[Chronique] Future – Dirty Sprite 2

image-jpg.2622

Généralement, une rupture peut engendrer une période de post-dépression pour la majorité des individus mais Future a connu le contraire. Depuis sa séparation avec la chanteuse Ciara au milieu de l’année passée, le rappeur d’Atlanta a enchaîné trois mixtapes entre fin 2014 et durant le premier semestre 2015. Le plus impressionnant c’est que ces projets gratuits sont tous de bonne qualité et ont placé l’emcee parmi les artistes les plus courtisés du rap game avec Drake, Kendrick Lamar ou encore Meek Mill. Honest, sorti début 2014, contient son lot de hits et a été un succès commercial, mais il n’était pas vraiment à la hauteur des attentes de sa fan base pour un projet officiel. A croire que la rupture quelques mois après avec Ciara ait réveillé le monstre qui sommeillait en lui. S’en est donc suivi trois immenses opus gratuits : Monster, Beast Mode et 56 Nights. Tous de bonne qualité mais contenant des ambiances et styles différents les uns des autres. Il y a maintenant deux semaines, le natif d’Atlanta a annoncé la sortie de Dirty Sprite 2, la suite de l’une de ses premières mixtapes, mais cette fois-ci en tant qu’album officiel. Est-ce que Fewtch a atteint son apogée ?

Mariant parfaitement son flow mélodieux avec les instrumentales qui lui sont servies sur un plateau. C’est le point fort de Future. Il a cette impressionnante capacité de combler les vides que pourraient laisser une production trop sobre en ajoutant des sonorités ou des syllabes supplémentaires mi-chantées mi-rappées à chaque fin de couplet. La preuve étant qu’il est (très) difficile de reprendre ses morceaux en essayant de faire ressortir les mêmes émotions. Une ambiance propre à Future Hendrix que seul ce dernier arriverait à reproduire. Et c’est ce que l’on retrouve dès le début de l’album avec Thought It Was A Drought et I Serve The Base l’une s’appuyant sur son texte et son refrain accrocheur et l’autre, plus sauvage et plus sombre, où l’on reçoit une claque à chaque coup de basse délivré par Elijah Sacci et Metro Boomin.

I just fucked your bitch in some Gucci flip flops
I just had some bitches and I made ’em lip lock
I just took a piss and I seen codeine coming out
We got purple Actavis, I thought it was a drought

Avec des punchlines tenaces qui font déjà le tour du web, l’artiste excelle dans ce domaine et nous laisse régulièrement une ou deux phrases accrocheuses à chaque fin de morceau comme dans les énergiques Stick Talk et Freak Hoes. Contrairement à son précédent projet qui était inondé de featurings, Dirty Sprite 2 n’en contient qu’un seul. Un point fort du projet qui permet à Future de s’exprimer plus librement. C’est ce qui nous permet d’immerger plus facilement dans son univers à la fois mielleux mais aussi brutal. Ce seul invité n’est nul autre que Drake ce qui nous donne une collaboration de luxe sur l’excellent Where Ya At où les deux artistes déballent leurs problèmes sur une instrumentale produite par Metro Boomin de nouveau.

L’atmosphère de DS2 s’appuie aussi fortement sur les productions laissées par Metro Boomin, Southside, Sonny Digital et Zaytoven. En effet, l’équipe de producteurs travaillent régulièrement ensemble et proviennent tous d’Atlanta. Et Future a fait appel à ses derniers pour l’élaboration de ses trois derniers projets gratuits. Grâce à cette alchimie et cohésion positive, l’album contient une certaine homogénéité. Que ça soit sur Colossal, où l’on retrouve les boucles de piano typées Zaytoven ou encore sur le paisible Rich $ex qui cible ses conquêtes féminines, Fewtch arrive facilement à s’adapter aux mélodies livrées par ses compères ou c’est plutôt l’instrumentale qui s’adapte au flow mélodieux de l’artiste. Mais c’est sur Blow A Bag, single de l’album, que l’artiste démontre tout son talent. Un refrain acharné mais énergique, des couplets assurés mais surtout un timbre de voix harmonieux que le rappeur n’hésite pas à varier tout au long du morceau selon les synthétiseurs utilisés par les producteurs.

S’affichant comme la suite de Dirty Sprite, DS2 confirme que le rappeur est au sommet de son art et s’installe incontestablement comme l’artiste le plus en forme et le plus courtisé sur la scène d’Atlanta. N’ayant probablement pas la technique et le flow de Kendrick ou la voix et le génie de Drake, Future se démarque par ce qu’il sait faire de mieux ; des paroles inarticulées, un flow syrupeux, sûrement aidé par quelques gorgées de codéine et une adaptation impressionnante à des instrumentales trap ou plus paisibles. Un tout qui le rend authentique dans une ambiance et atmosphère que nul autre arriverait à reproduire jusqu’à maintenant. Son premier album intitulé Pluto, l’a révelé aux yeux du public. Le suivant, Honestlui a permis de côtoyer les plus grands du rap game et d’effectuer des gros hits. Mais Dirty Sprite 2 englobe tout ce que Future sait faire de mieux et s’impose comme son album le plus réussi et surtout le plus honnête.

Kevin

[Chronique] Vince Staples – Summertime 06′

https://i0.wp.com/www.canitalkmyish.com/wp-content/uploads/2015/07/image-820x820.jpg

Vince Staples n’a que 22 ans et fait déjà partie de la cour des grands. Impressionnant par sa maturité et sa direction artistique, le gamin de Long Beach a sorti cette semaine Summertime 06′, un EP à double disque (20 titres) qui nous plonge dans les endroits délabrés et mal-fréquentés de Long Beach, plus précisément le quartier nord. Lieu qui a vu grandir cet artiste promis à un joli avenir. Ce projet est aussi un retour en-arrière en 2006, année où Vince ne comptait que treize printemps mais se débrouillait déjà en ramassant de l’argent illégalement. 2006 était aussi pour lui une année où nombre de ses proches ont été tués. Année de transition qui lui a fait prendre conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. Un album calibré du début à la fin où le passé du jeune artiste est dévoilé avec brio dans une ambiance sombre qui colle toujours aussi bien au style du rappeur.

