Le 15 décembre 2014, le Pont-Rouge de Monthey accueillait Nemir pour un live plein d’énergie et tout en freestyle, comme à son habitude. Après avoir pu découvrir le surprenant duo Chill Bump (lire notre article découverte ici) en première partie, c’est donc au rappeur de Perpignan qu’est revenu la tâche d’ambiancer une salle petite mais chaleureuse. C’était l’occasion rêvée pour prendre des nouvelles de Nemir, de ses projets à venir et de son envie toujours présente de s’affirmer tel qu’il est dans ce rap français qui mue indéniablement. Après le succès qui a suivi son premier EP Ailleurs, et la période de tournée qui va avec, c’est un Nemir motivé que l’on a eu le plaisir de retrouver, et qui nous a fait part de ses projets pour cette année 2015.
Hip Hop State Of Mind: On va commencer par parler un peu de ton parcours. Rapidement, si t’arrives à nous faire un gros résumé, nous expliquer comment tu t’es lancé dans le rap, comment est venue l’envie?
Nemir: Par hasard, l’environnement social et car c’est une musique accessible pour les gens comme moi, qui venaient de ce milieu là. Les grands frères en écoutaient donc, par mimétisme, j’en écoutais aussi. Après t’approfondis le lien, la relation avec le truc. Rien de particulier, c’est vrai que c’est une question difficile, parce que tu peux pas répondre de façon originale, tu ressembles un petit peu à tous ceux qui ont commencé dans ce milieu-là ou dans des domaines qui y ressemblent. Au départ, c’est un petit peu hasardeux, après y’a des accroches, et après, par escalade, tu trouves des endroits, des marques. T’avances et à un moment tu te rends compte que t’es bien… Que t’as fait beaucoup de chemin, et tu te dis: voilà est-ce que j’arrête parce que j’ai mieux à faire? Non, j’y reste. Et t’as un rapport un peu plus profond, mais c’est vrai qu’au départ c’est comme ça, très léger, très hasardeux. Et aussi un peu parce qu’on se sent valorisé, je pense. Si j’avais 20/20 tous les jours à l’école et que j’étais un 10/20 en rap, j’aurais continué l’école…
HHSOM: Et à propos de ton EP, Ailleurs, qui date déjà de fin 2012, t’en es satisfait?
Nemir: Ouais, j’ai bien aimé parce qu’on attendait pas grand chose de cet EP, à part la volonté de faire quelque chose qui nous ressemble et de faire quelque chose qu’on installe un peu dans le paysage musical. Et on a eu un succès d’estime qu’a été assez correct. Ça été même très dur parce qu’on a eu une année de passage à vide; parce qu’on a fait un très bonne tournée pour un EP, c’est-à-dire quand même 80 dates, et l’année 2014 a été compliquée parce que j’ai essayé de m’éloigner un peu de cet EP, mais en même temps il me servait de repère aussi, et je ne voulais pas faire quelque chose qui y ressemble vu qu’il existait déjà. Et plus je m’éloignais, plus j’avais l’impression de me perdre parce que j’avais pas forcément de marques; ça a été hyper complexe quoi, la recherche a été très douloureuse. Comme je dis, on a pleuré, on a ri, on s’est amusé mais on a souffert aussi. Jusqu’à arriver aujourd’hui aux vérités qu’on a réussies à toucher pour l’album qui va arriver en 2015.
HHSOM: On va avoir un album en 2015 alors?
Nemir: Ouais, avec violence et rage. J’ai hâte ouais, bien sûr.
HHSOM: On a hâte de voir ça en tous cas… Parce que Ailleurs était quand même un gros cap?
