversées font que je ne rappe plus de la même manière, il y a eu des naissances, des décès…
HHSOM : Et tu penses que certains rappeurs devraient plus assumer leur âge ?
Nakk : Oui, c’est vrai ! Certains vieillissent et tiennent toujours des propos de jeunes de 20 ans. Personnellement, j’aime que mes textes reflètent mon âge quoi… D’un côté, on est des gamins mais de l’autre il faut assumer un peu.
HHSOM : C’est vrai que l’esprit Hip Hop reste un esprit jeune, il y a une association forte…
Nakk : Ouais c’est vrai ! Mais je pense que tant que tu restes cohérent dans ta manière de faire, tu peux rapper frère ! Tu déranges personne !
Je veux vraiment prendre le temps pour sortir le prochain projet dans de bonnes conditions. Il y a de grandes chances que ça soit un album qui sortirait courant 2015.
HHSOM : C’est vrai que tu fais un rap assez posé, calme, qui est assez accessible au niveau du public, contrairement à d’autres styles plus brut, plus sale. Comment tu expliquerais que c’est plus ce rap brut qui marche ?
Nakk : Ouais, mais tu vois les gens préfèrent les films d’action que les films d’auteurs. On est toujours attiré par le truc virulent, moi aussi. Sur Paris, les gens aiment bien les rappeurs avec une image puissante un peu caillera, qu’un rappeur posé et conscient, je peux comprendre.
HHSOM : C’est la force du rap aussi, il y a un rap pour tout…
Nakk : C’est clair ! Mais c’est une question de goût après, il y a des gens comme Orelsan et Youssoupha qui ont un rap très posé et qui trouvent leur public.
HHSOM : Pour changer un peu de sujet, ton dernier projet en date, c’est Supernova, quels retours as-tu eu sur ce projet?
Nakk : Tout mes projets m’ont apporté beaucoup. Darksun m’a un peu fait revenir, Supernova ça a encore enfoncé le clou, j’aurais pu enchaîner mais j’ai calmé un peu par manque de motivation. Dans les faits, ce projet m’a apporté des concerts, des feats,… Mais les retombées, si c’est pas maintenant, on les a plus tard, les gens retrouvent tes projets plus tard parfois. Les morceaux voyagent.
HHSOM : Et pour la suite, qu’est-ce que tu nous prépares comme projet ?
Nakk : Pour l’instant j’ai 10 titres de prêts. J’ai l’instru et le texte, ils sortiront sûrement sous la forme d’un album. Je veux vraiment prendre le temps pour sortir le prochain projet dans de bonnes conditions. Il y a de grandes chances que ça soit un album qui sortirait courant 2015. Après je suis à un moment de ma carrière où je sais quand je fais un bon titre. Et là, je sais que ça vient bien.
Je vais sortir plein de projets, c’est loin d’être la fin! Je suis très motivé, bizarrement…
HHSOM : Et par rapport à Supernova qui est un EP, tu vas concevoir cet album différemment ?
Nakk : Ouais, il y a des différences mais il faut pas se prendre la tête, genre, « là c’est l’album, je sors mon béret et mes lunettes, je suis un lyriciste » (Rires). Il faut garder une spontanéité même si, oui, les thèmes seront plus poussés. Il faut pas trop se mettre de pression.
HHSOM : Et par rapport aux productions, tu sais un peu avec qui tu vas travailler pour la suite, des gens avec qui tu as déjà collaboré ou de nouvelles têtes ?
Nakk : Il y aura Twister, qui était déjà sur Darksun et Supernova,Therapy qui m’a déjà fait plusieurs prods. La suite sera très mélodique dans les prods, assez spatiale aussi.
HHSOM : On a pu lire que tu connaissais bien Therapy. Comment tu vois son succès avec Kaaris ?
Nakk : Ouais, on était ensemble au collège! Leur musique est diamétralement opposée à ce que je fais mais en fait, c’est de la musique, j’ai rien contre eux. Je suis sûr qu’il y a des gens qui écoutent Kaaris et Nakk.
HHSOM : Oui, nous dans l’équipe, par exemple (Rires).
Nakk : (Rires) Bah voilà, j’en ai devant moi. Après tu vois sur Paris, les gens sont assez à dire qu’ils n’aiment que les rappeurs conscients ou l’inverse, mais personnellement je peux écouter un Youssoupha, un Flynt mais aussi un Kaaris ou un Gradur même. C’est que de la musique frère !
HHSOM : C’est intéressant que tu dises ça en tant que rappeur parce que vrai qu’il y a une certaine guerre entre rap conscient et rap street, plus hardcore, mais parfois on a l’impression que cette guerre se situe plus au niveau des publics que des rappeurs.
Nakk : Exactement ! Moi, demain, je peux faire un morceau avec Kaaris, on pourrait faire un très bon morceau si ça se trouve ! Aux States, il y a plus cet état d’esprit, par exemple, Kanye West se mélange avec Young Jeezy alors qu’il a une image beaucoup moins dure que lui. Et le mélange donne des supers morceaux. En France, on est très focalisé sur l’image tandis que là-bas c’est du divertissement. C’est ça et l’amour de l’argent aussi…
Avec Internet, les possibilités sont énormes. Là, si je veux, on est samedi, je fais un morceau aujourd’hui, demain je vais en studio, lundi je le mixe, mardi je le clippe et mercredi il est sur la toile!
HHSOM: On voulait aborder la question de l’arrivée d’Internet pour les rappeurs, principalement ceux qui n’ont pas une visibilité énorme. Est-ce que, selon toi qui a vécu les deux ères, ça change beaucoup le rapport à la musique, au public?
Nakk: Ouais c’est clair! Tu peux tellement communiquer avec Internet. Les possibilités sont énormes. Là, si je veux, on est samedi, je fais un morceau aujourd’hui, demain je vais en studio, lundi je le mixe, mardi je le clippe et mercredi il est sur la toile! C’est fou. En 2000, ou avant, c’était complètement impossible de faire ça. Quand tu clippais un morceau, t’avais écrit le texte depuis 6 mois au moins! Il y a beaucoup d’inconvénients à Internet mais ça diffuse très facilement la musique, c’est un très bon côté.
HHSOM: Et tu penses que ça peut aider les artistes un peu underground à se faire connaître sans avoir besoin des médias ou d’autres intermédiaires?
Nakk: Ecoute, là si tu sors un clip, j’exagère, mais si ton clip fait 30 millions de vues, tu vas attirer des majors, pas de doute. Si t’as une page Facebook à 200’000 fans, tu peux signer grâce à ça. Maintenant, tu signes parce que tu fais déjà du bruit tout seul, avant il te signait juste parce qu’ils avaient un coup de coeur… Non, Internet donne des possibilités de fou! Mais il y a des gens qui abusent de ça aussi, qui te sortent des clips de la manière de laquelle je t’ai expliqué avant, toutes les semaines. Avant, si tu faisais un clip t’étais déjà validé. Regardes, tu rappes toi?
HHSOM: Euh non, moi je rappe pas.
Nakk: Bah, si tu veux demain, tu te mets à rapper et tu peux te faire ton clip! Ça y est, t’es un rappeur! (Rires)
HHSOM: (Rires) Ok, pour nous, on arrive à la fin, tu as un dernier mot?
Nakk: Alors pour la suite, l’album arrive! Il y aura sûrement des surprises par rapport aux feats. Tout va s’enchaîner. Je vais sortir plein de projets, c’est loin d’être la fin! Je suis très motivé, bizarrement…
HHSOM: On attend ça!
Nakk: Ça fait plaisir, tous les soutiens font plaisir. On coûte pas cher, de toute façon, dès que quelqu’un nous dit qu’on rappe bien ou quoi, on est content! On est jamais blasé de ce genre de choses!
HHSOM: Merci pour ton temps et bonne continuation!
Avec La Chute des Corps sorti le 29 septembre dernier, Swift Guad en est à son neuvième projet. Pourtant, le rappeur ne s’essouffle pas. Mieux, sa musique s’inscrit réellement dans son époque. Depuis Icare, sorti en 2013, premier extrait de ce troisième album, Swift s’offre une réelle liberté artistique. Même si des aspects de son ancien univers persistent, les instrumentales apparaissent plus électroniques et plus lentes. Son rap est toujours autant sombre et personnel mais sonne plus actuel. Deux jours avant la sortie de l’album, nous l’avons rencontré à Montreux, peu avant un concert événement au Ned Music Club qui réunissait une dizaine d’artistes indépendants. Ce fut l’occasion pour nous de revenir sur Icare et les critiques qui ont suivies, et sur ce nouvel album.
Après une longue attente, Le deuxième EP de Missak sortait le 17 février dernier avec pour titre L’adultère est un Jeu d’enfant. Six ans après Perkizition mentale, son premier projet, le emcee de L’animalerie revient très fort. EP de 12 titres, ce projet n’a pas que cela d’original, en effet, proposant une vraie profondeur musicale, il met en avant le talent et la diversité des influences du emcee, aussi auteur de toutes les prods. Premier projet de L’animalerie à être distribué sur les plateformes officielles, il marque aussi un pas en avant du collectif. En plus des productions très travaillées, nous retrouvons la puissance des textes du emcee. Retour sur une galette accrocheuse par quelques questions à ce rappeur-producteur de talent.
Hip Hop State Of Mind: Pour commencer, comment décrirais-tu l’évolution de ton style, de ta musique depuis ton dernier EP en 2008: Perkizition Mentale ?
Missak: J’ai plus d’expérience, donc le reste vient naturellement. Musicalement, niveau instru par exemple, j’ai plus de facilité à aller là où bon me semble, techniquement parlant. Perkizition Mentale c’était un EP assez abstrait niveau lyrics, j’ai compris avec le temps que mes textes pouvaient vraiment apporter quelque chose aux gens qui me ressemblent. Du coup, j’ai appris à être plus clair dans mes propos.