Long_Beach_California_Birds

Long Beach est connu pour ses plages balnéaires mais aussi pour ses nombreux homicides et c’est avec ce paradoxe que le premier disque commence. Une instrumentale grave et sombre accompagnée d’un fond sonore de vagues qui échouent sur les côtes ainsi que le cri de quelques mouettes, le tout est violemment stoppé par un coup de feu qui enchaîne avec Lift Me Up et ses lourdes basses agrémentées des couplets lourds et tranchants de Staples. Ici, le thème de l’album est vite annoncé comme un contraste. D’un côté, l’été semble chaud bouillant et festif mais de l’autre, LBC est vite bercé par la violence et ses crimes.

Toujours illustré dans une ambiance morbide que l’on pourrait s’imaginer qu’en noir et blanc, la suite de l’histoire est racontée dans Norf Norf. Le quartier nord de Long Beach est présenté comme un endroit risqué où tout le monde se connaît. Les policiers, eux, essaient tant bien que mal d’imposer leur loi mais, en vain, le refrain du morceau démontre le contraire. Le tout est suivi par une mélodie agrémentée d’une sirène angoissante suivie de quelques percussions aiguës.

Mais Vince Staples est aussi attiré par les femmes qui lui permettent de rester un peu en-dehors de ce cercle vicieux. Il apprécie en particulier une latino-américaine qui réside vers son voisinage. Dans Loca (ambiance latine) l’emcee avoue que cette femme le rend fou. D’ailleurs on peut apprécier la jolie prestation de Jhene Aiko qui vient prêter main forte dans Lemme Know qui est une suite de la relation citée dans le morceau précédent.

Retournons dans des faits plus marquants. La drogue et le traffic qui arpentent les rues (Dopeman). L’addiction, la perte de contrôle et toutes les conséquences qui s’en suivent (Jump Off The Roof). Tous des faits impregnés dans une société comme celle d’où est originaire Vince.

7504984ae910a9d57154dcba85d5034d.634x320x1 (2)

Dans la deuxième partie du projet, le rappeur relate des cas plus personnels comme la rue où il habitait (3230) ou la mort de ses proches dans le majestueux Surf et son impressionnante instrumentale qui nous plonge directement au cœur des rues. Cependant, on retrouve aussi des morceaux plus paisibles et émotionnels comme Might Be Wrong où le rappeur va creuser plus loin et essaie de chercher l’origine de tout ces délits et crimes perpétués. Un morceau à donner la chair de poule qui est parfaitement géré par les chants vocaux de James Fauntleroy ainsi que Cocaine 80’s.

Ensuite, plus on s’approche de la fin de l’album, plus Vince Staples aborde des problèmes sociaux et complexes comme dans C.N.B. (Coldest Nigga Breathing) où il n’hésite pas à divulguer les soucis actuels qui résident dans sa communauté comme le racisme, la pauvreté, la violence ou encore la gentrification. L’EP se finit par un morceau qui sample Outkast. Intitulé Like It Is, il aborde, contrairement aux autres, une once d’espoir et de réussite pour les résidents des quartiers pauvres.

I been through hell and back, I seen my momma cry
Seen my father hit the crack then hit the set to flip a sack
I done seen my homies die then went on rides to kill ’em back
So how you say you feel me when you never had to get through that?
We live for they amusement like they view us from behind the glass
No matter what we grow into, we never gonna escape our past
So in this cage they made for me, exactly where you find me at
Whether it’s my time to leave or not, I never turn my back

Summertime 06′ s’impose sans aucun doute comme l’album qui pourrait concurrencer celui de Kendrick en fin d’année. Ironie du sort, le sujet et le thème qui gravite autour du projet nous rappelle aussi un certain Good Kid, M.A.A.D City sorti il y a trois ans par… Kendrick Lamar qui lui, s’occupait de raconter son histoire d’enfance vécue dans les quartiers de Compton. Long Beach ou Compton, la question va plus loin et ces deux artistes nous l’on bien fait comprendre. Avec un projet qui s’apparente plus à un documentaire que l’on pourrait visionner à la télévision, Vince Staples nous fait prendre conscience (encore une fois) des problèmes économiques, sociaux et politiques que traverse les Etats-Unis. Par ailleurs, il nous fait prendre conscience également qu’il fait désormais partie de la cour des grands. En effet, après un Hell Can Wait qui avait fait la quasi-unanimité dans les critiques l’année passée, le jeune californien place la barre encore plus haute avec Summertime 06′. Un projet géré de main de maître avec l’aide de No I.D., le producteur exécutif qui a su instaurer une ambiance terne et morose qui convient parfaitement à Vince afin qu’il puisse exploiter à merveille ses couplets tranchants qui respirent l’honnêteté et la souffrance endurée.

Kevin

Accueil Chroniques Rap US

US : Les albums à ne pas rater pendant la période d’examens

Chaque année c’est la même chose, le fait d’être étudiant est un inconvénient pendant les examens estivaux. En effet, une majeure partie des sorties rap se passe pendant cette période-là. Alors oui, on a quand même bien pu écouter les projets de quelques artistes en révisant la comptabilité ou le marketing, mais rien n’a vraiment été rapporté sur le site. Alors Hip Hop State Of Mind a pensé à toi et te dresse une liste des meilleurs albums studios US sortis dans le courant avril-juin. Et oui, il y a eu de jolies pépites qu’il ne fallait en aucun cas rater.

