Kendrick Lamar… Ce nom n’a cessé de résonner dans la tête des amateurs de Hip-Hop depuis son premier album studio, Good Kid, M.A.A.D City, acclamé dès sa sortie comme un classique, chose plutôt rare pour les rappeurs d’aujourd’hui. Seulement Kendrick Lamar n’est pas tout à fait comme n’importe quel rappeur lambda. Entre la sortie de GKMC et celle de To Pimp A butterfly, son nouvel album, rares ont été ses sorties, tant médiatiques que musicales, gonflant ainsi les attentes de ses fans, de plus en plus nombreux depuis son succès mondial de la fin 2012.
La sortie d’un album de Kendrick Lamar est à marquer au fer rouge tant l’excitation provoquée paraît irréelle. Il faut dire que le rappeur de Compton nous a habitué à des recueils de qualité; Good Kid, M.A.A.D City, qui l’a consacré aux yeux du grand public, bien évidemment, mais également son premier projet, moins connu mais tout autant délicieux, Section.80. Normal donc que ses sorties soient autant scrutées. To Pimp A Butterfly n’aura ainsi pas échappé à la règle. Après le single controversé « i », acclamé par la critique, moins par ceux qui ne sont pas grands fans des mélanges de genres musicaux, ou le très engagé The Blacker The Berry, c’est donc un album attendu au tournant qui débarque dans les bacs.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’encore une fois Kendrick Lamar aura surpris tout son monde avec un album d’une qualité hors du commun. Entouré de producteurs tels que Flying Lotus, Terrace Martin ou encore Pharrell Williams, le rappeur de Compton a choisi de se lancer dans la musique black dans son ensemble, s’appuyant sur des instrus totalement novatrices faites de mélanges de Blues, Jazz, Soul ou encore de Funk. Kendrick a ainsi su sur cet album se renouveler tout en se basant sur ses acquis de longue date; à savoir une voix autant précieuse que singulière, un flow plus qu’entraînant, des gimmicks originaux et une parfaite maîtrise des temps morts, comme ces interludes ou ces dialogues auxquels il nous a habitués sur ses précédents projets. Vous l’aurez donc compris, Kendrick a fait du neuf avec du vieux, et réussi un pari osé en créant un album cohérent aux contours bien définis.
Car tel le Ghetto Pasteur, Kendrick prêche tout au long de cet album la bonne parole. Celle qui a vu les noirs s’émanciper de la ségrégation dans les années 60 aux USA. Il n’utilise ainsi pas uniquement les sonorités des musiques noires américaines, mais également les codes de cette culture à une époque où elle n’est pas réellement valorisée, histoire de mettre en lumière cette partie sombre de l’histoire, de rappeler les maux passés, afin de ne pas les oublier mais également ne pas les reproduire. Car c’est bien là le point majeur de son raisonnement. S’il parle souvent du passé, les motivations de Kendrick sont décidément bien dirigées vers le présent, comme si la société américaine n’avait jamais vraiment réussi à détruire cette séparation, celle qui a vu les ghettos des grandes villes américaines se transformer en cités pour les noirs, là où la misère est cachée, où le confort est accessoire, où le bonheur ne s’achète pas.
Utilisant la narration pour conduire le spectateur dans une aventure, To Pimp A Butterfly est plus qu’un album, c’est une expérience au coeur des ghettos noirs, au coeur des problèmes des gens qui comptent peu, ceux que l’on ne montre pas à la télé, qu’on n’écoute pas souvent et qui sont livrés à eux-mêmes. Ces gens-là, Kendrick leur fait une ode dans un album décidément engagé pour une cause oubliée. Rappelant le titre du célèbre livre, To Kill A Mockingbird, dans lequel Harper Lee fait une comparaison entre ces oiseaux moqueurs, qui ne nichent pas dans les jardins ou sur les toits des humains mais qui se contentent de chanter pour leur oreille et qui sont pourtant pris pour cible, et les hommes de couleur; To Pimp A Butterfly veut casser l’image de l’homme noir qui est généralement montré comme un gangster, et dont les vraies valeurs ne sont que très peu représentées.
C’est ainsi que Kendrick nous conduit dans un voyage alliant tous les aspects de la communauté black des Etats-Unis, celle de laquelle il est issu et celle qu’il veut aujourd’hui à tout prix mettre en lumière. Entre culture musicale, valeurs de la vie en communauté et problèmes du quotidien, To Pimp A Butterfly est autant une aventure singulière dans la vie difficile que mène cette communauté, qu’un plaidoyer pour rappeler les blessures d’un combat qui ne s’est jamais réellement arrêté, mais qui s’est plutôt fondu dans le décor afin de se faire oublier. Le tout en musique, réalisé de main de maître par celui qui s’élève de plus en plus comme l’unique voix de tout un peuple.
Par Manu.