HHSOM: Sur la pochette du projet, on voit un enfant avec une bouteille d’alcool, de gros billets et des cigarettes. Le titre marque aussi le rapport entre enfant et adulte, il y a une sorte de nostalgie là-dedans ? Tu peux nous en dire un peu plus sur le titre et la cover?
Missak: Aucune nostalgie non, je regrette pas de plus chier dans mes couches ni d’être pris pour un ignorant par mes ainés. Je voulais souligner le fait qu’être adulte, c’est être un enfant avec d’autres jouets, que la seule chose qui sépare vraiment un gamin d’un adulte, c’est son champ d’action, à cause du manque de connaissances et des restrictions logiques liées à l’âge. Le petit sur la cover, c’est mon neveu. Il jouait avec les billets pendant le shooting. Il avait pas la moindre idée de ce que ça pouvait représenter, c’était intéressant…
« Quand j’écris, je me dis que c’est le moment de leur pisser dessus et de leur donner de quoi s’abriter de la pisse de tout le monde en même temps. »
HHSOM: Dans tes textes, tu parle de situations sociales assez tristes, parfois hards, par des images puissantes comme « Je vois que le con qui contrôle mon ticket de bus est calibré ». D’où te viens cette inspiration ?
Missak: La rue, le quotidien, les endroits où il y a les gens. C’est les gens qui ont créé mes frustrations et mon dégout pour nos défauts. Je crois qu’en fait je veux les protéger d’eux-mêmes, de moi y compris. Quand j’écris, je me dis que c’est le moment ou jamais de leur pisser dessus et de leur donner de quoi s’abriter de la pisse de tout le monde en même temps.
HHSOM: On sent dans tes textes de la modestie mais en même temps une manière d’envoyer bien chier tout le monde. Comment conjugues-tu ces deux manières d’être ?
Missak: Je me place jamais au dessus des autres, ils s’en sortent très bien tout seuls pour rejoindre le sol. C’est pas vraiment de la modestie, c’est juste que les situations que je souligne dans mes textes, elles peuvent très bien m’inclure dedans. Disons que je ne punis pas l’ignorance, je punis fortement l’indifférence par contre. Donc ouais, je me permets d’envoyer chier la catégorie de gens qui font semblant de rien voir par choix, par peur d’être mouillé dans le truc.
HHSOM: Dans « Tout ce qui m’intéresse », tu nous expliques en avoir rien à foutre de tout sauf de faire du cash, pillav de la Grey Goose et faire de la musique. Tu n’as pas peur qu’on interprète ces choses comme étant superficielles?
Missak: Je dis aussi que je veux mettre bien les darons, qu’il faut que je me mette en place… Si s’amuser, s’épanouir, obtenir le confort pour soi et pour les siens c’est superficiel, c’est quoi les vraies valeurs? Travailler ? Travailler, c’est pour faire du cash… S’aimer ? S’aimer, c’est une façon confortable d’être moins seul, c’est un placard pour ranger le sentiment d’abandon face aux amitiés qui tournent mal, etc. Je veux créer, sourire et offrir. Il n’y a rien de moins superficiel.
« Enfant, je l’étais mais je sens que je me détériore Entend ce que j’en pense moi les gens ensemble me paraissent ignobles »
HHSOM: Tu produis entièrement l’EP et les prods sont vraiment plaisantes et originales, tu leur laisses beaucoup de place. Il y a une magnifique piste instrumentale, une chanson où elle varie et tu ne rappes qu’au refrain et de longs passages où l’instru tourne sans texte. C’est une volonté de laisser une place prépondérante à la mélodie ?
Missak: La mélodie c’est une langue, c’est un texte dans un langage universel. Quand je compose je ne sample jamais, donc tout est issu de moi. Au final, je m’exprime aussi comme ça.
HHSOM: D’où vient ton inspiration musicale ? Il y a des figures qui t’ont marquées ?
Missak: J’ai été marqué par certains artistes qui m’ont rassuré en ne fixant pas ou peu de limites dans leur musique: The Weeknd, Drake, Ty$, A$AP Ferg, Kid Ink pour les plus récents, Petey Pablo, Ludacris, Twista, par exemple pour les plus anciens. A côté de ça, j’ai toujours été touché en écoutant Bjork ou Archive.. Je pense que je suis entre la musique trip hop, le rap, la trap et le r’n’b.
HHSOM: Quand pas mal de gens revenait à des sons Boom Baps des années 90, ces dernières années, toi tu restais fixé sur des sonorités assez électroniques et récentes, d’où te vient cet amour des sons actuels ?
Missak: C’est pas un choix, c’est juste ce qui émane de moi, je préfère rester fidèle à ce que je ressens en terme de création. Si c’est leur kiffe, qu’ils le fassent, mais mon gros doigt me dit que certains se forcent à faire ce que les jeunes putes leur demandent…
HHSOM: Tes productions oscillent entre quelque chose proche de la trap dans des instrus bien remplies et d’autres plus minimaliste se rapprochant du trip hop, est-ce que tu trouve que tu as une patte bien à toi? Si oui, comment la décrirais-tu ?
Missak: Du coup, j’ai répondu à cette question plus haut mais je vais développer avec cette phrase : suis-moi sur Instagram.
HHSOM: Tu as la volonté de casser des codes et d’aller plus loin dans les instrumentales Hip Hop, par exemple en la faisant varier comme sur Ma bite et ma voix ? Ou en « utilisant ta voix comme un instrument », pour reprendre tes mots avec de l’autotune bien dosée?
Missak: C’est pas vraiment une volonté, c’est juste que quand je sens qu’un truc sonnera d’une façon, je fais tout pour y arriver. C’est pas calculé. Si demain je me sens de faire de la polka je le ferai sans me demander si je vais impressionner le mouvement Hip Hop…
« Si j’ouvre une voie c’est cool, mais faut pas oublier que si les gens acceptent mon style de rap, c’est parce que d’autres mecs ont déjà ouvert la voie pour les gars comme moi. »
HHSOM: Dans l’imagerie du rap français, je dirais que tu te situe dans un entre-deux : tu n’as jamais lâché les sonorités récentes, en ajoutant de l’autotune, tu parles de clubs, il y a des grosses voitures dans tes clips, ce qui t’apparente à un style presque gangsta dont Booba est un grand représentant. Mais de l’autre côté, tu fais partie de L’animalerie, crew pas street du tout, tes punchlines donnent à réfléchir, tu es modeste dans tes textes et tu ne fais pas d’egotrip, des choses qui appartiennent à un autre style de rap français. Es-tu d’accord avec cette idée d’entre-deux pôles du rap français ? Comment vis-tu dans cet entre-deux ?
Missak: Ouais, je suis d’accord, c’est bien résumé, à part que je trouve aucun point commun entre Booba et moi, si ce n’est l’ambition. On a pas la même vie donc on parle pas des mêmes trucs…
Et par rapport à « l’entre-deux » moi je le vis bien, c’est mon public qui a du mal à me suivre dans tout ça, du coup j’ai vraiment deux sortes de publics totalement à l’opposé l’un de l’autre.
HHSOM: Il y a une dimension provocatrice dans ton rap, liée à la question précédente, tu casses certains codes en ne rentrant pas dans une case, aussi dans le fait que tu parle des drogues durs sans démagogie mais sans en faire l’éloge non plus. Est-ce que tu as une volonté de casser les codes pour ouvrir la voie à d’autres styles de rap plus ouvert ?
Missak: La provocation fait partie de moi, donc ça se ressent dans mes textes, mais j’essaye d’être toujours cohérent dans ma provoc, je fais pas dans la politique ni rien. Je milite pour mon bonheur et celui des gens biens, mon pote. Donc je suis un peu obligé de fermer des bouches en parlant de choses concrètes, même si ça doit se révéler immoral parfois. J’ai la recette de mon bonheur, c’est pas volontaire de casser des codes… Si j’ouvre une voie c’est cool, mais faut pas oublier que si les gens acceptent mon style de rap, c’est parce que d’autres mecs ont déjà ouvert la voie pour les gars comme moi.
HHSOM: Pour terminer, comment se présente ton album futur « L’ego est un Je d’adulte » ?
Missak: Il est 6h21 du mat, je viens de faire une prod qui tourne pendant que j’écris tout ça. Je taffe 24h/24, mon prochain projet est bien entamé, j’en sais pas plus, j’espère juste que l’EP que je viens de sortir me permettra d’aller où je veux pour faire un gros truc.
HHSOM: Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à ces questions!
Nous avons rencontré Demi Portion quelques heures avant son concert au Ned de Montreux ce 25 janvier. Ce fût l’occasion pour nous de revenir sur son deuxième album: Les Histoires, sorti un mois auparavant, mais aussi de parler de son parcours dans le rap et de sa vision de son art. Une interview qui s’est révélée longue tant le personnage, très ouvert, a su faire parler son expérience du milieu Hip Hop. Accompagné de son acolyte Sprinter, l’autre membre du duo Les Grandes Gueules, Demi a généreusement répondu à nos questions, pour une interview enrichissante.
Demi Portion au Ned par On The Roots
Hip Hop State Of Mind : Ça fait un bout de temps que tu fait parti du milieu du rap, ta première scène s’est déroulée en 1996 sauf erreur, comment ta vision du rap a-t-elle évolué en toute ces années ?
Demi Portion : Quand j’ai commencé, c’était pas calculé, c’était juste une envie de faire. On est tombé dedans sans le vouloir. Après c’était par rapport à Adil qui rappait avec Al, c’était par rapport aux grands du quartier. Au début je faisais de la danse et j’ai écrit mon premier texte en 1996 ensuite, première scène, j’ai kiffé et j’ai continué. J’ai commencé par suivre ce fameux personnage qui s’appelle Adil et maintenant je suis là.