Boosie Badazz – Touchdown 2 Cause Hellhttps://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/8/84/TD2CH_album_cover.jpg

Il n’y a pas longtemps, nous avions déjà effectué un article sur le mauvais garçon de Baton Rouge dès sa sortie de prison. Nous lui avons prédit du succès et un album studio réussi courant 2015 et c’est chose faite. Cinq ans après, Incarcerated, son dernier projet officiel datant de 2010, l’homme qui se fait désormais appeler Boosie Badazz (anciennement Lil’ Boosie), nous délivre sur son nouvel album toutes ses souffrances endurées ces dernières années derrière les barreaux. Un projet transpirant le coin des rues de A à Z bien aidé par des productions très bien menées par des experts de la trap comme Mouse On Tha Track, J Reid et le très courtisé London On Da Track. Fidèle à sa street-credibility et à sa voix extravagante, Boosie nous offre des morceaux énergiques et souvent accompagnés de boucles de piano comme les puissants RetaliationHip Hop Hooray (avec son fidèle lieutenant Webbie) ou encore On Deck accompagné de Young Thug. Cependant, le rappeur de la Louisiane pense toujours à sa gente féminine, et sur la deuxième moitié de Touchdown 2 Cause Hell, l’ambiance descend d’un cran et les productions s’avèrent être plus soft et paisibles. Mention spéciale à Spoil You ou encore Black Heaven (où J.Cole figure comme invité surprise). Par contre, avec 19 morceaux à son actif, l’album aurait été de meilleure qualité si quelques titres avaient été dispensés de la tracklist finale. Mais après un retour tonitruant avec sa mixtape Life After Deathrow et maintenant ce projet officiel, le rappeur de la Louisiane a déjà bien reconquis son public, même s’il ne l’avait réellement jamais perdu.

Dom Kennedy – By Dom Kennedyhttps://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/0/08/By_Dom_Kennedy.jpeg

Ah sacré Dom, qu’est-ce que tu nous avais manqué. Get Home Safely paraissait déjà bien loin alors qu’il ne date que de 2013. Mais bon, quand on a un flow aussi flegmatique que le tien et qu’on est aussi attaché aux mélodies de la côte Ouest, il est difficile de te trouver un remplaçant, voire un rappeur officiant d’intérim. Mais voilà, tu es revenu avec By Dom Kennedy. Certes, tu aurais pu trouver mieux comme titre d’album, mais ce problème est vite résolu lorsque l’on commence l’écoute de ton nouveau projet. Des ambiances comme toujours très estivales, une gestion de l’album toujours aussi simple mais compacte et grandement menée. Tous ces ingrédients qui donnent au final un opus que l’on pourra écouter sans soucis et sans prise de tête pendant tout cet été au bord de la plage ou dans sa voiture. Bien qu’il ait produit un des projets de l’année, Kendrick a un peu oublié ses racines californiennes, mais toi non. Et on te remercie. D’ailleurs, il faudra toujours nous expliquer comment tu fais pour sortir des hits estivaux comme Fried Lobster, parce que là… ça frise le ridicule pour tes autres concurrents. Ah, j’allais oublier, bien que fervent de la côte est, Biggie aura sûrement apprécié le petit hommage sur Thank You Biggie. Reviens vite Dom. Reviens vite.

Dizzy Wright – The Growing Process

Passé inaperçu et ayant un peu déçu depuis sa nomination dans la liste XXL Magazine des Freshman Class 2013, Dizzy Wright a enfin démontré qu’il méritait cette place avec son deuxième album solo intitulé The Growing Process. Plus mature et plus impliqué, le natif de Las Vegas n’a pourtant pas trop changé son style. Fidèle à une vibe toujours aussi paisible et décontractée, le rappeur à réussi à nous imprégner dans l’ambiance de son album qui, il faut le dire, ne contient aucun déchet. Il est accompagné par son mentor et « oncle » de toujours qu’est nul autre que Layzie Bone, éternel membre du groupe légendaire des Bone-Thugs-n-Harmony mais aussi par Krayzie Bone qui vient prêter sa plume sur le très planant Don’t Ever Forget, hymne à la fumette. Que ça soit sur la poignante dédicace qu’il fait à sa fille (Daddy Daughter Relationship), sur le magnifique morceau où il est accompagné de Big K.R.I.T et Tech N9ne (God Bless America) ou encore sur l’hommage qu’il fait à Me Against The World (2Pac) et à In A Major Way (E-40) sur Train Your Mind, on ne s’ennuie pas lors de l’écoute entière de l’album. Mais l’homme qui a les mêmes yeux que Wiz Khalifa démontre aussi qu’il est à l’aise dans d’autres domaines avec des morceaux plus « turnt-up » comme le très réussi Floyd Money Mayweather. Son point fort, sans aucun doute sa capacité à bien choisir des hooks accrocheurs mais surtout son habilité à aborder des sujets d’actualité tout en restant technique et polyvalent derrière le micro.

Denzel Curry – 32 Zel/Planet Shrooms32 Zel - Planet Shrooms.jpg

Avec ce double EP à quatorze titres, Denzel Curry fait suite à Nostalgic 64, album qui lui avait permis de se faire connaître auprès du grand public. Dans ce nouveau projet, Denzel reprend les mêmes recettes qui ont fait croître sa notoriété. C’est-à-dire un rap funèbre, très sombre, des paroles morbides et une ambiance lugubre voire menaçante qui nous accompagne chaleureusement du début à la fin de l’album. Comme à son habitude, le meilleur ami de Dark Vador fait souvent référence à des films dans ses textes en n’hésitant pas à jouer avec des métaphores comme par exemple sur Envy Me :

Take down the empire bruh / In the hood just robin like William’s / Lets hope that they’ll never doubtfire

On retrouve cependant quelques morceaux moins obscurs sur cet opus comme le superbe Delusional Shone où le natif de Carol City (Floride), offre une prestation énergique sur une production remplie de synthés qui s’apparente à un style plus trap et sudiste. Hors de son domaine, Curry prouve qu’il peut aussi se divertir dans d’autres milieux avec un refrain plus joyeux et chanté. La fin du morceau est une instrumentale différente à celle du début qui nous fait partir sur un trip assez schizophrénique. Schizophrénique, tel est aussi l’adjectif qui pourrait qualifier ce projet. Comme le précédent de Curry d’ailleurs. Les productions ne sont pas seulement sombre et glauques, mais on ne serait pas surpris que le producteur aurait été sous l’emprise de stupéfiants lors de la réalisation des instrumentales qui, par ailleurs, réussissent très bien au style du rappeur. Un projet complet de bout en bout qui, comme son précédent, n’est pas accessible à tout le monde. Cependant, Curry reste fidèle à son style et devrait ravir ses fans avec ce double EP.