Nemir: Ouais un gros cap et avec ça y’a le revers de la médaille. C’est la pression aussi qui commence à se profiler au-dessus de la tête, se dire que les gens ont cette vision-là, ils pensent qu’on va vraiment tout niquer. On se dit: « Ah ouais… Mais on en est pas capables, ils délirent… » Et tu passes ton temps à croiser des gens qui te disent « J’le sais. vous allez tout niquer« . Et toi, tu veux leur dire: « Arrêtez de savoir, parce que nous-même on sait pas« , tu vois? Et moi, je suis quelqu’un qui voit mes projets sur le long terme. C’est pour ça que j’ai pas enquillé très vite pour livrer quelque chose, comme le major le voulait après la signature, même si on avait des maquettes et d’autres trucs, qu’ils voulaient sortir tout de suite, parce que pour eux c’était un moyen d’exister encore. Mais pour exister, pour moi, faut forcément amener quelque chose d’intéressant, qui va plus loin, et j’voyais pas l’intérêt. Donc voilà, on s’est caché un peu dans une grotte, on a déprimé, et là on est sorti de la déprime et on est à fond (Rires).
Nemir – Wake Up (Feat. Alpha Wann)
HHSOM: Ouais justement un fait marquant c’est ta signature chez Barclay en 2013, suite à l’EP. Qu’est-ce que ça change concrètement à ton travail?
Nemir: Rien, à part quelques personnes en plus qui se rendent compte que je suis quelqu’un de très casse-couilles et de complètement ingérable, tu vois. A part ça, y’a des partenaires intéressants qui tuent. Je sais qu’à un moment donné, à l’instant T, là d’ici quelques mois quand j’vais leur donner l’album et qu’on va discuter de stratégies avec des idées que j’ai déjà en tête, je sais que c’est le genre de structures qui te permet d’avoir les moyens d’aller beaucoup plus loin que si t’étais chez toi avec le solde de ta carte bleue. C’est pas la même chose, eux c’est les moyens, la force de frappe. Et y’a aussi des idées super intéressantes, on collabore avec Alex Kirchhoff qui gère le département Musique Urbaine, c’est quelqu’un avec qui on s’entend. On a eu des clashs, on a eu des incompréhensions, mais il sait qu’à la fin on veut la même chose, un truc qui bute quoi.
HHSOM: Et t’as rien de prévu d’ici l’album? Pas de tournée?
Nemir: Non non non. Rien d’exceptionnel, à la base on a arrêté la tournée y’a bien longtemps, mais on a toujours eu des petits plans qui sont venus comme ça, comme Stromae qui nous propose de faire son tour. Et on peut pas trop refuser parce que c’est quand même une opportunité. On se retrouve sur la route et le Ailleurs Tour, il s’avère être interminable (Rires). Et là, les deux dates suisses, c’est parce que le tourneur m’a dit « y’a pas d’actu, mais y’a deux plans en Suisse. Il faut jouer et c’est des nouveaux collaborateurs avec qui je bosse, il faut y aller même si y’a pas d’actu. Tu reviendras l’année prochaine avec un album, il faut y aller« … Donc voilà y’a toujours quelque chose, c’est interminable cet Ailleurs Tour. Mais après moi, j’adore, j’prends beaucoup de plaisir et chaque fois que je fais des dates comme ça un peu isolées, quand je retourne en studio, je vois que ça m’a fait plus de bien que l’inverse, et j’me dis que le tourneur avait raison.
HHSOM: Ouais parce que ça a fait beaucoup de dates suite à Ailleurs.
Nemir: Trop. Enfin c’est même pas trop, on fait jamais trop de dates, mais moi dans ma tête je suis déjà loin d’Ailleurs et je défends des chose qui sont d’ailleurs, tu vois, donc je suis dans une schizophrénie permanente (Rires).
Parce que je suis quelqu’un qui doute, pas jusqu’à la dernière minute mais jusqu’au dernier centième de seconde en fait.
HHSOM: Et justement, par rapport aux dates, ce soir t’es dans une petite salle, avec un petit public, mais nous on t’a vu à Royal Arena à Bienne, une grosse soirée.
Nemir: Ah ouais, c’était génial. Non mais voilà, nous on est venu parce qu’avant d’être des chanteurs, des musiciens, on est des freestyleurs à la base. Et on sait que dans ce genre d’endroits, on vient pour ça, pour faire du freestyle. On goupille les morceaux à la dernière minute, on se lâche et on voit ce que ça donne. On est dans ce rapport-là, un peu plus instinctif quoi. Après la sortie de l’album, on sera sur un rapport avec plus de fondamentaux, plus de conception, de mise en scène. Voilà, c’est pas la même démarche, c’est pour ça que c’est difficile de sortir d’une démarche pour aller vers une autre, le chemin est compliqué.