HHSOM : Donc ça fait vraiment longtemps que tu es dans le rap, mais on voit le premier album sortir seulement en 2009 avec Les Grandes Gueules et en 2011 en solo, comment ça se fait que tu aies mis autant de temps pour sortir des projets concrets ?
Demi Portion : En toute franchise, je t’avoue que c’est compliqué quand tu viens du sud de la France comme nous. D’abord on faisait quelques collaborations, on posait sur des mixtapes comme Bonjour la France de Fabe, ou une autre de Less Du Neuf. Il n’y avait pas non plus l’envie de sortir un projet; on avait juste l’envie de gravir deux, trois scènes. Ensuite, avec la vague d’internet, avec Myspace, on a sorti quelques petits clips puis un premier maxi en 2005 : Loin D’la Fermer avec Le Bavar de La Rumeur.On peut pas plaire à tout le monde arrive en 2006, tout ça avec des petits moyens. Puis vient l’album du groupe en 2009. On a suivi le truc sans calculer, doucement quoi. C’était un peu bordélique aussi, on a eu beaucoup de retard par rapport à la date de sortie. Ensuite, il y a eu Artisan du Bic, premier album solo en 2011.
HHSOM : Justement, par rapport à Artisan du Bic, quels retours as-tu eus sur cet album ?
Demi Portion : Artisan du Bic, c’est un album que j’ai produit chez moi, comme les petits projets que j’ai sortis (8 titres et demi, Sous le choc, NDLR). Ceux-là c’étaient des sons que j’avais sortis sur Youtube, je les rassemblais, sans me mettre dans l’idée de faire un projet. Artisan du Bic c’est un peu la même manière de faire mais c’est un album. Je l’ai sorti avec Yonea& Willy. Ils sont venus me voir et ils voulaient le sortir soi-disant proprement. Comme je l’avais déjà fini, je leur ai laissé faire la distribution. Mais il y avait aucune envie de rentrer dans les charts, on a fait les choses simplement avec nos petits moyens.
Avec ce premier album, les maisons de disques se sont rapprochées pour nous faire signer. Les types comprenaient pas comment on faisait et qui écoutait du Demi Portion. Il voulait savoir comment on faisait pour enregistrer, mixer, faire des concerts sachant qu’ils donnent pas mal de budget à des types qui font le même travail que nous. On a eu pas mal d’approche mais mon deuxième solo s’est fait sans Y&W, tout en indépendance.
« On est passé un peu à autre chose bien qu’on sache toujours rapper énervé sur un 90 BPMs »
HHSOM : Après Artisan du Bic, qu’est ce que tu attendais avec Les Histoires ?
Demi Portion : Avec Artisan du Bic on a pu faire énormément de concerts. On en fait 40 à 50 dates par année. C’était un peu notre carte d’identité cet album, pour le live entre autres. Donc on a pris le temps pour passer au second album. On a essayé de faire ce qu’on avait pas trop fait, dans Les Histoires : quelque chose de plus mélodique, plus posé.
Sprinter : On a essayé de pousser le truc un peu plus loin.
Demi Portion : On a vu deux trois scènes chez nous avec des vrais musiciens, ça nous a fait envie. Donc on est passé un peu à autre chose bien qu’on sache toujours rapper énervé sur un 90 BPMs. Mais on en a trop fait. Actuellement, les titres sans refrain, ça marche bien comme Suicide Social de Orelsan. Mais nous on en a fait depuis l’époque, donc on est pas trop allé dans ce sens. On a aussi été plus propre sur le mixage et le mastering, c’est One Drop Beats, celui qui fait le beat de Mauvais Garçon, qui m’a proposé de le faire. Il est ingénieur donc il a fait ça bien. Des fois quand on entend nos sons passer sur les grosses radios, on sent que c’est moins bien fait que les autres. On sent que c’est fait chez moi. Du coup, on essaie d’évoluer. Mais ça reste fait maison de toute façon. La pochette c’est Slob Design qui en a fait pas mal, celle de Paco par exemple.
HHSOM : Et ce titre « Les Histoires » c’est assez original, pourquoi ce choix ?
Demi Portion : Tu vois, on forme Les Grandes Gueules avec Sprinter, notre premier projet s’appelait Loin D’la fermer avec Le Bavar. C’est tout un rapport avec l’oral, ce qui se raconte, Les Histoires. Quand on a un problème, on dit « ouais c’est les histoires… ».
Sprinter : C’est un peu la routine mais sous un autre aspect, c’est les nouvelles qu’on peut apprendre chaque jour. Je trouve que ça décrit très bien l’atmosphère.
Demi Portion : De toute façon, dans le rap, on ne raconte que des histoires, on ne fait que ça. La base c’est écrire, que tu les crois ou pas, c’est des histoires. J’ai mis deux ans à l’écrire cet album.
HHSOM : Comme tu l’as dit, dans cet album, il y a vraiment une dimension plus mélodieuse, plus tranquille, on sent plus le côté acoustique des beats. Parfois tu laisses la mélodie tourner, tu chantes presque. Cet aspect, c’est plus une volonté de ta part ou les choses ont évolué d’elles-même ?
Demi Portion : C’est un peu les deux je pense. Sur cet album je ne voyais pas les choses autrement. Je le voyais moins rentre-dedans qu’auparavant. On venait de sortir Petit Bonhomme aussi et quelques petits EPs. J’avais l’envie d’inviter des beatmakers plus calmes, moins connus forcément aussi. Il y a Dany Synthé qui a fait pas mal de beats d’Orelsan, qui a produit Si Dieu Veut. Ensuite, il y a Crown qui est pas mal connu, Dogmabeatz, M-Kash, qui vient de chez moi. Pour le premier album, c’était pas mal mes instrus, donc ça change beaucoup. J’ai aimé garder le côté sample.
Il y a aussi Les Histoires acte deux qui arrive aussi, il sera très différent du premier.
Demi Portion sur scène au Ned, par On The Roots
HHSOM : Justement, par rapport aux productions, comment se fait le choix des instrumentales ?
Demi Portion : Ça s’est pas mal fait via les réseaux sociaux. J’ai fait quelques posts et j’ai reçu quelque chose comme 300 prods. Sinon j’allais chez un beatmaker et il me faisait écouter beaucoup de beats. Après le choix de l’instru, c’est le feeling. Des fois, c’est un type pas connu qui m’en a envoyé une, et, magnifique, c’est celle-là. Personnellement, c’est plus le sample qui me fait envie, après peu importe le rythme. C’est la mélodie qui va m’inspirer aussi.
Sprinter : Je pense que c’est pour tout le monde pareil, une instrumentale, ça te parle ou ça te parle pas. Une instrumentale, même à poil elle évoque quelque chose, elle t’inspire quelque chose.
HHSOM : Et comment écris-tu par rapport à l’instrumentale, avant, après l’avoir reçu… ?
Demi Portion : Moi c’est après avoir reçu l’instru, je l’écoute une ou deux fois, pas besoin de l’avoir en boucle dans les oreilles, et après j’écris. Mais quand j’ai mon instru, je la kicke le jour-même ou le lendemain.
HHSOM : On a l’impression que tu entretiens des bons rapports avec la chanson française. Dans Les Histoires, tu as un phrasé qui peut y faire penser et par exemple, il semble que tu t’inspires de Brassens. Certains verraient la chanson française et le rap comme opposés; et toi, tu en penses quoi ?
Demi Portion : Non, c’est clairement pas opposé, loin de là. Quand tu vois que Aznavour, son rêve c’est de faire une collaboration avec Dr. Dre, c’est quand même quelque chose. Dre lui a pris pas mal de samples en fait et lui a montré qu’on pouvait en faire des choses intéressantes. Avec les vieux tubes on peut tout faire. Après, entre la chanson française et le rap, on peut rallier les rimes, après leur thèmes, c’est pas toujours ça. Mais Brassens, ouais, c’était du rentre-dedans, comme Renaud. Certains textes comme L’hexagone, où il dit :
« La France est un pays de flics,
à tous les coins d’rue y’en a 100,
pour faire régner l’ordre public
ils assassinent impunément. »
Moi je trouve que certains chanteurs français déchirent. Mais je t’avoue Brassens, moi je l’ai découvert qu’en 2003 par là, alors qu’il vient aussi de Sète.
Sprinter : Déjà, petit à l’école, on nous faisait chanter du Brassens, mais c’était de ses textes qu’on comprenait mal ou qui nous parlaient pas.
Demi Portion : En fait, on m’a proposé de faire un festival avec que des reprises de Brassens. On m’a filé 130 textes et j’ai du en choisir deux pour les faire sur scène. J’ai choisi Le Mécréant et Le Bonhomme. Après j’ai enregistré les titres, je les ai mis sur Youtube. Mais quand j’ai kické le texte de Brassens, je me suis dit « putain le mec c’est un rappeur ». J’ai vraiment aimé du coup, j’ai un peu écouté, j’ai fait quelques recherches sur lui. C’est pas mon influence dès le départ, mais avec du recul tu vois que c’était un bonhomme quoi.
Sprinter: Ouais et c’est vrai qu’avant Demi Portion, c’est le seul qui a représenté Sète tu vois, il n’y a pas eu de musicien qui s’est exporté de la ville.
Demi Portion: Il y a Eve Angeli (rires). Mais ouais exact, c’est une petite ville donc ça fait plaisir d’aller dans le 94, tu dis que tu viens de Sète, on te dit «Ah tu connais Demi Portion?» Ça prouve qu’il y a un petit peu de rap sérieux chez nous. Quand on bouge, on est content de porter le flambeau du 34.
HHSOM: Tu n’hésites pas à citer, par exemple Brassens, par des scratchs, tu mets des paroles de rappeurs, de films, ou dans tes textes tu fais des petits clins d’œil, etc… Est-ce que c’est important pour toi de faire référence à des artistes qui te plaisent?