A$AP Rocky – At.Long.Last.A$APAtLongLastASAPCover.jpg

Ben oui, il fait partie de cette mini-cuvée pré-estivale et ne nous a en aucun cas échappé. Malheureusement, sorti pendant la période intensive des examens, l’album sophomore d’A$AP Rocky n’a pas eu le droit à sa chronique complète. Alors pour nous pardonner, il figure dans cette liste. Un album qui suit apparemment la même lignée que son précédent, mais pas complètement. En effet, Lord Pretty Flacko apparaît plus sérieux et introspectif dans A.L.L.A. en majeure partie dû à la perte d’A$AP Yams son ami de toujours et le créateur d’A$AP Mob. Plus réussi, plus mature et plus innovant que son premier opus, on retrouve des morceaux diversifiés mais qui sont homogènes les uns par rapport aux autres. Un projet qui passe par plusieurs ambiances, l’originalité d’un L$D mi-rappé et mi-chanté qui nous amène dans un énième univers créé par Flacko. Ou encore l’ode dédiée à Max B dans le morceau avec le titre éponyme qui est magnifiquement géré par A$AP et le surprenant Joe Fox au refrain, inconnu au bataillon jusqu’ici. Plusieurs atmosphères différentes qui permettent au natif de Harlem de livrer cette année un album géré de bout en bout, à sa sauce avec aucun déchet. Mention spéciale au come-back du toujours tant attendu Mos Def sur Back Home concluant un album qui pourrait prétendre être l’un des meilleurs de cette année 2015 très prolifique.

Kevin

Accueil Chroniques Divers Rap US

[Chronique] Young Thug – Barter 6

young_thug_barter_6

En 2002, Lil Wayne intitulait son troisième album solo 500 Degreez, en réponse à la trahison de Juvenile qui venait de quitter Cash Money Records et pour déclarer qu’il était plus bouillant que son 400 Degreez sorti quatre ans plus tôt. Treize ans après, alors que Lil Wayne réclame des millions et menace de quitter ce même label, Young Thug, nouveau protégé de l’opportuniste Birdman, reprend de force le flambeau en sortant le sixième volet de la série Carter. Craignant une poursuite de Lil Wayne, il le renomme Barter 6 (aussi pour souligner son appartenance aux Bloods qui remplacent les lettres « C » par des « B »). Cet album, rapidement devenu mixtape, sonne autant comme un hommage que comme une attaque à Lil Wayne, impliquant peut-être un changement de dynastie. Barter 6 pourrait donc être un cap important. 

Barter 6 commence là où s’était arrêté Tha Tour Part. 1. En effet, on retrouve London’ On Tha Track, qui en était l’architecte principal, et Wheezy qui avait signé le seul Milk Marie. Sur cette nouvelle mixtape, les rôles s’échangent: London’ On Tha Track distille ses interventions, Wheezy prend les rênes mais cette ambiance de virée nocturne persiste. Dans cette atmosphère très classe tout en étant obscure, on retient quelques morceaux qui sortent du lot (l’entêtant Check, le magnifique Numbers ou le sombre Dome) et certains qui tirent le lot vers le bas (OD et son instrumentale qui s’efface devant la prestation de Young Thug, Amazing et son beat répugnant). La mixtape est bonne dans son ensemble mais peu de titres paraissent évidents au milieu de cette ambiance très travaillée. Malgré les bonnes apparitions de Duke, T.I. ou Yak Gotti, l’écoute de Barter 6 ressemble à la seule écoute d’un fou et de ses bizarreries, le tout sur de bonnes instrumentales qui peinent pourtant à marquer les esprits (la faute à Wheezy?).

Si Barter 6, mixtape pensée comme un album, n’est pas tout à fait le cap qu’on voulait que Young Thug franchisse, il ne faut pas oublier qu’il a fallu à Lil Wayne plusieurs années avant de devenir cet artiste global. Il a fallu également que Lil Wayne s’affranchisse du son de Mannie Fresh, après que ce dernier ait quitté le label, en rappant sur les instrumentales des autres comme sur les mixtapes Dedication ou en allant chercher d’autres producteurs sur Tha Carter II. Bien qu’on attende toujours Metro Thuggin’, son album en collaboration avec Metro Boomin’, Young Thug gagnerait peut être à diversifier ses producteurs, à chercher ailleurs qu’à Atlanta, afin d’élargir ses horizons, et donc de toucher d’autres publics, et de re-créer la surprise.

Par Dimitri. 

Accueil Chroniques Rap US

[Chronique] Yelawolf – Love Story

Épaulé par deux légendes, Eminem et DJ Paul, et bien qu’il ait collaboré avec les plus grands, de Gucci Mane à Raekwon en passant par Big Boi, Yelawolf semble pourtant courir constamment après la reconnaissance. Après une quatrième mixtape en 2010 qui attire la convoitise d’Interscope, il sort l’excellent Trunk Musik 0-60, signe dans la lignée sur Shady Records et apparaît parmi les Freshmen de 2011. Cette belle ascension fut stoppée nette après son premier album en major, un médiocre Radioactive sur lequel il n’a pas confirmé. Ensuite, Yelawolf s’est fait plus discret, malgré la sortie de projets avec Ed Sheeran, Travis Barker ou DJ Paul, et est revenu vers ses premiers amours, un rap baigné dans le rock et la country, comme le confirment les extraits de Love Story, son nouvel album qui pourrait bien lui permettre de s’imposer pour de bon.