HHSOM: D’ailleurs, à propos de ton album, t’as un nom déjà?
Nemir: Ouais. Mais j’peux pas le dire (Rires). Mais je sais pas si je vais utiliser celui-là, c’est pour ça que j’peux pas le dire. Parce que je suis quelqu’un qui doute, pas jusqu’à la dernière minute mais jusqu’au dernier centième de seconde en fait. Je me permets cette liberté de me dire que si j’ai une meilleure idée que celle-là, s’il reste une demi seconde avant d’appuyer sur le buzzer et de confirmer, j’le fais. Moi, j’ai un nom de premier album depuis que j’ai 12 ans, donc il est toujours dans ma tête jusqu’à preuve du contraire, ou de trouver mieux. Donc c’est pour ça que je le donne pas, au cas où à la dernière minute, y’a quelque chose qui se révèle à moi et qui collerait mieux. Mais il a résisté depuis déjà tellement d’années ce nom que ça semble bien parti.
HHSOM: Alors au moins un petit featuring…
Nemir: Pour l’instant, je peux rien dire, parce que tout se goupille à la dernière minute au niveau des featurings, moi je bosse d’abord mes solos…
HHSOM: On va avoir Gros Mo quand même?
Nemir: Gros Mo, il fera toujours partie de l’album, qu’il y soit ou non. Mais j’en sais rien, moi je confirme rien jusqu’à la dernière minute, c’est pour ça que c’est compliqué de bosser avec moi.
HHSOM: Et quelle direction musicale tu veux lui donner?
Nemir: Plusieurs. Des compromis, qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Très rap, très pop, très soul, new soul même, avec des sonorités reggae, des sonorités presque de musique arabe… Mais après là je te dis ce qu’il y a en sous-couche. Peut-être que toi, avec ton oreille, t’appuies sur play et tu vois pas du tout de quoi je veux parler quand je dis ça. Mais en sous-couche de chaque morceau, y’a un petit peu de toutes ces influences. Certaines sont plus perceptibles que d’autres mais même celles qui sont pas perceptibles, en général, nourrissent la couche supérieure qui finalement est plus visible. Mais ouais ça sera très musical, très rap, très pop, très chant. Y’a des influences reggae aussi, la voix un petit peu cassée, un peu poussiéreuse, y’a de ça. Y’a de tout franchement. Y’a tellement d’albums qui me plaisent dans des registres différents qu’on retrouve ça dans l’album. Je fais ce que j’ai envie de faire quoi.
HHSOM: Et dans ton style, justement très musical, très chantant comme ça, qu’est-ce qui t’attires là-dedans?
Nemir: Je crois que je le fais sans me rendre compte, au final. Je crois que je trouve plus fade le fait de rapper sans mélodie plutôt qu’avec. Donc finalement quand je commence à travailler un morceau, si je fais quelque chose de très monocorde, je me fais chier et je dégage rien au final. J’ennuie celui qui m’écoute et je m’ennuie moi-même. Donc je me dirige forcément vers ce qui m’excite le plus, ce qui va me mettre le mieux en valeur. Mais je m’empêche pas de faire des morceaux où c’est le texte qui domine. J’en ai certains où je m’autorise aucun maquillage, et c’est le but parce que ça sert la démarche. Mais sinon, je suis très instinctif, je me jette de façon un peu folle quoi. J’attends pas de mûrir le truc, sinon je bloque et je réfléchis pendant dix ans. J’fais mon docteur en lettre quoi (Rires).
HHSOM: Mais ça se ressent aussi de manière générale, dans ton flow.
Nemir: Ouais, même quand je suis en studio faut que je retrouve le live. Si je retrouve pas le live, la prise elle est pétée, elle est pourrie, il se passe rien. C’est une interprétation parmi d’autres, mais il se passe rien. Il faut que je « live« . Tu sais qu’il y ait de la vie, en fait. Au final, quand t’écoutes un album ce que tu recherches, c’est le texte, la mélodie, tout ça, mais surtout la vie qu’il y a derrière le texte. Si je te dis des choses avec très peu de conviction, ça t’atteint moins que si je te les dis moins bien mais avec beaucoup plus de conviction. Y’a des mecs qui disent tellement moyennement les choses parce qu’ils ont pas le bagage, l’écriture, etc… pour l’exprimer de façon très juste. Mais y’a tellement un instinct derrière et l’intention de faire passer quelque chose que ça dépasse tout ça.