Demi Portion: J’en fais beaucoup à Fabe, c’est la seule personne pour qui je peux dire que j’en fais trop et avec le cœur tu vois. Après que ce soit des clins d’œil de films ou quoi c’est plus un kiff, c’est depuis nos mixtapes, on essaie de trouver des délires. Après pour Fabe, j’en fais peut-être un peu plus que la Scred Connexion, c’est une personne que je côtoie encore aujourd’hui, contrairement aux membres de son ancien groupe, qui connaissent pas ou plus le personnage. Je suis content de représenter Fabe pour ce qu’il a apporté dans le rap. Après il y en a d’autres qui ont arrêté, que ce soit Kesto, Adil, ou d’autres qui ont préféré mener une meilleure vie que le rap tu vois…
Sprinter: C’est pas forcément des gens qui regrettent ce qu’ils ont fait.
Demi Portion: Non ils regrettent pas du tout. Ils ont arrêté parce qu’ils avaient mieux à faire, parce qu’ils en avaient marre.
Sprinter: Après il ne faut pas oublier que c’est une industrie, c’est un milieu de bâtards tu vois. Il y a beaucoup de bâtards et des déceptions qui peuvent t’amener à tout plaquer.
Demi Portion: Faut pas généraliser le truc non plus… Sinon ouais je fais référence à pas mal de gens.
HHSOM: Tu as beaucoup de connexions, c’est ce qu’on a remarqué…
Demi Portion: Ouais beaucoup, certains qui sont venus à Sète, grâce à Adil.
Sprinter: Sète, pour la petite ville que c’est, ça a été à un moment une grosse place du Hip Hop, il y avait beaucoup de concerts.
« Avec Fabe on s’envoyait des lettres, pas des e-mails mais des lettres, tu vois, c’était de vraies connexions. »
Demi Portion: Ouais il y avait une grande scène Hip Hop, surtout avec La Passerelle, une salle où tu avais des concerts tous les deux mois, et pour 5 euros, tu allais voir n’importe qui. Il y avait un petit festival aussi, et du coup beaucoup sont venus. Et c’est une famille en fait, tu vois, dans le rap on se connaît tous. Maintenant, avec internet tout le monde se connaît c’est une façon de dire, mais à l’époque on se connaissait plus parce qu’on se voyait tu vois. Avec Fabe on s’envoyait des lettres, pas des e-mails mais des lettres, tu vois, c’était de vraies connexions. Mais en toute franchise, 18 ans de rap, on a vu pas mal de choses. Après on est pas fatigué, on est pas maçon, moi j’aime ce que je fais, je me transforme en Vegeta dès qu’il y a le micro et l’instru tu vois (rires). Après voilà, on n’a pas de manager, les interviews on connaît pas trop ça, on a jamais payé un clip, une instru ou un beatmaker. Je le fais que si le mec a pas d’argent. Moi ce qui m’intéresse c’est le rap, l’image tout ça je m’en tape. Donc voilà on fait des connexions avec des gens qu’on kiffe et c’est tout.
HHSOM: Ça nous amène à notre prochaine question. On a eu l’info comme quoi tu allais sortir un feat. avec Oxmo Puccino sur une instru de One Drop Beats. Sur le plan artistique, tu te sens proche de son dernier album? Parce qu’il est aussi assez musical, il se rapproche aussi de la chanson française.
Demi Portion: Je l’avais invité pour faire un certain morceau qui s’appelle Mon Dico Remix Clan, où il y a plein de rappeurs qui posent 4 mesures. Mais Oxmo m’a dit «tu sais quoi, j’aime ton audace musicale, mais je veux faire un vrai son ». C’était même pas une proposition de ma part, ça vient de lui, on a posé un titre qui s’appelle Une chaise pour deux. Comme les nouveaux featurings, Jeff le Nerf, Meka que je connais depuis l’époque, c’est des connexions qu’on fait comme ça. On a invité encore Swift Guad, Aketo, Disiz La Peste, sur Mon Dico Remix Clan. Mais je rappe même avec plein de petits de chez moi, pour booster des mecs de mon atelier, pour faire plaisir quoi.
Clip tourné au Ned et à Montreux
HHSOM: Par contre, sur Les Histoires il n’y a pas beaucoup de collaborations, on ne retrouve que Kacem et Sprinter…
Demi Portion: C’est comme sur le premier album, Artisan du Bic, où il n’y a que Sprinter en featuring. Pour le deuxième j’avais l’envie de faire pareil, je voulais faire mon expérience, mon son. L’expérience des featurings ,on l’a déjà faite. Kacem il était chez moi pendant une semaine, il m’a donné une instru, il a posé un refrain, et du coup je me suis dit « ouais Kacem c’est même pas un feat, c’est normal » et je l’ai mis. Vu qu’on sort pas beaucoup d’album aussi, on a envie de faire notre truc à nous.
HHSOM : Sur Real Hip-Hop, premier titre de l’album, tu dis « On fait du rap conscient, c’est une belle question ». Est-ce que tu cherches à faire passer un message quand même ?
Demi Portion : Tu sais aujourd’hui, t’es vite affilié, tu fais ça ou tu fais ça, t’es catégorisé. Donc, ouais on fait du rap conscient, du rap inconscient, fou, relax et on fait de tout, énervé, cool, mélancolique… C’est une belle question, conscient heureusement, le rap devrait être conscient mais on peut rigoler aussi,… Mais tu vois le rap c’est juste tes buts, tes blessures que tu retranscris… tu es énervé, tu essaies d’évacuer. Mais après tout ça, il y a quoi? On fait du rap conscient, du rap rigolo, on essaie de faire du rap à thèmes. C’est plus du rap simple, on se prend pas la tête.
Sprinter : On essaie de pas rentrer dans une catégorie quoi, on fait ce qui nous plait.
Demi Portion : On reste comme on est tout le temps, on n’a pas à jouer le rôle du rappeur. On essaie de donner une bonne image, après voilà on n’est pas des exemples, mais on essaie de donner des influences, des idées aux jeunes, niveau rap.
« Je voulais dire : « Voilà, rigole, c’est que de la zik encore ! » je voulais donner le smile sur un titre »
HHSOM: Sur Les Histoires, il y a un côté plus positif, un peu ensoleillé, j’ai l’impression que c’est la teinte de l’album. Dans Le Smile par exemple, ça change d’Artisan du Bic quand même. C’est une nouvelle teinte que tu as voulu donner ?
Demi Portion : Grave. Plusieurs personnes m’ont demandé : « pourquoi tu fais pas quelque chose de plus décontracté ? » Après, je voulais pas rentrer dans le cliché du clip, les bières, la piscine, tout le monde est copain, on est tous cools et après quand tu éteins la caméra, c’est plus ça. Je voulais pas faire dans ce délire mais je voulais dire : « Voilà, rigole, c’est que de la zik encore ! » je voulais donner le smile sur un titre. Voilà c’est aussi un challenge, je pense. Dans La Grande Vie, il y a plus le côté familial. Des fois j’essaie de donner le sourire, aussi. Les Histoires c’est des hauts et des bas. Mais c’est juste les instrus qui sont vachement plus posées, qui donnent le côté sud, ensoleillé et différent d’Artisan du Bic. Sur cet album, on a essayé de moins se plaindre quoi (rires).
HHSOM : T’as parlé de tes clips avant. T’en fais plutôt beaucoup, déjà cinq rien que pour Les Histoires, qu’est-ce que ça t’apporte les clips, c’est important pour toi ?
Demi Portion : En fait, avant je balançais beaucoup d’audio mais je préfère mettre un clip en avant. J’ai essayé de faire un maximum de clips pour Les Histoires. Par exemple, j’ai laissé Morphine faire Comme Un Rash, il l’a fait chez lui avec des images. J’ai laissé faire Le Smile aussi. Après on a fait de nous-mêmes Avec Plaisir, 100 Personnes avec JB, on a mis un peu d’argent, on voulait se faire plaisir.
HHSOM : Il y a une rime dans 100 Personnes où tu dis « tu me verras seulement au parc avec le petit fiston, je te laisse te pavaner au store Louis Vuitton ». On sent là-dedans une certaine simplicité, qui semble être une valeur pour toi. C’est le cas?
Demi Portion : Bonne question. Ouais en fait, parler de mon fiston déjà, c’était une première fois. Il a quatre ans et demi, il était déjà là pour Artisan du Bic. Et c’était une première d’en parler sur une rime et montrer que voilà, on a pas que le rap, on a aussi une vie. « On cherche une vie simple ». Après ça veut pas dire que c’est compliqué chez Louis Vuitton, au contraire, chacun son kiff quoi. Je préfère être au parc qu’à Dubaï.
HHSOM : On a remarqué que tu faisais pas mal de scènes, est-ce que c’est important pour toi de partager ta musique sur scène ?
Demi Portion : Oui, moi j’aime beaucoup la scène.
Sprinter : Ouais carrément! C’est aussi les scènes qu’on a faites pour Artisan du Bic qui nous ont motivé pour un second album. C’est un engrenage, les bons retours, le public satisfait, etc.
Demi Portion : On remplira pas l’Olympia tu vois, mais on remplit des petites salles un peu partout et ça fait plaisir. Il y a pas longtemps on était a Bordeaux par exemple, et les organisateurs nous disent : « Voilà, on vient d’annuler Niro, on vient d’annuler Médine, vous venez ce soir, vous faites guichets fermés. » Tu vois, c’est magnifique, pareil hier pour Lyon. Chaque concert qu’on fait, le public vient. Donc pour l’instant on fait ça avec plaisir. En plus, je pense qu’on a le plus petit cachet du rap français, aux alentours de 1000 euros TTC. Tu sais on ne tourne pas forcément pour l’argent, voilà on est plus content de venir, vendre des disques, les signer pour les fans, que pour récupérer le cachet. C’est notre vision du truc.
HHSOM : Notre dernière question sur le live, par rapport à chez nous, comment tu trouves le public suisse ?