En effet, Yelawolf est revenu dans un style plus personnel, premièrement en créant un univers entre rock et country, ses deux influences principales. Ainsi, on se retrouve, tout au long de Love Story, dans une atmosphère très sudiste, où les Chevrolets, le whisky et les bottes Lucchese sont à la mode, et où certaines instrumentales ne sont formées que par des guitares acoustiques (Ball and Chain (Interlude), Devil In My Veins, Have A Great Flight). La religion y est aussi importante, comme sur Best Friend ou Disappear dans lequel Yelawolf livre une longue prière en s’adressant à Jésus Christ comme si ce dernier était son père. Enfin, le tout est très mélodieux, Yelawolf poussant la chansonnette sur tous les titres. Au final, Love Story est un road trip à travers l’Alabama, une douce soirée d’été. A l’écoute de l’album, on est surpris de s’imaginer cheveux dans le vent parcourir cet Etat, en bonne compagnie (cet album est aussi une histoire d’amour), une guitare sur le siège arrière, un verre de whisky qui nous attend au bar.

Enfin, cet album est également plus personnel car Yelawolf n’y a pas invité n’importe qui comme sur son précédent disque. Love Story se résume à trois personnes : WillPower et Malay, qui produisent la majorité de l’album, créant cette homogénéité très plaisante, et Eminem, seul featuring, sur Best Friend. Toutefois, Marshall Mathers reste très présent sur ce disque, tant son influence est prédominante. Comme son mentor, Yelawolf possède cette propension à se livrer (le magnifique Till It’s Gone, Johnny Cash qui dépeint son rapport à la scène) et à flirter dangereusement avec la pop (American You, Heartbreak). Par instant, il rappe même avec une hargne et un flow incisif qui rappellent le Marshall Mathers des années 2000 (le premier couplet de Love Story ou le dernier d’Empty Bottles).

Alors qu’il signait en 2007 sur Columbia Records, Yelawolf quittait le label six mois plus tard, la queue entre les jambes. Trois ans après, il faisait partie des têtes d’affiches de la nouvelle scène et prenait sa revanche en signant sur Interscope. Après le décevant Radioactive, Love Story sonne également comme une revanche. Entre Garth Brooks et Eminem, rock, country et rap, Yelawolf y livre un album personnel, impeccablement rappé, chanté et produit, qui a tout d’un grand disque.

Par Dimitri.

Accueil Chroniques Rap US

[Chronique] Booba – D.U.C

Depuis Futur, son sixième album sorti en 2012, puis sa réédition l’année suivante, Booba ne fait plus l’unanimité. Alors qu’il touchait des sommets sur Lunatic ou Autopsie Vol. 4, B2O a montré ensuite se satisfaire dans une certaine facilité comme le montre l’inégalité des deux projets suivants ou ses apparitions sur les morceaux de KaarisAlonzo ou 40000 Gang. Naturellement, cette complaisance s’est ressentie en partie dans les extraits de D.U.C, septième album événement. Alors que 3G ou Tony Sosa étaient excellents, OKLM et Billets Violets montraient un rappeur en roue libre se complaire à écraser la concurrence et amasser les liasses sans trop d’efforts. Entre génie et facilité, instants de grâce et fautes de goûts, D.U.C ne fait ainsi que prouver un peu plus ce que laissait entrevoir Futur.

Ce septième album est un disque décomplexé. Du haut de sa richesse, Booba expérimente et s’aventure vers d’autres sentiers. Ainsi, on retrouvera des sonorités électroniques sur Loin d’ici ou All Set, des instrumentales tout en piano comme Mon Pays ou LVMH, du reggaeton sur G Love et les habituelles ballades auto-tunées, le tout au milieu d’une trap toujours autant inspirée du rap américain (on peut par exemple deviner du London’ On The Track sur Les Meilleurs). Toutefois, bien que ces expérimentations soient intéressantes, elles montrent un manque de direction artistique, déjà caractéristique de Futur. Très long, D.U.C contient des erreurs et d’inadmissibles fautes de goût: l’auto-tune de Jack Da est repoussant, celui de Billets Violets ruine l’instrumentale de Wealstarr, les expérimentations électro sont ratées et la connexion avec Lino n’épouse pas totalement les attentes d’une telle collaboration.

Semelles rouges: c’est pas Louboutin, c’est le sang de l’adversaire
Est-ce que mon fils est un gosse de riche si j’l’ai conçu dans le RR ?

Cependant, le Duc évite le naufrage avec de réels morceaux de bravoure. Il y a d’abord D.U.C et sa splendide instrumentale d’X-Plosive, puis l’énergique collaboration avec Future, décidément imbattable ces derniers mois. Le très bon Mr. Kopp rappelle l’époque 0.9 tandis que l’hypnotique La Mort leur va si bien, bien que connu depuis plus d’un an, reste un titre imparable. En partie, c’est lorsque Booba se découvre et laisse entrevoir des sentiments ou des faiblesses (l’amour pour sa fille et son fils, les souvenirs de sa jeunesse parisienne, la tristesse du deuil de Bram’s) qu’il arrive à sublimer le caractère de certains morceaux, comme la fausse mélancolie de Mon Pays ou la solitude dans LVMH. Certains souhaitaient l’album de trop, d’autres voulaient un chef d’oeuvre, D.U.C se situe entre ces deux pôles: trop long, il contient beaucoup de fautes de goût mais assez d’instants de grâce pour valoir une écoute et espérer en vivre plusieurs.

Je sais plus quoi mettre, je suis trop bien loti
Je t’en prie, marche sur mes Zanotti

Alors qu’il chante faire du sale mais n’avoir plus la rage sur Billets Violets, c’est justement les titres dans lesquels Booba montre de la détermination qui sont les plus réussis, comme 3G, écrit en réponse aux critiques de KennedyTariq Ramadan et Saïd Taghmaoui sur ses propos sur le conflit israélo-palestinien. Aujourd’hui, il manque à Booba la rage des débuts, le sentiment de pouvoir amasser toujours plus et celui d’être atteignable, en danger. Malheureusement, ce n’est pas les chiffres de vente de D.U.C qui risquent de changer ça.

Par Dimitri.