Je suis un fanatique de rap pur et dur, garage underground, sans concession, et à côté de ça je vais aimer des trucs presque R&B où tu pourrais te dire: le Nemir qui écoute le rap garage et qui veut pas faire de concessions, il penserait quoi de celui qu’est en train de chantonner là et de kiffer?
HHSOM: Ouais c’est ce qu’on a vu ce soir, avec vous trois sur scène, même si y’avait pas énormément de monde…
Nemir: Tu nous sens enragé quoi… Et de toute façon quand t’as une colère à l’intérieur, à toi de choisir comment tu la traduis. Ça part d’une colère à l’intérieur, présente 24h sur 24, mais je choisis de la traduire, parce que c’est mon tempérament, de façon très solaire, très constructive, plutôt que l’inverse. Ça part d’une colère profonde quoi.
HHSOM: Ouais, et par rapport au flow aussi, y’a un art des Gimmicks et de ce genre de choses que t’as bien développé dans l’EP…
Nemir : Ouais bien sûr, faire parler les silences, les respirations, ce genre de choses. Je trouve que dans le rap, pendant des années, les mecs ils étaient là à rapper rapidement, presque à bout de souffle, et je leur dis: « vous êtes fous ou quoi? ». Ben en fait, tu peux faire parler les silences, les respirations, les gimmicks, un ou deux cris. On parle pas toujours avec des mots, on fait des choses bizarres des fois quand on s’exprime. Des fois, t’as un espèce de gargarisme qui vient appuyer, accentuer ce que tu viens de dire. Alors dans la musique, pourquoi pas? Moi, ça me plait.
HHSOM: Et sur le morceau J’Résiste de Deen Burbigo, on t’entend faire un refrain où tu chantes, qu’est absolument magnifique d’ailleurs. Est-ce que t’as envie de développer un peu plus cet aspect-là, on risque de te revoir dans ce rôle, où tu fais juste un refrain comme ça?
Nemir: Ouais très bientôt, sur deux gros projets. L’un est fini, et pour l’autre la session a pas encore eu lieu. Mais oui, si tu veux pour moi c’est un peu bizarre, j’ai toujours fait des choses qui, comme ça d’apparence, semblent ne pas cohabiter. Je suis un fanatique de rap pur et dur, garage underground, sans concession, et à côté de ça je vais aimer des trucs presque R&B où tu pourrais te dire: le Nemir qui écoute le rap garage et qui veut pas faire de concessions, il penserait quoi de celui qu’est en train de chantonner là et de kiffer? Après je pense qu’on est tous un peu multiples, il est fini le temps où on voulait nous enfermer dans des cases pour mieux nous définir. Aujourd’hui, je pense qu’on peut se définir comme ça, en étant multiple, paradoxal, presque des fois antinomique dans la façon de faire des choses, mais ça fait partie de la complexité des personnes qu’on est tous et qu’on a toujours été au final. Et peut-être que la société d’aujourd’hui le permet. Et le milieu de la musique surtout c’est un endroit où on peut se permettre d’être soi-même jusqu’au bout et moi des fois j’y vois plutôt de la force dans ce genre de choses. Mais ouais du coup on va me voir dans pas mal de rôles qui n’ont rien à voir les uns des autres, mais si j’le sentirai, j’le ferai.