Demi Portion : De la tuerie, de la bombe atomique. Ouais c’est un truc de fou quoi. Par exemple hier, à Lyon il y a des gars de Nyon qui arrivent à minuit et qui nous ont dit: « Oh merde c’est fermé. En Suisse ça commence à minuit et demi d’habitude ! ». Voilà, en Suisse, pour ça vous êtes au top. On est programmés vers minuit, comme ça c’est parfait, les gens sont bien chauds, ils viennent pour passer une soirée quoi. En France, c’est 20 heures, hier par exemple, L’Animalerie est montée à 21h, c’est pas pareil, t’as encore le sandwich dans le ventre, tu dois rapper et tout. C’est plus une crainte que ça se passe mal en France, alors que ça se passe bien, c’est blindé et tout. Nous, quand on sort, à chaque fois l’organisateur a un grand sourire. Voilà, par exemple, ça fait 3-4 fois déjà qu’on vient ici au Ned. On a des bons rapports avec pratiquement toutes les salles de concert.
HHSOM : Un mot de la fin, une dédicace ?
Demi Portion : Big up à la maman qui nous suit, qui s’appelle Nathalie, à tout le monde qui nous supporte. Dédicace à vous et à votre site. Merci de diffuser le truc au maximum. Dédicace à tous les rappeurs suisses ; Sentin’l que je connais, qui déchire, KT Gorique, Guliz, l’organisatrice, End of the Weak. Toutes les salles d’ici, d’ailleurs, Nyon, Lausanne, Yverdon-Les-Bains, Fribourg, Carouge, La Chaux-de-Fonds…
HHSOM: Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à nos questions!
Nous avons rencontré Espiiem à Paris quelques heures avant son concert au Nouveau Casino. Son dernier opus, Haute Voltige, étant sorti depuis quelques mois déjà, nous avons questionné quelques points importants mais sans nous focaliser sur le projet. Pour mieux découvrir le personnage et satisfaire notre curiosité, nous avons ensuite vogué dans des éléments moins précis, du phénomène Cas de Conscience (ancien groupe du emcee), à l’ouverture du rap actuel. Une rencontre donc, qui nous a permis d’appréhender mieux le travail artistique mais aussi de se rendre compte de l’entièreté de l’artiste. Si vous ne connaissez en rien le personnage ou que vous avez loupé Haute Voltige, vous pouvez lire notre chronique avant de vous attaquer à l’interview. Cette rencontre fût suivi d’un magnifique live faisant valoir la puissance de Haute Voltige.
HHSOM : On va commencer par parler de ton dernier projet, un mini-album intitulé Haute Voltige, il y a l’idée de l’ambiance aérienne dans ce titre, tu peux nous parler un peu plus de ce qu’il représente pour toi ?
Espiiem : Pour moi Haute Voltige était le titre parfait parce que, comme tu dis, il y a cette dimension aérienne. Je le vois comme quelque chose de planant avec des productions assez lentes, avec de basses fréquences. Donc quelque chose d’apaisant, mais Haute Voltige ça peut aussi être quelque chose de turbulent par moment. Pour moi c’était le mot parfait parce que ça me permettait d’avoir des morceaux lents, cohérents et parfois doux, comme Devant Dieu et d’autres comme Kilimandjaro qui est plus animé, presque violent sur scène. Haute Voltige était le mot qui me permettait d’explorer toutes ces dimensions-là sur des productions lentes.
HHSOM : Les instrus sont un point fort de Haute Voltige, tu nous disais que dans le rap français, on est un peu frileux à ce niveau dans une interview. Tu as la volonté de donner plus de place à l’instrumentale dans ta musique par rapport à une certaine norme française qui voudrait la délaisser un peu ?
Espiiem : Oui l’instru c’est quelque chose que je tiens à mettre en avant aussi dans les morceaux à venir. Je disais, les Français sont frileux pas seulement dans le choix des instrus, mais parfois dans l’originalité, ils craignent parfois de faire quelque chose de différent, c’est la crainte de la critique, l’esprit novateur fait un peu peur aux gens. En France, on est quand même assez conservateur. On aime bien voir les choses établies, on a peur d’aller en avant et quand on se permet d’aller de l’avant, c’est souvent pour copier ce que font les Américains. Donc mon envie, c’était qu’on essaie d’avoir un particularisme qui est nôtre et c’est dans ce sens que je trouve qu’on est un peu frileux, nous Français. C’est humblement que j’essaie d’aller dans des directions un peu différentes de ce qui peut se faire.
HHSOM : Dans Haute Voltige, on retrouve un producteur Californien avec J-Louis, mais aussi du Canada avec Kaytranada ou du Royaume-Uni avec Kings, c’est assez rare des connexions aussi larges. Tu peux nous expliquer comment elles se sont faites ?
Espiiem : Ça s’est fait au feeling en fait. J’ai écouté pas mal d’instrus avec une personne qui bosse avec moi, chargée de trouver des producteurs méconnus ayant un son qui leur est propre. Bon, il y a aussi des Français, il y a Nino Ice, Travis Brickman. Mais avec la magie d’Internet, il est plus facile de faire des connexions, tu peux parler de la structure du morceau à distance. Il n’y a plus vraiment de limite ni de frontières avec Internet. Ça s’est donc fait très naturellement sans savoir qu’ils venaient de ces pays-là, c’est juste que leur musiques me parlaient. Donc on a fait ce qu’il fallait pour entrer en contact avec eux.
HHSOM : Je sais pas si tu as écouté le dernier projet de Swift Guad: Vice et vertu, il a fait une mixtape où il insert pas mal de beat électro, comme sur ton More Love, par exemple. Il a reçu des critiques assez sévères dues à ça car il représentait un peu le « rappeur des puristes », dans une vague Old School. Ça a crée une rupture. Est-ce que toi tu pourrais aller dans n’importe quelle direction musicale, même si ton public n’est pas vraiment prêt ?
Espiiem : Alors j’ai pas écouté ce projet mais oui, bien sûr. Je pourrais aller dans n’importe quelle direction si moi ça me plait, mais je vais pas chercher à être original pour être simplement original. Maintenant j’ai la chance d’être suivi par un public qui est habitué à avoir des surprises dans les sonorités, entre Cas de Conscience, The Hop et même entre mes solos, on retrouve beaucoup de différence. Après je connais pas le parcours de Swift Guad, peut-être qu’il a fait pendant longtemps le même type de son, et que du coup maintenant son public est dérouté. Il faudrait que j’écoute son projet maintenant que tu m’en parles. Mais il a raison de chercher des choses différentes à mon sens, de pas se reposer sur ses lauriers. Donc dans l’idée, je cautionne.
HHSOM : J’ai pu entendre dire que tu écoutais beaucoup de rap, j’ai l’impression personnellement qu’il y a une émulation particulière ces temps-ci. Est-ce que tu penses que ça va de pair avec une plus grande ouverture dans le rap en France ?
Espiiem : C’est un constat que je me faisais aussi de mon côté, on organise des open-mics après les concerts et c’est vrai qu’il y a une grosse base Hip Hop ici en France. Maintenant, on a une plus grande variété de rap aujourd’hui, plusieurs types de publics rap, donc chacun est plus libre de faire ce qu’il entend. Je trouve qu’il y a une ouverture aussi en dehors du rap, par exemple, moi j’arrive à faire des passerelles avec des personnes dans la haute couture.
HHSOM : Toujours dans la question de l’ouverture, est-ce que tu as écouté l’album Yeezus de Kanye West ? Est-ce que tu penses que ça va trop loin dans le délire, est-ce que c’est trop de provocation ?
Espiiem : Oui je l’ai écouté, je trouve qu’il a raison. Après il y a peut être un peu de provocation pour la provocation mais je trouve bien. Le son que j’ai préféré c’est New Slaves. Je sais que Kanye West est toujours dans l’expérimentation et je cautionne parce que, au niveau où il est, il pourrait faire le genre de son que les gens attendent et vendre des millions de CDs. Mais je trouve que c’est bien d’essayer de faire des choses différentes.
HHSOM : On va parler un peu de Cas de Conscience, j’ai l’impression que le groupe a eu un gros écho au niveau rap français mais qui s’est créé seulement après sa dissolution. Comment tu expliques que ça ait autant marqué les esprits alors que le groupe n’existe plus ?
Espiiem : L’engouement s’est fait par le bouche à oreille, mais c’est relatif, c’est, si je peux dire, que les puristes qui ont fait l’effort d’aller chercher ces sons. Moi je les ai postés tardivement par devoir de mémoire envers l’Homme de l’Est qui est décédé. L’intention était bonne, les sons étaient bons peut-être aussi, et il y a la rareté qui a du jouer en notre faveur. Mais sinon je saurais pas expliquer cet engouement. Je suis le premier impressionné en fait. Ça me touche énormément quand je vois des gens qui viennent m’en parler.
HHSOM : Un titre qui nous a particulièrement marqué dans la période Cas de Conscience, c’est Les Tribulations de l’Homme de l’Est. Pour moi, c’est un peu le prototype de l’egotrip parfait. Quel rapport tu as toi avec ce côté egotrip ? Tu ne le pratiques pas énormément.
Espiiem : C’est aussi ça qui caractérisait Cas de Conscience, c’est qu’on était très différent. Je pouvais aimer l’egotrip de l’Homme de l’Est, l’insolence de Fils Prodige, le flow de l’Etrange et moi j’étais un peu en retrait par rapport à tout ça. Personnellement, je trouve que l’egotrip, quand c’est bien fait, c’est génial, parce que je le pratique pas, aussi. Mais ça peut t’emmener vachement loin, te faire rire, là c’est une histoire un peu farfelue, j’apprécie beaucoup.
HHSOM : Pour parler de ton écriture, j’ai entendu dire que tu créais uniquement tes textes de tête, sans jamais les mettre sur papier. Est-ce que ça a un rapport avec le fait que, pour toi, le phrasé est avant tout musical ?