Chroniques Rap FR

[Chronique] Kendrick Lamar – To Pimp A Butterfly

Kendrick Lamar… Ce nom n’a cessé de résonner dans la tête des amateurs de Hip-Hop depuis son premier album studio, Good Kid, M.A.A.D City, acclamé dès sa sortie comme un classique, chose plutôt rare pour les rappeurs d’aujourd’hui. Seulement Kendrick Lamar n’est pas tout à fait comme n’importe quel rappeur lambda. Entre la sortie de GKMC et celle de To Pimp A butterfly, son nouvel album, rares ont été ses sorties, tant médiatiques que musicales, gonflant ainsi les attentes de ses fans, de plus en plus nombreux depuis son succès mondial de la fin 2012. 

La sortie d’un album de Kendrick Lamar est à marquer au fer rouge tant l’excitation provoquée paraît irréelle. Il faut dire que le rappeur de Compton nous a habitué à des recueils de qualité; Good Kid, M.A.A.D City, qui l’a consacré aux yeux du grand public, bien évidemment, mais également son premier projet, moins connu mais tout autant délicieux, Section.80. Normal donc que ses sorties soient autant scrutées. To Pimp A Butterfly n’aura ainsi pas échappé à la règle. Après le single controversé « i », acclamé par la critique, moins par ceux qui ne sont pas grands fans des mélanges de genres musicaux, ou le très engagé The Blacker The Berry, c’est donc un album attendu au tournant qui débarque dans les bacs.

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’encore une fois Kendrick Lamar aura surpris tout son monde avec un album d’une qualité hors du commun. Entouré de producteurs tels que Flying Lotus, Terrace Martin ou encore Pharrell Williams, le rappeur de Compton a choisi de se lancer dans la musique black dans son ensemble, s’appuyant sur des instrus totalement novatrices faites de mélanges de Blues, Jazz, Soul ou encore de Funk. Kendrick a ainsi su sur cet album se renouveler tout en se basant sur ses acquis de longue date; à savoir une voix autant précieuse que singulière, un flow plus qu’entraînant, des gimmicks originaux et une parfaite maîtrise des temps morts, comme ces interludes ou ces dialogues auxquels il nous a habitués sur ses précédents projets. Vous l’aurez donc compris, Kendrick a fait du neuf avec du vieux, et réussi un pari osé en créant un album cohérent aux contours bien définis.

Car tel le Ghetto Pasteur, Kendrick prêche tout au long de cet album la bonne parole. Celle qui a vu les noirs s’émanciper de la ségrégation dans les années 60 aux USA. Il n’utilise ainsi pas uniquement les sonorités des musiques noires américaines, mais également les codes de cette culture à une époque où elle n’est pas réellement valorisée, histoire de mettre en lumière cette partie sombre de l’histoire, de rappeler les maux passés, afin de ne pas les oublier mais également ne pas les reproduire. Car c’est bien là le point majeur de son raisonnement. S’il parle souvent du passé, les motivations de Kendrick sont décidément bien dirigées vers le présent, comme si la société américaine n’avait jamais vraiment réussi à détruire cette séparation, celle qui a vu les ghettos des grandes villes américaines se transformer en cités pour les noirs, là où la misère est cachée, où le confort est accessoire, où le bonheur ne s’achète pas.

Utilisant la narration pour conduire le spectateur dans une aventure, To Pimp A Butterfly est plus qu’un album, c’est une expérience au coeur des ghettos noirs, au coeur des problèmes des gens qui comptent peu, ceux que l’on ne montre pas à la télé, qu’on n’écoute pas souvent et qui sont livrés à eux-mêmes. Ces gens-là, Kendrick leur fait une ode dans un album décidément engagé pour une cause oubliée. Rappelant le titre du célèbre livre, To Kill A Mockingbird, dans lequel Harper Lee fait une comparaison entre ces oiseaux moqueurs, qui ne nichent pas dans les jardins ou sur les toits des humains mais qui se contentent de chanter pour leur oreille et qui sont pourtant pris pour cible, et les hommes de couleur; To Pimp A Butterfly veut casser l’image de l’homme noir qui est généralement montré comme un gangster, et dont les vraies valeurs ne sont que très peu représentées.

C’est ainsi que Kendrick nous conduit dans un voyage alliant tous les aspects de la communauté black des Etats-Unis, celle de laquelle il est issu et celle qu’il veut aujourd’hui à tout prix mettre en lumière. Entre culture musicale, valeurs de la vie en communauté et problèmes du quotidien, To Pimp A Butterfly est autant une aventure singulière dans la vie difficile que mène cette communauté, qu’un plaidoyer pour rappeler les blessures d’un combat qui ne s’est jamais réellement arrêté, mais qui s’est plutôt fondu dans le décor afin de se faire oublier. Le tout en musique, réalisé de main de maître par celui qui s’élève de plus en plus comme l’unique voix de tout un peuple.

Par Manu.

Accueil Chroniques Rap US

[Chronique] Kaaris – Le Bruit de mon âme

kaaris-le-bruit-de-mon-ame-cover

Or Noir avait été en 2013 le rouleau compresseur qui affirmait Kaaris comme ce rappeur à la brutalité et à l’énergie sans égale. La formule semblait être simple: les os se brisaient, les fluides corporels giclaient. Qu’on en rit, qu’on en ait peur, qu’on adhère complètement ou pas du tout au propos, tout le monde avait entendu parler de Kaaris. Il avait fait son trou avec cet album puissant contenant son lot de pépites comme ses quelques déchets. Mais cette brutalité, cette force bête et méchante, pouvait s’essouffler et s’arrêter à un seul succès comme l’ont déjà fait bien d’autres phénomènes rap. Elle pouvait également devenir monotone et lasser en devenant moins bien exprimée. Chronique de ce deuxième album, (qui aurait pu être) un cap difficile.

