Sur Aquemini, entre la deuxième et la troisième piste, on pouvait entendre une interlude durant laquelle un individu se plaignait des changements opérés par OutKast à chaque album. Alors que ce troisième disque venait de sortir, il s’indignait qu’André 3000 et Big Boi étaient passés du statut de pimps, à celui d’ATLiens et suggérait qu’ils parleraient ensuite d’un « espace noir vertueux », afin de mieux souligner leurs diverses mutations. Ainsi, il est aisé d’imaginer la réaction de cette même personne après l’écoute de Stankonia, quatrième album qui, par l’influence d’une multitude de genres, tentait des expérimentations encore plus poussées.
En effet, le duo touchait à tout sur cet album. Après une introduction aérienne, on retrouvait du rock sur Gasoline Dreams, des inspirations funk et soul sur l’incroyable So Fresh So Clean ou le grandiose Ms. Jackson, puis des sonorités drum’n’bass sur l’explosif B.O.B. Alors que certains titres comme Spaghetti Junction ou We Luv Deez Hoez nous rappelaient des sentiers familiers, d’autres morceaux s’inspiraient de courants musicaux sans toutefois s’inscrire dans un créneau précis. Ainsi, on retrouvait sur le violent Snappin’ & Trappin’ un couplet ragga mais l’instrumentale n’appartenait à aucun genre connu. Humble & Mumble commençait avec un beat up-tempo minimaliste qui lorgnait vers la salsa mais terminait sur une instrumentale ponctuée de scratch qui se rapprochait plus du rap. Il en était de même de cet indescriptible Stanklove et des autres titres qui formaient ainsi un ensemble très dense, un puzzle d’influences et d’expérimentations.
« That music was starting to sound real comfortable. There wasn’t any adventure to it » ¹
Stankonia était le nom du studio que venait d’acheter le duo une année auparavant, studio qui appartenait à l’époque à Bobby Brown. Place sentimentale, c’est ici qu’ils avaient enregistré leurs premiers essais sur une instrumentales des TLC, en 1992. Huit ans plus tard, fatigués par la monotonie du rap de l’époque, André et Big Boi avaient alors arrêté d’en écouter lors de la conception de Stankonia. Libéré des contraintes temporelles liées à l’utilisation d’un studio privé, OutKast pouvait ainsi expérimenter et s’écarter des sentiers classiques du rap mais également des paroles démagogues du Dirty South. Car, en effet, Stankonia n’innovait pas que par son audace musicale mais également car il touchait une multitude de sujets. Sur Gasoline Dreams, le ton était conscient tandis que, sur Ms. Jackson, le duo revenait sur leur mariage raté en s’adressant à leur belle-mère. De la fausse galanterie de I’ll Call Before I Come au discours encourageant du très beau Humble Mumble, le duo touchait à divers sujets, souvent à vocation sociale, mais avec le décalage suffisant pour ne pas être ennuyeux.
Quinze ans, deux Grammys Awards et des millions d’exemplaires vendus plus tard, Stankonia continue de vivre. C’est en tout cas ce qu’on ressent à l’écoute de To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar. Comme OutKast, Kendrick puise dans des influences diverses en créant un album dense, à vocation sociale et à contre courant du rap d’aujourd’hui. Au delà de sa perfection, Stankonia montre également l’audace d’un groupe et d’un album qui ont traversé le temps.
¹: André 3000 dans un entretien avec Tom Moon: http://goo.gl/v2ayw8
Par Dimitri.