Espiiem : Oui, ça joue un rôle. A la base, si j’écris pas c’est parce que quand j’ai commencé à rapper, je pouvais pas mettre mes rimes sur le papier. Je ne voulais pas laisser de trace pour pas que ma mère ou ma petite sœur tombe dessus. Donc j’ai commencé à écrire de tête, en allant en cours par exemple. Au départ, ça s’est imposé mais c’est vrai que c’est une démarche qui est plus axée sur le feeling, il y a la musicalité, le flow. Il y a peut être quelque chose de plus spontané quand tu n’écris pas. Je vais essayer de me remettre à écrire sur papier pour voir ce que ça fait, mais pour l’instant c’est ma technique.
HHSOM : Pour continuer sur ton style d’écriture, si on peut dire ça, je voulais parler d’un morceau sorti sur YouTube en 2011 : Fais vivre ce morceau, tu l’as enregistré en quelle année ?
Espiiem : J’ai un problème avec les dates mais ça doit être 2008-2009, c’est la période Cas de Conscience.
HHSOM : D’accord. J’ai pu remarquer que, dans ce morceau, il y a une technique impressionnante à chaque ligne, on dirait que tu donnes une place centrale à cette technique, tu jouais énormément avec les sonorités. J’ai l’impression que c’est quelque chose que tu fais moins aujourd’hui, à quoi est due cette évolution ? C’est pour donner plus de place au sens et moins à la technique ?
Espiiem : Oui c’est vrai, il y a eu cette évolution du type. En fait, je fonctionne par période, là je suis dans une quête de vérité où j’essaie de ne pas masquer le sens par une forme trop complexe. J’essaie d’aller à l’essentiel quitte à réduire mes exigences techniques, juste pour l’émotion. Certains utilisent la technique mais c’est de la poudre aux yeux. Peut-être que dans quelques mois je vais avoir un regain d’intérêt pour la technique. Mais comme tout le monde utilise un peu les mêmes techniques, ça m’intéresse plus trop. Je préfère être ailleurs.
HHSOM : On a pu entendre que, à tes débuts, tu étudiais les textes de rappeurs américains. Est-ce qu’il y aurait une grande figure qui t’as influencée ?
Espiiem : S’il y a une figure proche, c’est l’Etrange, parce qu’il m’a initié au rap et à la technique. Dans les rappeurs cainris, j’ai étudié pas mal Rakim, PerceeP j’aimais bien un mec qui s’appelle Main Flow, KoolGRap et un paquet d’autres. Je pense qu’au début en tant qu’emcee, il faut se calquer sur ce qui a déjà été fait et après tu peux façonner ta propre identité.
HHSOM : Ces temps-ci, pas mal de livre sur le rap sortent, est-ce que tu penses que la théorisation du rap c’est une bonne chose, ou ça doit rester quelque chose de l’ordre de l’implicite, du spontané ?
Espiiem : La théorisation, je pense que c’est une bonne chose parce que ça montre que le Hip Hop est une culture solide. Il y a des gens qui se targuent de dire que le rap est une sous-culture, alors si tu leur montres comment ça a été façonné, influencé, ça donne ses lettres de noblesses au genre. Donc je trouve que c’est une bonne chose, c’est un témoignage. Après moi j’en ai pas vraiment lu. Je trouve que c’est bien aussi par rapport à la technique, que les gens puissent comprendre que c’est très codé, qu’on a un tas de contraintes liées au rythme, etc… Comme ça les gens qui ne connaissent rien au rap pourraient comprendre que c’est pas libre et qu’on est quand même soumis à certaines règles précises.
HHSOM : On a pu remarquer que tu as beaucoup évolué dans ta musique, de Cas de Conscience, ensuite The Hop, et maintenant en solo, il y a eu beaucoup de changements. Est-ce que tu penses que c’est nécessaire pour un rappeur de se renouveler, sous peine de devenir obsolète ?
Espiiem : Pas forcément, moi c’est mon tempérament de toujours vouloir me mettre en danger. Pour moi, c’est une des conditions pour s’élever au rang d’artiste, ne jamais se reposer sur ses lauriers. Je finirais par m’ennuyer si je faisais toujours la même chose. C’est une sorte de défi pour moi. Si je faisais tout le temps la même chose je perdrais de l’inspiration aussi, parce que je l’aurais déjà fait. Du coup, ça devient un travail, dans le sens où ça devient routinier.
HHSOM : L’Homme de l’Est disait dans un son : « Le rap, juste une étape », et toi, tu te vois rapper à cinquante balais ?
Espiiem : Non, je pense pas. Déjà parce que le rap c’est comme le sport, c’est super dur et si tu arrives à émerger, c’est court. Peut-être qu’à cinquante balais je me ferais un petit texte pour me faire plaisir mais là, on est dans la force de l’âge et on se donne activement. Avec Ynnek, on écrit des couplets constamment, on se renvoie la balle, on essaie d’être à chaque fois plus fort. Je me pose pas trop ce genre de question, si je rappe à cinquante ans, c’est chan-mé, mais on verra bien.
HHSOM : Est-ce que tu as écouté le son de Mysa,Le Sale Boulot, où il condamne le rap de Kaaris, Booba, en disant, parce qu’il est musulman pratiquant, que c’est des blasphèmes ?
Espiiem : Non je l’ai pas écouté, (en s’adressant à Ynnek) Keny, t’en as entendu parler toi ?
Ynnek : Oui, il dit de la merde.
HHSOM : Est-ce que toi, venant d’une famille religieuse et par rapport à ça, tu penses qu’on peut dire n’importe quoi dans le rap ?
Espiiem : Je crois que c’est un débat que j’ai déjà eu. C’est une question compliquée parce que c’est de l’art et l’art c’est le champ des possibles. Mais eux, ils sont sur un truc ambigu parce qu’ils te vendent un style de vie hyper vé-nér tout en sachant que ceux qui les écoutent ne font par forcément la différence entre ce qu’ils disent et la réalité. Après ce qui va me gêner, c’est plus la réaction de certains par rapport à ça. Mais c’est pas moi qui les interdirait, c’est ça qui est bien dans le rap aussi, c’est qu’il y a une variété vraiment large. J’aimerais pas qu’il n’y ait que ce style-là, mais j’aimerais pas qu’il n’y ait que le style inverse par exemple.
HHSOM : On a entendu que tu avais fait un concert à Genève (15 novembre 2013 à l’Undertown, NDLR), qu’est ce que tu penses du public suisse ?
Espiiem : A ce concert, on est arrivé tard et il y avait des problèmes d’organisation mais je garde un super souvenir parce qu’on a été vraiment bien accueilli. J’espère pouvoir revenir. Je crois que les gens qui étaient présents ont passé un bon moment, tout comme nous.
HHSOM : On arrive au bout, qu’est-ce que tu nous prépares pour la suite ? Dans quelle teinte et avec qui comptes-tu évoluer ?
Espiiem : Il y aura pas mal de gens avec qui j’ai déjà travaillé. Pour l’album, les sonorités viendront en partie des musiciens de The Hop, encore un peu différentes. Je suis en pleine recherche pour la direction artistique de l’album donc moi-même je suis incapable de donner une idée claire. On travaille dans quelque chose à mi-chemin entre des sonorités récentes, des sonorités acoustiques et des sonorités plus anciennes comme je peux aimer aussi. Donc je bosse à fond sur l’album. Mais j’ai aussi le projet de faire un projet de groupe avec des emcees que je trouve forts. On travaille discrètement là-dessus aussi.
HHSOM : On arrive à la fin, un mot pour conclure ?
Espiiem : Dédicace à Zion et Talya (deux fillettes présentes durant l’interview), merci d’être venus et merci de m’avoir interviewé.
Il est 16h alors que nous tournons éperdument dans les rues de Montreux à la recherche d’une place de parc. Notre envie d’arriver en avance pour notre interview part rapidement en fumée, alors que nous sommes à quinze minutes de l’heure du rendez-vous, toujours à naviguer dans un des parkings souterrains. Entre stress et appréhension, c’est la gorge serrée et le pouls rapide que nous attendons La Smala, pour notre premier interview. Ils se produisaient au Ned, ce soir là, après Gueule Blansh et KT Gorique, précédant le live d’Hugo et Vin7 du TSR Crew. Cette soirée était Sold-out depuis plus d’une semaine, preuve d’un certain engouement autour de ces artistes. Rapidement, la glace est brisée par la sympathie du groupe bruxellois. Le dictaphone en guise de micro, la passion du rap pour motivation: retour sur les débuts de La Smala, leur conception du live, leurs influences et le futur du groupe, vu que tout s’accélère.
Hip Hop State Of Mind: Pour commencer, quel est l’historique de La Smala? Comment le groupe s’est-il formé? Nous avons pu entendre parler de L’Exutoire et Nouvelle Génération, c’était vos anciens groupes?
Rizla: Effectivement, il y avait tout d’abord L’Exutoire et Nouvelle génération. Nouvelle génération était composé de moi-même et Gorgio, qui était anciennement dans La Smala. L’Exutoire collectif c’était Seyté, Senamo et F.L.O. Après, on s’est rencontré moi et Seyté à l’école, le courant est vite passé alors on a rappé ensemble, fait 2-3 morceaux. Il est venu rapper avec Nouvelle génération et après il nous a présenté F.L.O. et Senamo. Les choses se sont ensuite faites progressivement, on faisait des featurings Nouvelle génération – L’Exutoire et, de fil en aiguille, on a décidé de créer un groupe parce qu’on se rendait compte qu’on rappait tout le temps ensemble. A la base, il y avait cinq personnes dans le groupe: Seyté, moi-même, Gorgio, Senamo et F.L.O., ensuite Shawn-H est rentré dans le groupe, 12K est entré mais est vite ressorti et Turkesh, pareil: ça c’est pour la pochette du Volume 2, où y avait beaucoup de monde. C’était une époque transitoire de La Smala où on ne savait pas vraiment vers quoi on se dirigeait: un collectif ou plutôt un groupe. Certains ont ensuite lâché prise car les choses de la vie obligent et le noyau dur qui reste sont les six actuels: Seyté, Senamo, Shawn-H, F.L.O., moi-même et Dj X-Men qui nous a rejoint il y a plus de deux ans.