L’album commence fort. KadirovSe-vrakFour est un enchainement qui mettrait en fuite un régiment. Enchainement meurtrier qui introduisait déjà Or Noir : BizonZooCiroc. La déferlante de violence sans temps de pause est la même. Même ouverture et même structure qu’Or Noir. Le Bruit De Mon Âme possède son lot bien complet de bangers surpuissants (Se-vrak, Four, Trap, Magnum,…) comme Or Noir. Il possède également son lot de morceaux plus calmes (Tripoli, Le Bruit De Mon Âme, Les Oiseaux,…) comme Or Noir. Le Bruit De Mon Âme est un peu long et possède aussi son lot de pépites comme ses quelques déchets. Et au final, Le Bruit De Mon Âme, comme Or Noir, est très efficace.

J’suis pas venu mettre le doute dans ta tête,
J’veux juste mettre du foutre dans ta schnek.

Efficace car Kaaris sait y faire. La voix surpuissante se sert du beat de Therapy comme un viking utiliserait sa hache. Ils vont bien ensemble, ça saigne, mais tout est réglé à la perfection. Ses phrases hachées résonnent sur cette trap basique, saturée, aux basses surpuissantes. L’introduction Kadirov nous emporte immédiatement dans l’orgie de violence. La maitrise du flow de K2A ne fait pas défaut, les mots percutent le beat et chaque silence pue l’attente de la prochaine violence qui sera faite à notre oreille. Dès que le rythme le permet, un gimmick vient remplir l’espace, pas de répit pour l’auditeur. Kaaris est en guerre et ce ne sont pas les idéaux de tolérance à la française qui vont le faire changer d’avis. La morale du XXIème siècle, les doutes existentiels, la politique, l’amour, ce ne sont que des conneries pour Kaaris. Rien de réactionnaire, ses constantes références à diverses cultures actuelles l’ancrent avant tout en 2015. Sa posture est claire : malgré la société compliquée d’aujourd’hui, il n’y a qu’une seule vérité, ou plutôt trois : l’argent, les femmes et le pouvoir. A la conclusion de toutes ses phases, il y a cela : gagner de l’argent, coucher avec de belles femmes, vaincre l’adversaire. Tout le reste, passé sous le tank tagué «27-0-4124 », finit broyé.

La violence de son texte trouve son génie dans ces punchlines qui sortent soudain du lot. Il les construit parfois comme phases iconiques, parfois comme vannes – elles font mouche à bien des coups, dans leur caractère grotesque ou dans leur finesse. Le ton inflexible avec lequel Kaaris les débite accentue l’image de rouleau compresseur que le rappeur donne et les punchlines drôles dont le rappeur n’a pas perdu le secret en sortent d’autant plus déconcertantes.

Pétasse, j’ai envie de voir tes gros seins, viens on se fait un sexcam,
Négro, tu veux voir mon gros flingue ? Appelle-moi par FaceTime.

Si Le Bruit De Mon Âme donne la même impression de puissance qu’Or Noir, une autre facette y existe également. Dans 80 Zeutrei, Zone de Transit, Les Oiseaux et plus clairement dans Le Bruit De Mon Âme, Kaaris se livre un peu. Moins évidents pour le rappeur à l’image très violente, ces morceaux participent parfois aux longueurs de l’album. Ils sont néanmoins mieux maitrisés que dans Or Noir. Ils nous accordent quelques temps morts bienvenus comme ces quelques bons refrains de Kaaris, tout en restant bien dans la couleur de l’ensemble grâce au magicien Therapy.

Par ailleurs, la présence de featurings est une évolution notable par rapport à Or Noir. Malheureusement, Kaaris est si difficile à suivre que la plupart des apparitions d’autres rappeurs contribuent à créer ces morceaux de trop de l’album, qui cette fois encore, aurait pu être plus court et plus intense. Vie sauvage en est un exemple où le bon couplet de Kaaris n’arrive pas à compenser les prestations moyennes des autres Sevranais de 13 Block. Néanmoins, Crystal avec Future est une vraie réussite. L’art du refrain du rappeur d’Atlanta et son flow mâché sont merveilleusement complémentaires à la puissance de K2A. Ce morceau est un point d’orgue de l’album, à l’heure où beaucoup de collaborations franco-américaines n’ont d’attraits que les noms qu’on peut lire dans le titre.

Au final, Le Bruit De Mon Âme est définitivement dans la lignée d’Or Noir mais sans décevoir. L’évolution, l’ouverture, Kaaris ne sait même pas ce que c’est. Du sale et encore du sale, c’est tout ce qu’il nous offre. Quelques petites améliorations, des boutons mieux réglés, c’est tout ce qui semble différencier Or Noir du Bruit De Mon Âme. La formule continue à fonctionner, portée par l’alchimie proche de la perfection avec Therapy. Néanmoins, cette fois encore, on regrette les quelques morceaux en-dessous du lot tel que Vie Sauvage ou Voyageur. Cet album de 77 minutes tombe à nouveau dans le travers des projets trop longs. Le rappeur n’a par contre rien perdu de sa puissance et de son éloquence, et, comme s’il lui fallait quelques déchets pour pondre quelques vraies merveilles de violence gratuite, Kaaris continue, infatigable, à donner le meilleur du rap « hardcore » d’aujourd’hui. Sa posture sans compromis, dérangeante, sa situation claire dans le rap à l’extrême du rap brutal de rue, font de K double Rotor un personnage incontournable du rap français. Il est de toutes les fêtes, assez brutal pour avoir une street crédibilité des plus affirmées, mais assez théâtral pour être largement apprécié au second degré. Une chose est sûre, sa silhouette de grand singe n’a pas fini de hanter les rêves du rap français.

– Loïck

Chroniques Rap FR

[Chronique] Gradur – L’Homme Au Bob

gradur-l_homme-au-bob-cover

Gradur fut LA révélation du rap français en 2014, collectionnant des millions de vues sur sa chaîne YouTube. L’attente était donc énorme pour son premier album. On espérait que le rappeur nordiste confirme la force de frappe qu’il laissait entrevoir à travers la série de freestyles Sheguey notamment. Le jour de sa sortie, les rues de Lille ont été envahies par une foule venue acclamer le meilleur représentant du 59. Focus donc sur L’Homme Au Bob, un album aux influences trap qui ne révolutionne pas le rap français mais qui lui met un bon coup de pied au cul.