Deen Burbigo – J’Résiste (Feat. Nemir)
HHSOM: Et au niveau de tes inspirations, qui sont assez diversifiées d’après ce que j’ai pu comprendre, t’as cité Q-Tip, notamment, comme une inspiration principale…
Nemir: Ouais, Q-Tip et la Tribe de manière générale. Mais j’ai du mal à citer une inspiration principale parce que je suis quelqu’un de très versatile dans ma façon de regarder les choses aussi, donc dès qu’on dit principale ça me plaît pas trop… Mais on est obligé un peu de se définir quand même, donc moi j’ai toujours aimé les chanteurs, et les rappeurs, qui musicalisaient un peu plus le truc. J’ai toujours été fan de Mos Def, de Talib Kweli, de A Tribe Called Quest, des trucs où si t’aimes pas le rap, tu peux prendre aussi le chant qu’il y a derrière en fait. Moi ça a toujours été ce qui m’a parlé quoi. Après, à côté de ça, j’ai aimé des trucs qu’ont rien à voir comme La Rumeur où les mecs ils en ont rien à foutre du chant et à la limite ils sont contre ça; et c’est des potes à moi. On est paradoxal, c’est comme ça. Moi j’adore Kaze, alors que c’est un peu le contraire de ce qu’on est en train de citer quoi. Mais j’aime les démarches sans concession, intenses et jusqu’au bout en fait. Si tu veux le faire comme ça, que tu le sens, alors vas-y, fais-le.
HHSOM: Au niveau de la scène de Perpignan, elle commence à être bien représentée aujourd’hui?
Nemir: Ben ouais, y’a les fréros, y’a Everydayz qu’est dans un registre… Comment tu pourrais te définir toi (en s’adressant à Everydayz)?
Everydayz: Très musical, vu que j’fais de la production, forcément, c’est que de la musique quoi. Mais après, je suis un peu la même démarche que lui, et on essaie de faire un truc qui nous ressemble.
Nemir: Et lui, c’est vraiment pas un producteur qui fait de la prod pour chanteur… En général, y’a des beatmakers comme Enzo, avec qui je bosse, qui est un monstre dans ce qu’il fait, mais qui s’est défini depuis le début comme quelqu’un qu’adore faire de la production, mais pour les voix justement, soit pour un chanteur ou une chanteuse, soit pour un rappeur. Alors qu’Everydayz c’est totalement différent vu que c’est un producteur qui à la base ne fait pas de la musique pour qu’il y ait des voix derrière. Il peut y en avoir, mais c’est un producteur de musique avant tout. Après y’a Gros Mo, qui lui a sorti un EP… Et y’a d’autres gars aussi à Perpignan qui travaillent, qui font leur truc et qui ont leur identité, un peu comme nous quoi. Y’a cette vague un peu de kiffeurs de bons sons, rap et autres, et avec eux des croisements des fois un peu improbables qui donnent des choses hybrides, et le résultat peut être intéressant.
HHSOM: Y’a pas mal de trucs assez ensoleillés, un peu sudistes comme ça…
Nemir: Ouais on est un petit groupuscule. J’appelle ça un groupuscule parce qu’on est pas à Paname non plus, et d’ailleurs le fait d’être à 3’000 bornes de Paname ça fait qu’on est sujet à aucune pression. Le mec, il peut faire ça chez lui tranquille, il en a rien à foutre. Il est pas forcément le meilleur, même s’il peut le devenir aussi… Mais y’a pas cette grisaille, cette tension qui peut créer des choses mortelles aussi, mais chez nous c’est pas trop ça.
HHSOM: Et en tant que, justement, originaire d’une petite ville, y’a une distance pour s’exporter?
Nemir: Plus maintenant au contraire, avec Internet… Et je trouve aussi qu’avec l’ouverture musicale de la plupart des gens en matière de rap, hip-hop etc… y’a un nouveau public qu’a émergé un peu. Y’a toutes ces nouvelles générations qu’ont débarqué et qui s’intéressent à ça, qui s’approprient ça aussi avec son temps. Je trouve qu’aujourd’hui les gens sont très curieux. Ils recherchent et dès qu’il y a une originalité quelque part, venant d’un endroit géographique où la musique est propre à cet endroit, typé et qui propose quelque chose, ils ont tendance à dire « on veut ça »; et ça nous rafraîchit. On est plus à l’époque où le rap était très petit, avec trois, quatre représentants et t’écoutais ça ou rien. Aujourd’hui, y’a autant de registres de rap que de rappeurs.
HHSOM: Mais maintenant, t’es plus sur Paname que sur Perpignan?