Senamo: C’est les exigences qui évoluent aussi…
Rizla: On a évolué dans le sens où les gens qui sont restés dans le groupe ont eu envie de créer quelque chose de concret, de faire de la musique, des albums, de voyager un peu et ça demande quelques sacrifices dans la vie. Tout le monde n’était pas prêt à le faire. Tout le monde n’y a pas cru non plus…
HHSOM: Vous êtes à Montreux auNedpour un live, qu’est ce que ça apporte de plus pour vous le live dans le monde du rap? Qu’est ce que c’est de plus qu’un album ou qu’un freestyle sur le net?
Seyté: Le live fait super plaisir parce qu’on rencontre le public. Quand on sort un morceau et qu’on voit qu’il y a beaucoup de vues, c’est juste des chiffres, ça fait plaisir de savoir que beaucoup de gens regardent. Mais, quand au concert les gens sont super chauds et backent les paroles, c’est différent, ça fait vraiment trop plaisir… Je pense que c’est important pour un artiste de se produire en live ne serait-ce que pour voir le public et après, faire un morceau c’est une autre performance qu’assurer un truc en live. Donc pour le défi, c’est cool de voir ce que tu peux donner sur scène et si tu arrives à emporter les gens avec toi.
HHSOM:Il y beaucoup de travail d’adaptation pour passer du morceau studio au morceau live?
Seyté: Ça demande des répétitions, évidemment et il faut l’interpréter différemment, faire passer un message à des gens directement devant toi, essayer de leur faire comprendre le truc. C’est pas toujours évident de suivre les paroles quand on ne connaît pas le morceau et, même s’ils ne les comprennent pas, il faut essayer de les faire rentrer dans l’atmosphère.
Senamo: Il y a parfois des morceaux qui ont beaucoup de succès mais ne fonctionnent pas pour le live…
HHSOM:Qu’est ce que vous pensez du public suisse? Vous avez déjà fait une date à Genève, ici à Montreux c’est Sold-out ce soir, c’est quand même assez rare au Ned, on voit qu’il y un certain engouement…
Senamo: La première fois qu’on est venu, on a été super bien accueilli, c’était pour un événement End Of The Week (Genève, le 28 juin 2013, ndlr). Le public était chaud, c’est différent de la Belgique, on a l’impression que les gens sont plus à fond dedans. En Belgique, on a plus d’événements et on a aussi fait beaucoup de concerts et on se demande si les gens en ont pas marre de nous voir là-bas. Donc, ici, en terre inconnue, si on arrive et qu’on fout la patate, le gens ne pourront que nous suivre.
Seyté: Pour nous c’est encore plus fou de venir de Belgique et se rendre compte que plein de gens connaissent les paroles même en dehors des frontières, on se rend vraiment compte de l’ampleur que ça prend.
« On n’avait pas la prétention de dire « achetez notre CD » parce que pour nous ça n’avait pas la qualité pour le vendre puisque c’était que des freestyles. »
HHSOM: Est-ce que vous pensez que c’est nécessaire pour un rappeur de se produire sur scène ou on pourrait imaginer quelqu’un de connu uniquement sur internet?
Senamo: Je pense que c’est faisable mais c’est dommage pour la personne qui le fait parce qu’on perd ce contact live super agréable dont parlait Colin (le prénom de Seyté, ndlr). Mais c’est possible, on peut imaginer quelqu’un qui se crée un personnage derrière l’écran qui n’apparaît jamais comme les Puppetmastaz qui, à la base, ne se produisaient même pas sur scène. C’était leur marionnette qui faisait le show. Maintenant, ils jouent avec le masque de leur marionnette. De toute façon, si ça marche pour le type, il sera obligé de faire des scènes. Il pourra se masquer, le faire avec un concept spécial, mais il devra le faire de toute façon. Aujourd’hui, les vidéos sont importantes c’est vrai, mais le côté scénique a clairement sa place aussi.
HHSOM: Pour parler de vos projets, vous avez fait quelque chose d’assez fou: sortir quatre projets communs et quatre projets solos, tout ça gratuitement. Comment ça se fait? Qu’est ce que vous attendiez de leur sortie? Pourquoi est-ce que vous n’avez toujours pas d’album?
Rizla: Dès que La Smala a été formé, on a commencé à faire de morceaux sans se dire qu’on allait faire un projet. Mais après une année, on a décidé de rassembler tout les morceaux qu’on avait sorti à droite à gauche et d’en faire une compil’: ça a été On est là là volume 1. C’était juste une compilation de morceaux déjà parus avec quelques inédits et il y a eu un engouement impressionnant auquel on ne s’attendait pas du tout. C’était à l’échelle bruxelloise à l’époque mais c’était nouveau pour nous. Tout le monde venait nous en parler et du coup ça nous a motivé. Comme on avait pas vraiment de structure à l’époque, ce qui est toujours le cas en fait, on a décidé de pas se lancer dans trop de clips et d’albums mais de rester sur la même lancée et on a sorti le volume 2. Le 2 avait plus une vocation de projet concret quand même. Puis le volume 3 est venu toujours dans la même optique de faire des morceaux pendant l’année, de les compiler et de les sortir. Pour les projets solos, je crois qu’on avait tous besoin de respirer donc on s’est dit qu’avant de passer à la vitesse supérieure avec La Smala, on allait chacun sortir notre petit projet et éventuellement le presser ou le vendre. Seyté l’a fait, les autres, non. On a donc sorti les quatre projets (à découvrir ici, ndlr) et notre ami Shawn-H prépare toujours le sien. Mais on avait promis d’en sortir cinq donc on a balancé Poudre aux yeux, pour se dire qu’on tenait nos promesses. Ce projet devait pas du tout voir le jour, on a décidé ça en un week-end. C’était samedi et on l’a sorti lundi, avec nos quelques sons dans le tiroir. D’ailleurs Big up à Seize qui nous a bien aidé. En vérité, on s’est rendu compte après que c’était assez rare et qu’on avait beaucoup donné, donc là, forcément, on prépare quelque chose d’un peu plus concret.
Senamo: Pour moi, ce pourquoi on a fait ça gratuitement, même si Seyté en a pressé, mais il en a pressé cent, tu vois, c’est qu’on n’avait pas la prétention de dire « achetez notre CD » parce que pour nous ça n’avait pas la qualité pour le vendre puisque c’était que des freestyles. Les seuls trucs auxquels on réfléchissait un peu, c’était l’enchaînement des titres et la pochette. Si on vendait ça, il y aurait peut-être les gens qui sont fans de nous de dingue qui les aurait achetés mais c’est tout. Pour nous, si on fait un objet, on veut que ce soit de la tuerie et là: vas-y achète.
Seyté: Pour les trois compil’ de On est là là, forcément, on allait pas les faire payer parce qu’on a commencé à une époque où on avait simplement l’envie de kicker. On met une prod, on fait un morceau, vas-y, sans forcément penser au fond. Comme on était beaucoup aussi, quand t’écoutes, c’est pas non plus hyper carré de A à Z. Il n’y avait pas vraiment de structure. C’était simplement par envie de rapper sur des morceaux, de les avoir à la maison, de les faire écouter aux potes, faire tourner un peu. On n’était pas dans l’optique de commencer à faire des trucs pour les vendre.
HHSOM:Pour parler un peu de vos instrus, où est-ce que vous vous les procurez? On a entendu parler de Kilodream, Jeanjass ou Cesarienne, il y a aussi Shawn-H et Rizla qui produisent. Comment se passe le choix des prods?
Shawn-H: En fait Kilodream, c’est moi et Rizla. Ça s’est fait naturellement puisqu’on produisait les deux. Déjà, le premier On est là là, c’est pratiquement que du Rizla à la prod.
Rizla: C’est que du Rizla à la prod (Rires).
Shawn-H: Pour le volume 2, j’ai commencé à faire mes prods de mon côté. On commençait à kicker dessus. Du coup, on s’est dit qu’on allait monter un petit truc à deux, et on a fait Kilodream.
Rizla: Beaucoup de gens ne savent pas que c’est nous en fait.
Shawn-H: On précise jamais qui est derrière la prod en fait. C’est l’un des deux. Il y a pas mal de prod de Seize, Cesarienne Rekordz, Jeanjass aussi, Gortex, Eli aussi. Il y en a plein.
Rizzla: A la base, il y avait que moi qui faisait des prods, mais c’était normal puisqu’on était pas encore « connus » en Belgique donc on a avancé avec mes trucs. Mais forcément, quand tes sons se mettent à tourner, les beatmakers s’intéressent et ils veulent apporter leur pierre à l’édifice. On a donc eu de plus en plus de propositions et on a aussi été chercher nous-mêmes comme chez Lardy Sunny qui est une connexion d’un pote à nous. Dédicace à S-One Co’ (groupe parisien, ndlr). Au final, ça fait chaud au cœur de voir tous ces gens qui ont envie de travailler avec nous. En fait plus t’es connu, plus tes sons sont biens, plus les beatmakers vont s’intéresser, parce qu’ils aiment ton travail et qu’ils sont contents si leurs instrus tournent un peu.
HHSOM: Le dernier titre en date c’est Tout s’accélère, ça veut dire quoi? Que vous êtes aux « portes du succès », qu’il y a un engouement particulier ces temps-ci? Il y a 600’000 vues sur Reflets d’esprit aussi. Qu’est ce que ça change par rapport à autrefois?