Les trois singles choisis pour porter ce premier album ont été des choix plutôt bons, avec de la bonne trap violente sur Terrasser et un morceau plus tranquille avec Jamais. Enfin, Priez Pour Moi, le troisième et dernier extrait constituait une des rares erreurs de l’album. De quoi nous faire douter avant l’écoute de l’album mais heureusement, on se rend vite compte que ce titre ne représente pas le reste du projet. L’Homme Au Bob nous expose l’énergie à laquelle Gradur nous avait habitué sur les excellents R.D.C ou Stringer Bell, par exemple, avec une trap qui défonce tout sur son passage. On retrouve également des sons plus tranquilles comme Secteur ou un Gradur presque fragile auquel nous n’étions pas habitué sur Verre De Sky.

Côté collaboration, le emcee nordiste a frappé fort avec la présence d’un des groupes qui cartonne le plus outre-Atlantique, Migos sur #LHOMMEAUBOB, mais également avec Chief Keef sur BANG BANG. On retrouve aussi Niro, Lacrim et Alonzo qui assument l’invitation et répondent présents sur leur couplet respectif. La seule grosse erreur de casting réside dans le fait d’avoir invité Kayna Samet sur le projet. En effet, son couplet et sa voix n’ont pas vraiment leur place dans un album qui mélange une grosse énergie, des couplets avec passablement de vulgarité et de la punchline à tout-va.

Du point de vue des productions, on retrouve les influences américaines de Gradur qui vont de la drill de Chicago à la trap du South. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant en sachant qu’il a contacté le célèbre producteur Young Chop et qu’il a enregistré une partie de son album et enregistré des vidéos à Chicago.

Toutefois, malgré le très bon niveau de Gradur tout au long de l’album, on ressent encore trop sur certains titres le côté axé freestyle du rappeur de Roubaix. En effet, certains morceaux comme #LHOMMEAUBOB souffrent d’un certain manque de travail. Le rappeur donne l’impression d’être entré en cabine, d’avoir posé son texte en une prise et d’être ressorti aussitôt. L’explication se trouve certainement dans sa jeunesse et dans ses nombreux freestyles qui l’ont peut-être habitué à poser ses couplets en one shot. Le faible niveau des textes se fait aussi ressentir sur certains titres. Un côté brouillon transparaît, révélant le manque de soin parfois évident du rappeur dans ses couplets.

Malgré ces derniers points, Gradur s’inscrit clairement comme un acteur majeur du rap français. A seulement 24 ans, il livre un bon projet teinté de noir et de street crédibilité. Un album dur, du rap sans concession et du son qui donne envie de sauter tant l’énergie de Gradur nous motive. C’est dans ses excellents refrains, un point fort de l’album, que cette énergie est la plus présente. Il confirme donc tout le bien qu’on pensait de lui et prouve qu’il faudra compter sur lui dans le futur.

Par Bastien

Chroniques Rap FR

[Chronique] BeatKing – Club God 4

La lenteur d’Houston, les atmosphères sépulcrales de Memphis, le rap de club d’Atlanta: BeatKing, rappeur et producteur, a montré savoir embrasser tout ça en 2013 quand il a créé un genre à part, la gangsta stripper music, avec une mixtape du même nom, ou sur la remarquée Underground Cassette Tape Music avec Gangsta Boo. Après un EP et deux mixtapes l’année dernière, BeatKing rappelle par la sortie de ce nouvel album, Club God 4, être un des meilleurs représentants de ce Dirty South dont il reprend les codes, malgré une exposition relative.

Originaire d’Houston, BeatKing s’inscrit effectivement dans la tradition de la ville. On trouvera dans Club God 4 ces instrumentales lentes, ces voix ralenties tout comme une hymne à la boisson phare de la ville et l’apparition de certains de ses représentants (Lil Keke, Chamillionnaire, Paul Wall, RiFF RaFF ou Kirko Bangz). De manière plus générale, l’auto-proclamé Club God Zilla reprend les codes de tout le Dirty South. Ainsi, on retrouvera un peu de Memphis à travers les participations de Gangsta Boo ou les samples de son ex-groupe, la Three 6 Mafia, sur Tear Da Club God ou On These Hoez. La Nouvelle Orléans est également conviée à la fête dans BDA Remix, une reprise du Ha! de Juvenile, tandis qu’Atlanta sert de base à cette musique de club qui traverse tout le disque.

Car il n’est question que de cette gangsta stripper music tout au long de Club God 4. BeatKing loue une obsession au sexe féminin, aux acrobaties des strip-teaseuses, à leurs courbes tout comme à leurs prouesses au lit, le tout avec une posture macho et un rap bien actuel, ponctué de gimmicks et d’onomatopées, agrémenté de quelques chants. Aussi, le Club God Zilla sait faire preuve d’une certaine dose d’humour, augmentant ainsi le côté festif et superficiel de sa musique, comme le rappellent la pochette, une reprise des couvertures de certains contes pour enfants, ou l’interlude lors de laquelle il est enseigné comment faire l’amour.

Plus variée que ses précédentes mixtapes, pour preuves cette escapade EDM sur Show Me Sumin’ ou cette ballade presque entièrement chantée sur Temporary, et donc moins homogène, Club God 4 reste un travail extrêmement bien produit, en partie par un rappeur qui, par un choix judicieux de featurings et de l’humour, arrive à faire tenir sur la longueur une seule obsession. Si dans l’outro, BeatKing nous rappelle avoir gagné des fans avec Underground Cassette Tape Music et avoir une multitude de différents projets sous la main, il manque toutefois d’exposition, une fois sorti de son Texas natal. Et c’est dommage car chez BeatKing, comme dans ce Club God 4, il y a bien quelque chose de divin.

Par Dimitri.

Accueil Chroniques Rap US