Nemir: Ça dépend des cycles, en fait. Là, j’ai passé les trois derniers mois sur Perpignan et je fais les aller-retours sur Paname aussi parce que j’ai une vie là-bas… Mais je compose à Perpignan, et uniquement à Perpignan, sinon je fais trop la fête à Paname, y’a trop de trucs à faire. Y’a toujours des concerts, toujours des freestyles, toujours des featurings que tu voulais pas faire et que tu fais, et tu fais pas d’album. Déjà que c’est très long un album, si en plus t’as tout ça…
Ça m’a permis de me rendre compte que j’étais pas prêt psychologiquement à être confronté à autant de ferveur, à autant de grandeur.
HHSOM: On va bientôt conclure, mais avant ça, on a encore une question. Lorsqu’on t’a vu à Royal Arena l’an passé, t’avais une petite tradition à la fin de ton concert, qui était de te faire envoyer des clopes par le public…
Nemir: Ah ouais (Rires)… J’ai arrêté en fait, parce que j’ai arrêté de fumer pendant deux mois, donc sur tous les lives qu’on a faits j’ai arrêté cette tradition. Je me disais « moi il est hors de question que je vende Marlboro tous les jours à tout le monde… » (Rires). Donc voilà, j’ai recommencé à fumer mais j’ai arrêté la tradition. Mais ouais, toute la tournée on a fumé nos clopes grâce à beaucoup de gens, et franchement merci.
HHSOM: Et pour conclure, dans Freestyle, tu finis par « On remplit pas de big stades, nous on kick sale dans des petites salles ». Ça te plairait pas quand même de remplir le Stade de France pour un concert?
Nemir: Oui, pour l’ego. Mais je pense pas que je serais heureux. Par exemple pour la tournée qu’on a pu faire avec Stromae, d’être confronté à cet artiste, je parle même pas du talent qu’il a, mais ça m’a permis de cerner ce que je voulais au final. Parce que j’ai jamais su ce que je voulais, je savais que je voulais faire de la musique. Plus je pouvais être aimé plus ça m’arrangeait, plus on pouvait me dire que j’étais bon plus mes érections étaient mortelles. Mais confronté comme ça au maximum, ça m’a permis de me rendre compte que j’étais pas prêt psychologiquement à être confronté à autant de ferveur, à autant de grandeur… Donc moi, je me verrais bien dans quelque chose d’intermédiaire tout au long d’une vie, avec bien sûr des courbes, des fois descendantes, des fois ascendantes, parce que ça me ferait très peur… Je connais mes failles, mes fêlures, et j’aurais très peur d’être exposé comme ça, d’être livré au grand public, même si ça reste un peu l’objectif. Mais y’a grand public et grand public. Stromae, c’est quelque chose d’incroyable. C’est fou, c’est déroutant. Après, je pense qu’il y a vraiment des gens qu’ont l’ossature et le cortex pour traverser ça. Et même malgré ça, ils en sortent quand même pas indemnes, parce que c’est assez vertigineux. Mais moi ouais, ça me fait quand même un peu peur quoi. J’aimerais bien faire des albums, si je pouvais être disque d’or c’est cool, si je peux remplir des 2’000 places c’est bien, et ça me va. Stop.
HHSOM: Bon, Stromae il a aussi commencé comme ça, peut-être que dans quelques temps on te verra toi au Stade de France.
Nemir: Ouais mais t’imagines, le rapport à la célébrité que t’as là? Tu remplis des trucs c’est des 20’000 places, ça fait peur quand même. Au fond de moi, mon ego il aimerait ça, Mais à côté de mon ego y’a aussi ma science de l’analyse qui commence à savoir ce qui pourrait me détruire si j’étais exposé à ça. Et je me connais, je sais que c’est le genre de choses que j’aurais du mal à gérer. Y’a quand même les dérives qui sont liées à ça. Enfin, je te dis ça alors que peut-être que demain je vivrai totalement le contraire, je dis ça là où je suis au moment où j’y suis. Voilà.
HHSOM: Merci, et bonne continuation. On attend l’album avec impatience.
Un grand remerciement au Pont-Rouge de Monthey pour ce contact.
Propos recueillis par Manu et Loïck.