F.L.O: Je ne suis pas là sur Reflets d’esprits mais c’est vrai que c’est le clip Smalien qui a le plus de succès en terme de vues. Quand on le fait sur scène, c’est un son tranquille mais les gens kiffent. Pour Tout s’accélère, c’est pas qu’on est aux « portes du succès » ou sur le point de percer mais on voit qu’il y a un bel engouement et que, grâce à ça, on peut commencer à se propager et être de plus en plus présents. Tout s’accélère pour nous, mais c’est plus une métaphore.
Senamo: Comme on disait par rapport aux projets, là on était pas vraiment à fond et maintenant on a envie d’aller plus loin et d’accélérer notre cadence à nous, mais pas la manière dont les gens nous perçoivent.
Seyté: Tout s’accélère, c’est plusieurs messages en fait. On voit que sur Reflets d’esprits y a 600’000 vues, un certain engouement. Mais pour nous aussi, c’est dingue comme on doit plus se donner à fond pour La Smala et pour que ça grandisse: tous les projets, les concerts: Tout s’accélère dans notre vie en fait. Il faut faire des choix et s’y consacrer à fond sinon tout ralentit…
Senamo: Ouais, ce titre représente plein de trucs pour nous mais pas qu’on est « aux portes du succès » (rires).
« Le futur de La Smala, c’est une clarification de tout ce qu’on a déjà fait en un beau projet. Comme disait Senamo, le jour où on dira aux gens de venir acheter le projet, c’est qu’il méritera d’être acheté. »
HHSOM: Et sinon, quels projets pour le futur? Un album bientôt?
Shawn-H: Pour la suite, on est sur pas mal de projets: avec A notre tour (collectif composé de Caballero, Lomepal, Exodarap, J.C.R. et La Smala, ndlr) par exemple. Mais sinon le futur c’est un album Smala, qui arrive gentiment, on va pas donner de date mais on est bien dessus.
Rizla: Ça s’annonce chokov! C’est une expression qu’on va lancer. Mais ouais, on va aller dans quelque chose de beaucoup plus concret. Tout ce qu’on a acquis avec notre expérience, on va en faire un album avec une ligne directrice, des thèmes, quelque chose de plus travaillé, plus abouti, une structure, le tout bien mixé, etc… Au niveau de la qualité du son aussi on a monté le level, on a pris un studio professionnel. Concrètement le futur de La Smala, c’est une clarification de tout ce qu’on a déjà fait en un beau projet. Comme disait Senamo, le jour où on dira aux gens de venir acheter le projet, après tout ce qu’on a offert gratuitement, c’est que le projet méritera d’être acheté.
HHSOM: Qu’est ce que ça fait de faire du rap « belge », est-ce qu’on vous voit différemment dans le paysage du rap francophone?
Seyté: En Belgique, tu vois, les gens le prennent comme le rap de chez eux mais, par exemple à Paris ou comme ça, ça va pas être une tare d’être belge. Ces temps d’ailleurs y a une grosse mode « à la belge » et je pense que c’est intéressant de découvrir des gars qui vont bien rapper mais différemment, avec des expressions différentes, etc… Pour nous par exemple, ça nous fait toujours rire, rien que les expressions québécoises. D’où que tu viennes je pense, si t’as des truc à dire et que tu le fais bien, les gens vont kiffer.
HHSOM: Seyté tu nous dit « La maille j’en ai mis plus dans le rap que dans ma poche… » (dans Seythérapie, ndlr). Dans quelle mesure ça paie le rap?
Seyté: Tu vois quand tu vas au studio, le gars qui va t’enregistrer il doit manger aussi. Mais, quand on aime ce qu’on fait, je crois pas qu’il y ait de problèmes à mettre de l’argent. Moi je suis pas un fan de bowling, j’y vais pas tout les samedis dépenser ma tune, mais je vais aller au studio faire un morceau une fois par mois. C’est ma passion: je mets de l’argent dedans et je ne touche pas forcément en retour mais je m’en fous et faut pas trop s’y attendre.
Senamo: Le rap ça rapporte mais, vu qu’on est un groupe de six personnes, déjà il faut tout diviser par six, ce qui réduit de ouf les sommes. Et le rap en soi, c’est pas un truc hyper bien payé. Il y a des Djs qui sont payés 12’000 euros. Le gros rappeur chez nous, il se fait payer 1’500, 2’000 euros maximum. Mais nous c’est pas ça et on devrait diviser par 6. Mais on le fait pas, on met tout dans une cagnotte et on essaie de fournir quelqu’un s’il a besoin, suivant les possibilités et sinon on réinvestit dans les projets, le studio, les t-shirts. On est à un stade où le rap paie le rap. C’est déjà un gros avantage qu’on a tiré de notre acharnement et que plein n’ont pas. On aimerait toujours plus mais on se rend compte de la chance qu’on a. C’est quand même un truc de ouf ce qu’on vit, l’impact sur les gens: qu’en Suisse par exemple, des gens connaissent nos textes par cœur. C’est une chance de fou que plein d’êtres humains n’ont pas. Tu vois, il y a des gens qui appellent des numéros payants parce qu’ils ont personne à qui parler et nous on lâche un texte et des centaines de personnes écoutent réellement notre texte. C’est une chance de ouf.
HHSOM:Pour parler de vos influences,Rizla, tu nous dit « T’as qu’à écouter du ricain si tu n’aimes pas les textes ». Ça veut dire que vous êtes plus influencés par des rappeurs francophones?
Rizla: Je pense qu’on est un peu tous plus penchés du côté francophone parce que, personnellement, l’anglais je le comprend pas très bien donc j’arrive pas à tout saisir et ça me touche moins. Par contre, quand j’ai commencé à écouter du français à 12-13 ans, ça m’a direct tapé dans l’oreille parce que ça me parlait, je comprenais ce que les gars vivaient et ça me touchait. Donc mes influences sont clairement plus francophones mais ça veut pas dire que y a pas des ricains qui ont des putains de textes.
Dj X-Men: En tant que DJ, pour moi, les influences sont beaucoup plus ricaines. Tout vient presque de là-bas: le scratch, le mix, toute l’évolution vient de là-bas donc j’ai été obligé de suivre parce que c’est ce que j’aime.
« Tu es devant une feuille, écris ce que tu penses, écris ce que t’as envie de dire, pas ce qu’ils ont envie d’entendre. »
HHSOM: Toujours dans les influences, si vous deviez citer un rappeur ou un groupe francophone qui vous a fortement influencé, qui citeriez-vous?
F.L.O.: Pour moi, ça serait Scred Connexion, mais si on devait citer une référence commune je crois que ça serait Booba à l’ancienne, l’album Temps Mort.
Dj X-Men: Pour moi, ça serait des rappeurs comme L.I.M, 113, à l’ancienne.
Seyté: Pour moi, c’est la Fonky Family.
Rizzla: Moi le premier truc que j’ai écouté c’était Disiz, l’album Le Poisson rouge.J’ai été salement influencé par Sniper aussi etLunatic.
Senamo: Pour moi, Scar Logan, Scred connexion, Sakage Kronik, Reeno, donc Ul’team Atom. En Belge, ça serait à l’ancienne Opak, Ultime Team, James Deano, Gandhi et Caballero maintenant.
Shawn-H: Un de mes rappeurs préféré à l’ancienne c’est Oxmo Puccino, avec Opéra Puccino.
HHSOM: On a pu entendre direSeytéque vous menez un « combat contre le rap de merde ». Qu’est ce qui vous différencie de cet autre style de rap, comment vous voyez votre rap, par rapport à celui-là?
Rizla: Pour moi, le « rap de merde » s’associe pas à un style de rap. On peut faire du rap à l’ancienne de merde. On peut faire de la trap de merde, etc… Le bon rap pour moi, c’est un rap qui est construit, avec de belles rimes, qui est sincère, qui est vrai et qui est musicalement attirant. Faut qu’on s’y retrouve aussi. Je pense que ce qui nous différencie, c’est qu’on est concret dans ce qu’on dit. On essaie de trouver des instrus, des ambiances qui correspondent à notre style propre et on est sincère. Après, tout est question de point de vue aussi. Peut-être que certains disent qu’on fait du rap de merde. Dans La Smala, on a aussi tous des flows et des personnalités assez différentes et je pense que c’est bien dans un groupe parce que chacun amène son univers.
F.L.O.: Et on est tous des potes, on est une famille! Sinon on va pas parler de gangstérisme comme des Booba ou des La Fouine. On raconte notre vie et je crois que les gens savent se reconnaître dedans.
Seyté: Déjà on est pas militants, je vais pas descendre dans la rue habillé en treillis et dire: « c’est qui qui fait des punchlines de merde?! » (rires). Mais je trouve qu’il y a beaucoup, beaucoup de rappeurs et que y en a pleins qui puent la merde. C’est un peu dommage. Il y en a pleins qui disent beaucoup de conneries et qui sont faux. Mais après « rap vrai », ça veut pas dire grand chose. Il y a de gens, ils disent n’importe quoi devant un micro et ils espèrent que ça marche, ou justement ils écrivent des trucs pour que ça marche. Pour moi, c’est ça le rap de merde. Tu es devant une feuille, écris ce que tu penses, écris ce que t’as envie de dire, pas ce qu’ils ont envie d’entendre.
HHSOM: On arrive au bout, un mot de la fin?
La Smala: Chokov!
HHSOM: Une explication?
Seyté: Ça veut dire manger, baiser, chier, tuer,… Sinon, merci à Montreux, Big Up la Suisse.
Senamo: Big Up à A notre tour, Back in the Dayz qui nous a invités, Merci à Güliz, End Of the Weak, Rat Ours et à vous qui nous avez interviewé.
HHSOM: Merci à vous!
Propos recueillis par Dimitri et Loïck.
Et un grand merci à l’équipe du Ned pour l’accueil chaleureux!